Patriarcat vs patriarcat : dans l’affaire du “burkini” la seule perdante est la liberté des femmes
Publié le 26 Août 2016
Un spectre hante le débat public en France en ce mois d’août. Alors que la mobilisation contre la loi Travail ne tarde pas à reprendre toute sa splendeur à la rentrée, alors que Israël continue son lent génocide du peuple palestinien, alors que la guerre civile syrienne continue à prendre une ampleur géopolitique inédite... l’attention de l’opinion publique française est focalisée sur l’affaire du « burkini ». Et si cela est en large mesure compréhensible étant donné le renforcement du tournant réactionnaire avec l’instauration d’une nouvelle police des mœurs, d’un autre côté ce débat révèle une fois de plus l’efficacité avec laquelle la classe dominante sait détourner le débat publique tout en favorisant la création de divisions partout, sur des bases anthropologiques, sexuelles, religieuses, culturelles... mais surtout pas de classe ! Pays curieux cette France où l’on se bat pour la liberté du corps des femmes seulement quand cela devient une arme à utiliser dans la « guerre des civilisations » que le capitalisme veut nous imposer pour mieux affirmer sa domination.
Dans ce scénario, les arguments se multiplient pour prétendre d’une part et d’autre le non-respect de la « civilisation » de l’autre. Le monde occidental et le monde musulman seraient donc engagés dans une lutte inévitable pour qu’au final une des deux cultures triomphe ? Ou bien l’appel à une prétendue culture est un argument idéologique qui ne ferait que revenir utile aux deux mondes, pour mieux opprimer les femmes et pour mieux diviser les travailleurs ?
Depuis toujours, les idéologies répressives, les idéologies de la classe dominante, font appel à des valeurs, à des cultures qui devraient à la fois unir le peuple dans son ensemble, pour éviter toute lutte de classe, et unir le peuple contre « les autres », pour fonder sur la peur xénophobe une union nationale qui rende impossible la création d’une solidarité internationale des classes opprimées.
Nous verrons donc comment l’affaire du burkini soulève plusieurs questions quant aux moyens de la classe dominante pour diviser la classe opprimée, et par conséquent, par son lien profond avec la nature des systèmes patriarcales et capitalistes, impose une réponse claire des communistes dans leurs luttes réelles.
La culture comme instrument de l’idéologie dominante
Les arguments qui prétendent justifier la position des femmes dans la société en parlant de « cultures » relevent d’une répression que Karl Marx qualifie d’« idéologique »[1] : elle reflète l’ordre établi en dissimulant sa raison d’être, son caractère social d’exploitation du genre féminin. Elle crée un écran de fumée qui interdit de changer quoi que ce soit puisque le status quo serait dû à la nature et non pas à l’évolution des sociétés. Le même genre de propos, par exemple sur l’inégalité naturelle des races, a longtemps servi à justifier l'esclavage des noirs puis la colonisation. Nombre de discours pseudo-scientifiques ont joué le même rôle que le discours religieux, prétendant que les choses sont comme elles sont parce que Dieu l’a établi et qu’il est donc impossible de changer quoi que ce soit. À ce sujet, Marx affirme « une fois qu'on a découvert que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c'est la première dont il faut faire la critique théorique et qu'il faut révolutionner dans la pratique »[2].
L’Occident comme le monde musulman font appel à « leur » culture pour justifier la position que les femmes occupent dans leurs sociétés. L’appel à sa propre culture est l’instrument d’attaque contre les musulmans de la part de l’Occident et de défense contre l’Occident de la part des muslmans, et viceversa. Encore, la culture va de pair avec les traditions, qui par définition ne sont pas censées évoluer.
Se référer à la « culture », à la « tradition », est le moyen le plus puissant pour oublier volontairement toute possibilité d’évolution, tout rapport dialectique au sein de chaque culture. Mais si nous regardons de près la réalité des cultures, nous voyons qu’elle est indissolublement liée avec l’histoire des sociétés, avec les luttes qui ont su dépasser les contradictions de ces dernières jusqu’à atteindre l’actuel stade d’évolution. C’est seulement avec une analyse matérialiste et historique des sociétés et des cultures que’elles produisent que nous pourrons voir l’utilisation idéologique qui est faite de la culture. Cette dernière est utilisée pour justifier une oppression des femmes qui n’a pas toujours été au meme degré et qui est loin d’avoir fini toute possibilité d’évolution ultérieure. Friedrich Engels montre justement que l’histoire de l’humanité est faite de luttes, et qu’au fil de ces luttes un certain nombre de défaites ou victoires historiques des femmes les ont enfermées dans l’exploitation ou ont posé les bases de l’émancipation[3].
La condition de la femme en Occident aujourd’hui, loin d’être un fait culturel, est une étape dans une lutte de longue date conduite par les femmes et leurs soutiens pour arracher des victoires à la société patriarcale. Prendre la culture comme un fait a-historique voudrait dire que la culture occidentale est faite encore aujourd’hui de chasse aux sorcières, d’interdiction de l’avortement et du divorce, de négation du droit de vote des femmes, de légalisation de la prostitution, de mariages forcés... Pourtant, si aujourd’hui nous ne pensons plus cela lorsqu’on pense à la culture occidentale, c’est bien parce que les luttes des femmes ont imposé des évolutions au sein de la société et donc de sa culture. Et à ce stade évolutif, peut-on dire que la culture occidentale n’a plus de contradictions à dépasser ? Encore une fois, cette culture est sécouée quotidiemment par les luttes qu’animent la société et qui préconisent de nouvelles évolutions, que cela soit pour dépasser l’inégalité salariale femmes-hommes, le manque de moyens réels de lutte contre la culture du viol et le harcèlement, les fermetures des centres d’IVG...
Parallèlement, la condition de la femme dans le monde musulman aujourd’hui, loin d’être un fait culturel, n’est qu’une étape évolutive. Affirmer que dans le monde musulman le port du burqa ainsi que d’autres pratiques dégradantes sont la règle et que cela convient à tout le monde n’est qu’une négation de l’existence de luttes féministes dans ce monde. Dans combien de pays les femmes se battent pour que le port du burqa ne soit pas une loi étatique contraignante ? Dans combien de pays les femmes se battent contre la culture du viol et du harcèlement, contre les mariages forcés... ? La lutte des femmes d’Arabie Saoudite « Women2Drive » pour le droit de conduire n’a-t-elle jamais existée ? La lutte des femmes égyptiennes pour obtenir la première loi contre le harcèlement sexuel n’a-t-elle jamais existée ?
Ces luttes féministes dans le monde musulman sont-elles contre-culturelles, ou, pire encore, contre-nature ? Ou bien elles sont le signe d’une société et donc d’une culture qui a évolué déjà et se prépare à des nouvelles évolutions (pour lesquelles l’ampleur et la réussite du combat des femmes sera garantie d’une plus ou moins large émancipation) ?
Alors non, la société occidentale n’est pas traversée par une culture de libération de la femme alors que la société musulmane est traversée par une culture d’oppression. Les deux cultures, les deux tendances à l’oppression et à la libération coexistent dans les deux sociétés. Elles sont traversées par l’articulation de la lutte réactionnaire pour l’oppression de la femme et de la lutte révolutionnaire pour sa libération. Malgré des spécificités issues du développement inégal des combats féministes dans les deux sociétés, le scénario de fond dans lequel ces luttes ont lieu est le même : la société patriarcale.
De plus, du fait du développement impérialiste du système capitaliste, il est impossible d’expliquer la situation actuelle des femmes en Orient se référant exclusivement au développement « interne » de leurs sociétés. Par exemple, l’Afghanistan a connu un formidable mouvement d’avancées pour les femmes lors de la Révolution de Saur et de l’expérience de la République démocratique (1978-1992). Mais ces avancées ont été remises en cause par la victoire des moudjahidines dans la guerre civile puis par les talibans dans leur prise de pouvoir, le tout avec l’appui politique et militaire des pays impérialistes et en premier lieu des États-Unis. D’où un lien indissoluble entre impérialisme et soumission des femmes qui explique bien à quel point la bourgeoisie internationale se sent menacée par l’émancipation féminine.
Cela nous oblige à reconnaître que la lutte à mener n’est pas celle d’une civilisation contre l’autre, mais bien celle des femmes contre la société patriarcale dans toutes ses manifestations. Tant qu’une femme occidentale sera conduite à penser que son ennemi est la femme musulmane qui porte un burkini à la plage, tant qu’une femme musulmane sera conduite à penser que son ennemi est la femme occidentale qui se promène seins nus à la plage, la société patriarcale sera non seulement plus forte, mais elle aura aussi renforcé son alliance avec le système capitaliste dans le but de diviser les travailleurs sur des préjugés ethniques, raciales, culturels.
Non. L’ennemi de la femme occidentale est à la fois la société patriarcale musulmane, qui soumet les femmes sous couvert d’honneur et moralité, ainsi que la société patriarcale occidentale, qui s’accapare des luttes féministes et de leurs conquêtes d’hier pour miroiter une supériorité raciale du modèle occidental sur le modèle musulman, tout en continuant à nier aux femmes nombre de droits et d’avancées réelles (inégalité salariale, fermetures de centres d’IVG...).
L’ennemi de la femme musulmane est à la fois la société patriarcale occidentale, qui contraint les femmes à l’inégalité salariale, à l’orientation genrée de leurs parcours de vie et de travail, et qui utilise leurs victoires passées pour miroiter le faux-semblant d’une libération totale déjà obtenue, ainsi que la société patriarcale musulmane, qui les contraigne à la soumission tout en leur assurant que cela n’est fait que pour sauvegarder leur honneur et leur moralité.
Les deux sociétés patriarcales sont oppressives vis-à-vis des femmes. Elles veulent en contrôler le corps, la présence en société, la place dans les rapports de productions. Il n’est pas question d’établir à quel niveau une société est plus oppressive que l’autre. Le fait est que chacune s’appuie sur les vestiges de ses traditions, sur les contradictions des époques antérieures qui n’ont pas encore trouvé de dépassement aujourd’hui, pour renforcer l’oppression des femmes. Pire encore, les deux sociétés patriarcales s’alimentent l’une l’autre dans le faux-semblant de leur combat mutuel. Dans celui-ci, le seules perdantes sont encore une fois les femmes, lorsqu’elles portent des préjugées et luttent les unes contre les autres au lieu de s’attaquer à un ennemi commun.
Centralité de la question de classe dans la lutte féministe et anti-raciste et tâches des communistes
Pourtant, le constat ne peut pas s’arrêter là. Nous avons parlé de sociétés, nous avons abordé les liens fraternels entre patriarcat et capitalisme, nous avons introduit la question de la division des travailleurs avec des débats ad hoc comme celui sur le burkini. Justement, les sociétés contemporaines ne sont pas seulement imprégnées de la domination patriarcale. Cette dernière existe et s’alimente mutuellement avec la société capitaliste et donc de la division de classe qu’elle opère.
Derrière la référence au fait culturel il y a toujours un point de vue de classe. Dans la lutte féministe tout comme dans la lutte anti-raciste, nous ne pouvons pas nous contenter d’un point de vue bourgeois. La bourgeoisie rêve de détacher la lutte des femmes des questions du travail. Le progressisme bourgeois ne peut aller plus loin que l’adoption de quelques lois formelles sur les droits civils, incapables de résoudre les contradictions de la position des femmes dans les rapports économiques. La conception bourgeoise de la République tente de résoudre la question du racisme dans une laicité et un vivre ensemble formels, déclaratoires, mais elle n’hésite pas à ressortir la division raciale lorsqu’elle est utile pour diviser les travailleurs et éloigner le spectre de leur union internationale contre son système économique, contre le capitalisme. Cela devient même la norme dans les situations d’exception comme dans l’état d’urgence en France, où la lutte contre le terrorisme se réclamant du monde musulman devient le prétexte pour un autoritarisme qui est à la fois contrôle social et contrôle racial. Le progressisme bourgeois n’est pas capable d’aller plus loin que des déclarations de choc et scandale lorsque des agissements racistes ont lieu. Il fait appel à des valeurs dont il ignore la mise en pratique et il prône alors une tolérance vide qui ne s’attaque pas aux causes qui la rendent inopérationnelle.
La tâche des communistes est de remettre au goût du jour un point de vue de classe dans les combats féministes et anti-racistes, de soulever les liens indissolubles que ces deux luttes entretiennent. Dans l’affaire du burkini, la question du racisme va de pair avec celle de l’oppression des femmes. Le racisme est l’instrument de la classe capitaliste pour diviser les travailleurs. La défense du modèle de la femme occidentale est un argument qui vient justifier ce racisme nécessaire pour la société capitaliste, et qui permet à la société patriarcale de diviser les femmes sur des bases culturelles et empêcher leur lutte commune.
La tâche des communistes est de ne pas mener une lutte sans en oublier une autre. Nous ne pouvons pas mener le combat anti-raciste de manière bourgeoise, en parlant seulement de tolérance et de respect entre cultures, en oubliant le fait inconstestable que ce racisme et cette peur de choc de civilisations sont une construction de la classe capitaliste pour diviser les travailleurs. Nous ne pouvons pas mener le combat pour la libération des femmes sans oublier que burqa et burkini en représentent une soumission objective et ne font qu’adapter la non-liberté du corps des femmes aux différentes situations sociales qu’elles vivent. Nous avons la tâche de lutter tant pour que les femmes musulmanes se libèrent des pratiques oppressives comme le burqa, tant pour la fin de l’islamophobie que l’instrumentalisation de ces vêtements alimente. Nous avons la tâche de lutter tant pour que les femmes occidentales se libèrent des inégalités qu’elles vivent aujourd’hui, tant pour la fin des attaques qu’elles subissent quant à la prétendue immoralité de leur degré de contrôle de leur corps. Nous ne nous opposons pas au voile parce qu’il est contraire aux valeurs de la République bourgeoise et à sa laicité formelle, nous nous y opposons parce qu’il est un instrument du système patriarcal pour opprimer les femmes et empêcher leur émancipation (en quoi le fait qu’une femme doit porter le voile pour cacher son corps des regards autrui répresente-il une liberté ?). Nous ne nous opposons pas au racisme parce qu’il est contraire aux valeurs de la République bourgeoise et à son égalité formelle, nous nous y opposons parce qu’il est un instrument d’oppression du système capitaliste et de division de la classe opprimée.
Dans cette lutte, nous ne devons pas tomber dans les pièges que certains groupuscules envisagent d’ores et déjà. Le premier de ces pièges, c’est de vouloir montrer sa solidarité avec les musulmans en portant le voile ou le burkini comme symbole de soutien. Tout comme nous n’avons pas obtenu des avancées pour les femmes en Occident en allant manifester seins nus, nous ne trouvons aucune raison de fierté révolutionnaire ni aucune utilité stratégique à porter le voile, puisque nous combattrions l’islamophobie tout en utilisant un symbole d’oppression des femmes dans le monde musulman. Les deux luttes ne peuvent pas être détachées : les femmes de Manbij après la libération de la ville ont brûlé leurs voiles pour marquer l’émancipation d’un symbole profondement réactionnaire. Si les femmes de Manbij brûlent le voile en signe de victoire, nous ne voyons pas en quoi nous le devrions porter dans nos luttes. Nous nous battrons alors pour qu’une femme puisse certes se balader dans la rue ou se rendre à la plage avec le voile liberée de toute islamophobie, mais nous nous battrons aussi pour qu’elle puisse se libérer du voile et avancer dans le parcours d’émancipation. Les deux luttes ne sont ni hiérarchiques, ni incompatibles.
Dans cette démarche, nous n’oublions pas que le degré de liberté en public que l’on prétend accorder aux femmes occidentales est lui aussi soumis à nombre de stéréotypes sexistes auxquels cette dernières devraient répondre. Faire progresser la lutte des femmes musulmanes contre le porte du voile ne nous fera pas oublier la lutte des femmes occidentales contre les stéréotypes physiques, psychologiques et vestimentiaires que la société capitaliste veut leur imposer, dans sa logique éternelle de marchandisation du corps de la femme.
Le deuxième de ces pièges, c’est de vouloir construir des fronts de lutte dissociés les uns des autres. La division par « branches d’oppression », et son effet d’hiérachisation d’une oppression à l’autre, est exactement ce dont la classe dominante rêve pour éparpiller la classe opprimée et la rendre inefficace. La non-mixité, lorsqu’elle provoque cette hiérarchisation des oppressions, serait un retour en arrière par rapport aux succès des partis et syndicats révolutionnaires en termes organisationnels. C’est pour cela qu’un combat historique des organisations communistes a été de trouver une réponse pratique au célèbre mot d’ordre « prolétaires de tous les pays, unissez-vous »[4]. Cela a été le combat pour l’accès des femmes aux organisations de la classe ouvrière, alors que la morale bourgeoise voyait de mauvais œil la mixité des organisations politiques et que le système institutionnel ne prévoyait pour les femmes ni le droit de vote ni le droit de se porter candidates. L’unité de toute sorte d’opprimés qui s’opère au sein de l’organisation révolutionnaire n’exclut pas, dans son développement et dans certaines conditions matérielles, la constitution de fronts de lutte spécifiques. Le cas du PKK est en ce sens éclarcissant, puisqu’il réalise l’unité des femmes et des hommes vers un objectif révolutionnaire commun, tout en favorisant au sein de la même organisation la création de deux unités différentes et non-hiérarchiques.
Le combat pour la mixité a été également celui pour l’accès des non-occidentaux aux organisations de la classe ouvrière, alors que les luttes de décolonisation sécouaient les pays impérialistes et développaient en leur sein des vagues de racisme. Comme Ho Chi Minh n’a pas ressenti le besoin de créer un cadre non-mixte pendant son expérience à l’UEC dans les années 1920, alors que la société bourgeoise de l’époque véhiculait l’infériorité des populations asiatiques du fait de leur colonisation, nous ne ressentons pas le besoin de diviser l’organisation révolutionnaire par branches du point de vue de l’éthnie. Le combat de Melvin B. Tolson, le combat de toute sa vie pour créer une organisation syndicale réunissant les paysans exploités blancs et noirs du Sud des Etats-Unis dans les années 1930, aurait été vain si aujourd’hui la classe ouvrière américaine se divisait en fonction de la couleur de sa peau pensant ainsi mieux lutter contre le système capitaliste. C’est déjà et en premier lieu au sein de l’organisation révolutionnaire que nous travaillons au dépassement des divisions de toute sorte, pour créer le premier noyau indispensable à cette solidarité internationale qui pourra faire tomber toutes les divisions qui fondent les systèmes capitaliste et patriarcal.
La mixité ne signifie pas que les hommes s’exprimeront à la place des femmes, que les occidentaux s’exprimeront à la place des non-occidentaux, et ainsi de suite. La mixité signifie que c’est seulement avec le partage des expériences d’oppression et de lutte que nos différences de naissance trouverons une unité de combat. Comment voulons-nous créer une société de fraternité et de coopération demain si aujourd’hui nous ne sommes pas capables de lutter ensemble sans se diviser dans les milliers de spécificités de nos oppressions ? Si l’image de la société émancipée de demain se trouve déjà dans les luttes réelles d’aujourd’hui, l’organisation révolutionnaire a le devoir de dépasser d’abord au sein d’elle-même les oppressions du capitalisme et du patriarcat.
Pour répondre à nos ambitions et atteindre nos objectifs, nous soutenons les efforts de la classe opprimée pour la construction d’une solidarité internationale, à la fois au sein de chaque État et dans le monde entier. Cette solidarité doit reconnaître la nécessité de combattre le système capitaliste sans devoir d’abord regarder si les femmes issues d’une telle ou telle culture doivent encore « se libérer » ou pas. Cette solidarité doit au contraire créer le cadre pour que la lutte anti-capitaliste devienne indéfectiblement une lutte anti-patriarcale. Dans la solidarité internationale, les classes ouvrières occidentales et musulmanes combattront côte à côte pour mettre en échec le système capitaliste, qui s’abat tant sur les travailleurs que sur les travailleuses, et soutiendront le combat des femmes pour mettre fin au système patriarcal. En s’attaquant au capitalisme, nous nous attaquerons au patriarcat. En s’attaquant au patriarcat, nous nous attaquerons au capitalisme.
La tâche des communistes reste la même depuis toujours. Nous voulons rassembler les classes opprimées de toute origine pour lutter contre les systèmes de domination. Nous les détruirons tous, ou nous ne les détruirons pas.
Lola ROMIEUX pour le MJCF 67
En annexe, pour aller plus loin dans la réflexion, nous proposons ici quelques passages de Socialisme et Religion de Lénine :
« Nous exigeons que la religion soit une affaire privée vis-à-vis de l'État, mais nous ne pouvons en aucune façon considérer la religion comme une affaire privée en ce qui concerne notre propre Parti. L'État ne doit pas se mêler de religion, les sociétés religieuses ne doivent pas être liées au pouvoir d'État. Chacun doit être parfaitement libre de professer n'importe quelle religion ou de n'en reconnaître aucune [...] Aucune différence de droits civiques motivée par des croyances religieuses ne doit être tolérée. Toute mention de la confession des citoyens dans les papiers officiels doit être incontestablement supprimée. L'État ne doit accorder aucune subvention ni à l'Église ni aux associations confessionnelles ou religieuses, qui doivent devenir des associations de citoyens coreligionnaires, entièrement libres et indépendantes à l'égard du pouvoir.
[...]
Par rapport au parti du prolétariat socialiste, la religion n'est pas une affaire privée. Notre Parti est une association de militants conscients d'avant-garde, combattant pour l'émancipation de la classe ouvrière. Cette association ne peut pas et ne doit pas rester indifférente à l'inconscience, à l'ignorance ou à l'obscurantisme revêtant la forme de croyances religieuses. Nous réclamons la séparation complète de l'Église et de l'État afin de combattre le brouillard de la religion avec des armes purement et exclusivement idéologiques : notre presse, notre propagande. Mais notre association [...] s'est donné pour but, entre autres, de combattre tout abêtissement religieux des ouvriers. Pour nous, la lutte des idées n'est pas une affaire privée ; elle intéresse tout le Parti, tout le prolétariat.
Mais puisqu'il en est ainsi, pourquoi ne nous déclarons-nous pas athées dans notre programme ? Pourquoi n'interdisons-nous pas aux chrétiens et aux croyants l'entrée de notre Parti ?
La réponse à cette question fera ressortir la différence très importante des points de vue de la démocratie bourgeoise et de la social-démocratie sur la religion.
Notre programme est fondé tout entier sur une philosophie scientifique, rigoureusement matérialiste. Pour expliquer notre programme il est donc nécessaire d'expliquer les véritables racines historiques et économiques du brouillard religieux. Notre propagande comprend nécessairement celle de l'athéisme ; et la publication à cette fin d'une littérature scientifique que le régime autocratique et féodal a proscrite et poursuivie sévèrement jusqu'à ce jour doit devenir maintenant une des branches de l'activité de notre Parti. [...]
Mais en aucun cas nous ne devons nous fourvoyer dans les abstractions idéalistes de ceux qui posent le problème religieux on termes de « raison pure », en dehors de la lutte de classe, comme font souvent les démocrates radicaux issus de la bourgeoisie. Il serait absurde de croire que, dans une société fondée sur l'oppression sans bornes et l'abrutissement des masses ouvrières, les préjugés religieux puissent être dissipés par la seule propagande. Oublier que l'oppression religieuse de l'humanité n'est que le produit et le reflet de l'oppression économique au sein de la société serait faire preuve de médiocrité bourgeoise. Ni les livres ni la propagande n'éclaireront le prolétariat s'il n'est pas éclairé par la lutte qu'il soutient lui-même contre les forces ténébreuses du capitalisme. L'unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l'unité d'opinion des prolétaires sur le paradis du ciel.
Voilà pourquoi, dans notre programme, nous ne proclamons pas et nous ne devons pas proclamer notre athéisme ; voilà pourquoi nous n'interdisons pas et ne devons pas interdire aux prolétaires, qui ont conservé tels ou tels restes de leurs anciens préjugés, de se rapprocher de notre Parti. Nous préconiserons toujours la conception scientifique du monde ; il est indispensable que nous luttions contre l'inconséquence de certains « chrétiens », mais cela ne veut pas du tout dire qu'il faille mettre la question religieuse au premier plan, place qui ne lui appartient pas ; qu'il faille laisser diviser les forces engagées dans la lutte politique et économique véritablement révolutionnaire au nom d'opinions de troisième ordre ou de chimères, qui perdent rapidement toute valeur politique et sont très vite reléguées à la chambre de débarras, par le cours même de l'évolution économique.
La bourgeoisie réactionnaire a partout eu soin d'attiser les haines religieuses [...] pour attirer de ce côté l'attention des masses et les détourner des problèmes économiques et politiques réellement fondamentaux, problèmes que résout maintenant le prolétariat, qui s'unit pratiquement dans sa lutte révolutionnaire.
Le prolétariat révolutionnaire finira par imposer que la religion devienne pour l'État une affaire vraiment privée. Et, dans ce régime politique débarrassé de la moisissure médiévale, le prolétariat engagera une lutte large et ouverte pour la suppression de l'esclavage économique, cause véritable de l'abêtissement religieux de l'humanité.[5]