De la misère en milieu étudiant - 50 ans après : héritage, critique et actualité du situationnisme

Publié le 22 Novembre 2016

De la misère en milieu étudiant - 50 ans après : héritage, critique et actualité du situationnisme

Le 21 novembre, l'UEC Strasbourg est intervenue à la table-ronde "De la misère en milieu étudiant : héritage et actualité" (salle Pasteur, Palais Universitaire), dans le cadre de la semaine "Trajectoire situationniste" organisée par le SUAC de l'Université de Strasbourg (le programme complet : http://trajectoire-situationniste.unistra.fr/).

Nous publions ici notre contribution au débat pour cette semaine culturelle à l'occasion du 50ème anniversaire de la parution du manifeste de l'Internationale Situationniste "De la misère en milieu étudiant" (Strasbourg, 1966).

 

 I) La mémoire du mouvement situationniste à l’UEC

Il ne reste pas de traces du mouvement situationniste dans notre mouvement tant au niveau local que national. Le mouvement situationniste n’a été qu’un feu de paille, nous avons le sentiment d’être tout à fait extérieur à son histoire. Nous n’avons jamais partagé quoi que ce soit avec le mouvement situationniste, c’est tout le contraire. En revanche, le situationnisme marque de manière subliminale l’UEC comme le dit Gérard Streiff (ancien responsable du cercle de l’IEP à l'UEC Strasbourg en 1968, auteur et dirigeant national du PCF) dans son roman La Collection, mais le mouvement situationniste déjà mort à l’époque. Des "tentations situationnistes" peuvent toucher des membres de l'UEC dans les années 1966-1968, notamment autour du principe de déconstruction de l'université. Pourtant, la montée de courants maoistes au sein des organisations communistes en Occident, à l'époque de la Révolution Culturelle chinoise, sera un frein au développement des positions situationnistes : dans une époque trouble pour notre organisation, les quelques membres qui quittent l'UEC se tournent plutôt du côté maoiste, alors que les situationnistes critiquaient fortement ce courant (Mao étant mis au meme plan qu'un Krouchtchev et accusé de stalinisme, la Révolution Culturelle étant considérée comme « menée par la bureaucratie la plus gigantesque des temps modernes »). 

La critique du mouvement situationniste à l'égard de l'UEC est plutôt simple : nous sommes une organisation réformiste, gangrénée par la bureaucratie et totalitaire, car nous imposons tout à nos militants « sans cervelle ». Également idéologie « pétrifiée », nous participerions à la consolidation de la société capitaliste et à la défense irréfléchie de l’URSS. Le situationnisme critique surtout des principes du léninisme concernant l’organisation, les situationnistes voulant construire leur société sur les ruines du « stalinisme ». C'est assez drôle de constater que les situationnistes nous qualifient « d’organisation mourante » en voyant leur destinée. De même les voir parler de « pouvoir ouvrier » alors que la majorité des ouvriers sont dans les organisations communistes et pas dans leur milieu petit-bourgeois. L'accusation également formulée à l’égard des communistes « staliniens » est de ne pas avoir pris le pouvoir après 1945. Les situationnistes s’insèrent dans une critique « gauchiste » typique du mouvement communiste et du « stalinisme », n’apportant pas de critiques constructives au débat. Critiques qui n’ont pas eu lieu d’être à l’époque, pas plus qu’aujourd’hui.

 

II) Actualité de la « misère étudiante »

La première constatation du manifeste des situationnistes, que l’étudiant est méprisé dans la société, est pourtant plutôt vraie encore aujourd’hui. La réflexion sur l’extrême pauvreté des étudiants est à notre sens toujours une réalité. Même si de nos jours les origines sociales des étudiants ont quelque peu évoluées, notamment grâce à la « démocratisation » de l’université peuplée essentiellement de petit-bourgeois avant mai 1968. 

On dit souvent que les étudiants sont des paresseux, qu'ils passent leur temps à sortir et à faire la fête. La réalité est bien différente : aujourd'hui, la majorité des étudiants vivent dans une situation de précarité. Plus d'un étudiant sur deux est obligé de se salarier pour financer ses études. Ce problème devient considérable lorsqu'on sait que les jobs étudiants sont la première cause d'échec dans les études. Quand un étudiant doit aller au travail pendant ses heures de cours ou pendant son temps libre, on voit clairement le désavantage qu'il subit. Peut-être certains diront-ils que des aides existent déjà ? Seulement 30% des étudiants ont accès aux bourses. Par conséquent, nombre d'étudiants doivent vivre aux dépens de leurs parents (plus de détails dans notre article : http://uecstrasbourg.over-blog.com/2016/10/finissons-en-avec-la-precarite-etudiante-luttons-pour-le-salaire-etudiant.html).

Il est vrai également que l’étudiant est conditionné par l’université à servir les besoins de la société capitaliste. Encore plus aujourd’hui avec la soumission de l’université aux exigences des entreprises qui se fait omniprésente. Sur la soumission de l’appareil universitaire aux besoins de l’appareil productif capitaliste, nous ne pouvons qu’être d’accord.

Pourtant, la politisation des étudiants est bien moindre aujourd’hui qu’à l’époque de la rédaction du manifeste. De même que la place de la religion, alors que les situationnistes parlaient « des prêtres-étudiants continuent à sodomiser, sans se cacher, des milliers d’étudiants dans leurs chiottes spirituelles ». Réflexion tout à fait exquise, à l’image de leur ex-meneur Daniel Cohn-Bendit.

 

III) Solutions du manifeste

Quelles solutions concrètes propose le manifeste des situationnistes à part de l’incantation intellectualiste ? Ils forment leur socle sur leur haine viscérale des bolchéviques, des théories de Lénine, et des « staliniens ». Le résultat est une longue liste de logorrhées stériles, rien de tangible. Leurs analyses sont très proches du "communisme de conseils", mais dans une vision complètement pervertie, qui fait abstraction de la lutte des classes : loin des formulations de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht (qui est pourtant cité dans le manifeste), les situationnistes idolâtrent les Conseils Ouvriers sans se rendre compte qu'un Conseil Ouvrier en soi n'est pas la garantie d'adoption d'une perspective révolutionnaire. L'exemple des conseils ouvriers de novembre 1918 pendant la Révolution allemande est manifeste : ces conseils étant gangrenés par la social-démocratie, il a fallu un travail formidable des communistes au sein des conseils pour rendre hégémonique la perspective de rupture révolutionnaire avec le système capitaliste et arriver à l'insurrection armée de janvier 1919. Sans organisation communiste travaillant avec et au sein des conseils, ces derniers se seraient contentés d'entériner l'option de co-gestion du pouvoir étatique avec le grand capital et l'appareil militaire telle que proposée par le SPD.

Néanmoins, nous restons d’accord avec les situationnistes sur des principes fondamentaux de notre visée révolutionnaire, comme la fin de la société de classe ou l’autogestion des outils de production par les travailleurs. Quant à la suppression du travail et au slogan situationniste "Ne travaillez jamais", justifié de leur point de vue par un refus du "travail abstrait" dans la continuité des travaux de Karl Marx, nous trouvons qu'il s'agit d'une erreur tactique, ne s'attaquant pas au travail dans sa forme actuelle, capitaliste, du salariat et renforçant ainsi les stéréotypes que l'idéologie dominante véhicule à l'égard des étudiants (féignants, enfants gâtés...) pour diviser leurs luttes de celles des travailleurs.

La vision que porte l'UEC de la solution contre la misère étudiante consiste dans l'adoption de mesures d’urgence comme le salaire étudiant afin de garantir un revenu à chacun, la nationalisation des logements étudiants pour garantir à tous le droit à un logement digne et mettre fin à la spéculation sur les chambres étudiantes privées. La lutte pour la fin de l’austérité et de la casse dans les universités publiques est une priorité, en engageant des moyens dignes de ce nom ou encore la reconnaissance de nos diplômes dans le monde du travail.

Nous constatons enfin que nombre de mouvements de l'ultra-gauche, 50 ans après l'échec du situationnisme, n'ont pas encore su dépasser le stade de la critique et proposer les voies du changement, au delà d'un simple appel aux barricades. Tout mot d'ordre sur lequel mobiliser les étudiants pour des victoires immédiates (nécessaires pourtant à l'élévation de la conscience de classe ainsi qu'à l'espoir nécessaire pour toute action révolutionnaire) est considéré comme réformiste. Et au final, lorsque l'ultra-gauche s'interroge sur les solutions à proposer pour le milieu étudiant après des décennies de défaites, elle finit, comme le montre de manière emblématique l'article de Paris Luttes Info (https://paris-luttes.info/misere-perpetuelle-en-milieu-6751?lang=fr) sur les 50 ans du manifeste situationniste, à adopter la même revendication que les organisations réformistes (UNEF, FAGE) : puisque un salaire étudiant est utopique dans l'état actuel de crise du système capitaliste, il faut se contenter de demander une simple augmentation des bourses. Une logique caritative qui ne fait que prolonger la non reconnaissance de la place des étudiants dans les rapports de production comme étant des travailleurs en formation, des futurs salariés exploités, et qui entrave l'alliance étudiants-travailleurs dans la lutte pour la réappropriation des moyens de production.

 

Union des Etudiants Communistes de Strasbourg

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Le texte du pamphlet "De la misère en milieu étudiant" (1966)

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