Portugal : quelles perspectives pour le nouveau gouvernement de gauche ?
Publié le 7 Décembre 2015
Ces derniers mois, l'actualité politique et économique européenne s’est focalisée en grande partie sur la situation grecque. Pour les partisans de l'Union Européenne comme pour ses détracteurs, l'élection de Tsipras constituait un tournant majeur. Pour la première fois en Europe, dans un pays en crise étranglé par la Troïka de surcroît, un gouvernement dit de « gauche radicale » arrivait au pouvoir.
Si l'élection de Tsipras a pu susciter quelques espoirs dans le mouvement communiste français, la désillusion fut rapide : le gouvernement Syriza a rapidement rendu les armes, et la finance internationale a pu continuer à saigner à blanc le peuple grec.
Ainsi, le cas de la Grèce est édifiant, et plus ou moins connu de tous. Mais en Europe, un autre pays du Sud du continent souffre depuis plusieurs années et vient, lui aussi, de porter un gouvernement de gauche au pouvoir : le Portugal.
Un pays étouffé par l'austérité
En 2011, les élections législatives portugaises portaient au pouvoir un gouvernement de coalition entre le Parti Social-Démocrate (centre-droite, malgré son nom trompeur) et le Parti Populaire (droite conservatrice). Ce nouveau gouvernement prenait la relève d'un gouvernement dirigé par le Parti Socialiste (centre-gauche) qui avait déjà commencé à mettre en place des politiques d'austérité. Ainsi, en 2011, le gouvernement de coalition hérite un pays déjà exsangue, étranglé par une crise économique que les prétendus socialistes ont tenté de régler par une cure d'austérité qui n'a fait, comme toujours, qu'aggraver la situation.
Dans ce contexte, le gouvernement de droite nouvellement élu n’a fait que poursuivre, en l'amplifiant, la politique d'austérité déjà mise en œuvre auparavant. Des pans entiers de l'économie ont été privatisés, les salaires gelés, les impôts touchant les classes moyennes et populaires explosant et même le service public de l'éducation commençant à être démantelé. Si le gouvernement de droite a mené ces politiques, cela a été en accord total avec les institutions financières comme le FMI mais aussi avec cette formidable machine à broyer les peuples qu'est l'Union Européenne. Pendant quatre ans, le peuple portugais a été victime des expérimentations des savants fous de la doctrine libérale, auxquels le pays est livré.
A l'approche des élections législatives de 2015, la propagande libérale s’est mise en marche pour assurer la réélection du gouvernement de droite : la consommation est repartie, le chômage a diminué, passant de 16,4 a 13,5%. Ces signes ont été interprétés comme autant de preuves que l'austérité fonctionne. Mais il faut rappeler que si le chômage a baissé, ce n'est pas parce qu'une partie de la population a trouvé un emploi stable : c'est parce que les travailleurs ont été mis en compétition et contraints d'accepter des emplois précaires sous-rémunérés ! Rappelons aussi qu'au moment des élections, 25% des Portugais vivaient sous le seuil de pauvreté et la dette représentait encore 127% du PIB : on était donc loin d'une austérité qui serait un remède miracle à tous les maux économiques et sociaux.
Face à cette politique désastreuse, la victoire de la gauche
C'est dans ce contexte très particulier que se sont tenues les élections législatives le 4 octobre 2015. Au cours de celles-ci, le gouvernement sortant a été désavoué puisqu'il n'a obtenu que 36% des voix, ce qui le place en première position mais ne lui donne pas de majorité suffisante pour gouverner seul.
En réaction les socialistes s'organisent. Fortes de 32% des suffrages (un score en progression), ils se tournent vers la gauche radicale du pays pour former un gouvernement de coalition. En effet, l'autre surprise du scrutin réside dans la forte progression des deux principaux mouvements de la gauche antilibérale du pays. D'un côté, le Bloco de Esquerda (BE), le Bloc de Gauche, a rassemblé 10,1% des suffrages, passant de 8 à 19 députés. Ce mouvement est une coalition de plusieurs partis antilibéraux, à l'image du Front de Gauche en France. De l'autre côté, on retrouve le Parti Communiste Portugais (PCP) allié aux Verts : ensemble, ils obtiennent 17 sièges contre 7 auparavant. Rappelons que le PCP est un parti communiste orthodoxe : il défend un programme de rupture claire avec le système capitaliste, passant notamment par une sortie de l'UE et de l'OTAN. Pour ce qui est du BE, le programme est clairement antilibéral sans être anticapitaliste : il défend une politique progressiste, plaide pour des nationalisations et une augmentation des salaires, revendique une réorientation de l'UE mais est nettement moins radical que le PCP.
Ainsi, au sortir des élections, les trois forces de gauche du pays négocient. Début novembre, elles arrivent à un accord qu'il va nous falloir examiner si l'on souhaite se positionner sur la situation en tant que communistes.
L'accord de gouvernement : vers un scénario à la Syriza
La comparaison entre la situation grecque et la situation portugaise reste malheureusement d'actualité. Le Parti Socialiste portugais a fait campagne sur le refus de l'austérité alors qu'il l'avait lui-même appliquée jusqu'en 2011 : quelle crédibilité peut-il avoir ?
A partir de là, on aurait pu espérer que les deux forces de gauche radicale, PCP et BE fassent pression sur le PS pour obtenir des inflexions. Malheureusement, et comme toujours, le rapport de forces a tourné à l'avantage de la sociale-démocratie réformiste et néfaste pour les travailleurs. Avant d'arriver au pouvoir, toute remise en cause de l'UE ou de l'OTAN a été écartée : dès lors, il apparaissait déjà difficile d'imaginer un quelconque changement politique réel au sein de ce carcan capitaliste, réactionnaire et impérialiste. Mais de plus, lorsque l'arrivée au pouvoir de la gauche est devenue inévitable, le Président du pays a demandé au meneur du PS de respecter certains engagements fondamentaux. Parmi ces engagements, le gouvernement nouvellement élu s'engage à ne pas remettre en cause l'UE, l'Euro, l'OTAN, n'a qu'un contrôle limité sur son budget qui devra être approuvé par l'UE et doit « assurer la stabilité du système financier », c'est-à-dire assurer une rente suffisamment confortable aux actionnaires parasites qui spéculent sur la misère du peuple.
Comme on le voit, il apparaît difficile de mener une politique de gauche dans ce carcan capitaliste, où toute souveraineté nationale et populaire est sacrifiée sur l'autel de la rentabilité et de l'exploitation du peuple portugais. Il faut toutefois se demander quelle doit être notre position sur la question.
En effet, on peut se dire qu'un soutien critique à ce gouvernement serait l'idéal dans la mesure où la gauche serait de toute façon moins pire que la droite. D'autant plus que le PS n'est pas seul à gouverner et que, s'il veut rester au pouvoir, il devra accepter certaines revendications du BE et du PCP. C'est cette position qui est défendue par une partie du mouvement communiste français, qui considère que ce gouvernement pourra au moins assurer quelques avancées au peuple portugais.
Néanmoins, l'Histoire récente nous a enseigné qu'aucune crédibilité ne pouvait être donnée à ces types de gouvernements. L'exemple grec nous a montré qu'aucun changement, même infime, n'était possible dans le cadre des institutions supranationales qui dominent aujourd'hui le monde occidental. En effet, si quelques mesures symboliques ont été prises par Tsipras au début de son mandat, il agit aujourd'hui en bon petit soldat de Bruxelles : répression des manifestations populaires, austérité, privatisations. Une austérité « de gauche » est-elle plus supportable qu'une austérité « de droite » ? Il suffit de voir les difficultés quotidiennes de nos amis grecs pour comprendre qu'un gouvernement capitaliste et pro-européen, même drapé de rose, de rouge ou de vert, reste un instrument de domination et d'oppression des classes populaires.
Il n'y a pas de raison que la situation soit différente au Portugal, d'autant plus que le PS a déjà appliqué l'austérité par le passé. S'il nous faut soutenir quelqu'un là-bas, c'est avant tout le peuple portugais qui souffre, qui lutte, qui ne se résigne pas. Il faut également marquer notre soutien aux camarades du PCP qui, s'ils ont accepté certains compromis, ont averti qu'ils seraient prêts à prendre la rue à la moindre mesure antisociale adoptée par le nouveau gouvernement. Gageons que cela ne saurait tarder.
Julien ROCK, Union des Etudiants Communistes de Strasbourg