Victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine : d’un populisme à un autre…
Publié le 12 Novembre 2016
Dans la nuit du 8 au 9 novembre, on a vu les visages des partisans d’Hillary Clinton se décomposer à mesure que les résultats des élections étaient dévoilés : au petit matin, Donald Trump était déclaré vainqueur de l’élection présidentielle, avec une avance relativement confortable sur sa rivale. Ces derniers temps, tout a été fait pour caricaturer un personnage déjà caricatural, si bien que tout le petit monde médiatique, aux Etats-Unis comme en France, semblaient prendre pour acquis le fait qu’Hillary Clinton serait la prochaine présidente du pays.
Les réactions ne se sont pas faites attendre et on a vu fleurir, tant sur les réseaux sociaux que sur les plateaux de télévision, la rengaine qui nous avait déjà été servie après le vote des Britanniques sur le Brexit : l’électorat de Trump est plutôt moins diplômé que la moyenne, manière détournée, mais parfois aussi assumée, de dire qu’il faut être bête pour voter pour lui. Loin de cette posture stérile, il faut analyser les faits, les causes et les conséquences de cet événement politique majeur.
Le bilan d’Obama : huit années au service des puissants
Si Trump a gagné l’élection, c’est d’abord parce que les électeurs ont jugé la candidate démocrate sur le bilan de son prédécesseur Barack Obama. Et force est de constater que ce bilan est loin d’être reluisant. Dès l’élection de celui-ci, les médias se sont donnés pour mission de le faire passer pour un président « cool », notamment en le mettant en scène avec sa famille. Le but était évidemment de faire en sorte que le peuple s’intéresse plus à sa personne qu’à ses propositions et à son action politique. Et cela a, dans une certaine mesure, marché. C’est notamment le cas au sein d’une partie de la jeunesse étasunienne diplômée, mais aussi au sein de toute la population occidentale : en France et dans le reste de l’Europe, Obama est devenu une icône de la pop culture. Mais cette belle image ne résiste pas à l’épreuve des faits.
La présidence d’Obama, c’est avant tout une volonté féroce d’imposer le libre-échange partout où cela est possible. C’est notamment Obama qui a poussé les négociations des divers traités de libre-échange partout dans le monde, tant avec l’Europe (via le TAFTA) qu’avec l’accord de libre-échange transpacifique (volonté très partagée par la secrétaire d'état Hillary Clinton). Peu importe la région du monde, la volonté est toujours la même : il s’agit d’offrir aux entreprises étasuniennes un environnement économique favorable pour engendrer toujours plus de profits, au détriment des classes populaires. Outre les traités de libre-échange, la volonté d’Obama d’étendre le domaine du capitalisme s’est également illustrée avec le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba. Si ce sont des arguments d’amitié entre les peuples qui ont été avancés par son administration, le projet d’Obama est de faire de l’île caribéenne ce qu’elle était avant la révolution castriste : un gigantesque parc d’attractions pour les américains fortunés avides de prostitués et de drogue. Les Américains ont bien senti cela, et c’est ce qui explique la dimension « antilibérale » du discours de Trump, qui s’oppose vivement aux accords de libre-échange avec les autres continents et propose une politique protectionniste à l’encontre de la globalisation économique qui ne fait que jeter les peuples les uns contre les autres d’une manière toujours plus violente.
L’une des principales mesures dite « de gauche » que l’on attribue à Barack Obama est sa réforme du système d’assurance-maladie, que l’on appelle couramment l’Obamacare. Le nom est déjà, en lui-même, révélateur du fait qu’Obama était un président américain comme un autre, avide de laisser sa trace dans l’histoire du pays : en France, le système de sécurité sociale est-il surnommé l’AmbroiseCroizatcare ? Concrètement, cette mesure consiste en la mise en place d’un marché réglementé de l’assurance sociale, dans un pays où seulement 60% de la population est couverte via des assurances privées. Si cette mesure a pu profiter aux classes populaires dans un premier temps, elles s’en mordent aujourd’hui les doigts : les tarifs des assurances ont fortement augmenté, jusqu’à plus de 30% dans certains Etats comme la Géorgie. Ceci s’explique par le fait que les assureurs ont les mains complètement libres : Obama n’a pas cherché à imposer de règlementations trop lourdes, de peur de heurter les potentats du big business qui font et défont les opinions dans le pays. Il est certain que l’échec de cette mesure a joué lors de la campagne électorale : Trump a fondé une partie de son discours sur la nécessité de supprimer ce système, qu’il juge inefficace et trop cher. Le peuple ne s’y est pas trompé, et a donc choisi de sanctionner cette mesure.
Enfin, le dernier point saillant du bilan désastreux d’Obama est sa politique étrangère. En effet, ses deux mandats ont été marqués par une flambée de violence dans le monde, à laquelle son administration est loin d’être étrangère. En Europe, Obama a soutenu le gouvernement fasciste ukrainien qui, aujourd’hui encore, massacre des populations civiles et promeut une politique xénophobe et antisociale. Au Moyen-Orient et au Maghreb, il a soutenu bec et ongles le « printemps arabe » et a plongé plusieurs pays dans le chaos le plus total : on peut notamment évoquer la Libye où la population est désormais partagée entre Daesh, des tribus violentes, et des militaires autoritaires. En Syrie aussi, le soutien affiché de Barack Obama à une rébellion majoritairement composée d’islamistes radicaux a conduit à la mort de plusieurs centaines de milliers de civils. Il quitte donc la Maison Blanche avec le sentiment du devoir accompli : le chaos règne dans une multitude de pays et, en attendant, les profits continuent de croître. Comme pour les points précédents Trump a joué sur la colère populaire liée à ces interventions qui sont de plus en plus critiquées, en dénonçant l’interventionnisme américain et en promettant qu’avec lui, les Etats-Unis n’iraient plus s’engager dans des conflits qui ne les concernent pas. Trump devrait donc s'inscrire dans la lignée des présidents isolationnistes. Cependant, cette supposition est à prendre avec des pincettes, car, loin d’être un humaniste, M. Trump défendra de toutes ses forces les intérêts de l’impérialisme américain. N'oublions pas qu'il s'agissait de l'un des points principaux de sa campagne, maintenir les États-Unis au rang de « première puissance mondiale » et donner les moyens à ce pays de s'imposer face aux autres géants, notamment la Chine sur laquelle nous reviendrons. Trump avait également indiqué à plusieurs reprises, sa volonté de renforcer les relations qu’entretiennent la Maison Blanche et le Kremlin. Suite à la victoire de Trump, Vladimir Poutine a immédiatement déclaré être favorable a ce rapprochement russo-étasunnien. Nous serions tentés d'espérer que ce rapprochement apaiserait les tensions, mais rien n'est moins sûr, car, M. Trump, tout comme M. Poutine, sont des adulateurs inconditionnels de l'arsenal militaire et nucléaire, et Trump, loin de vouloir démilitariser le pays, (comme certains auraient tendance à le croire du fait de son côté isolationniste) avait déjà promis le renouvellement de plusieurs classes de SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins). La diplomatie dans son ensemble, que Trump adoptera à l'égard du monde reste un sujet flou, du fait des ses déclarations « chocs », et du profil psychologique instable du personnage. Les relations qu'il entretiendra avec la Chine posent réellement question. En effet, sur un plan économique d'abord, la Chine est nettement l'adversaire pointée du doigt, étant tantôt qualifiée de conspiratrice ayant inventé le réchauffement climatique, tantôt de voleuse d'entreprises. Mais le point le plus inquiétant est celui des relations diplomatiques sino-étasuniennes. Depuis maintenant quelques années, les tensions en Mer de Chine augmentent de manière plus qu’effrayante. La Chine, ne cachant désormais plus son ambition de devenir le leadership mondial, s'impose sur la scène internationale à coups de démonstrations militaires chocs et cela ne plait absolument pas à Washington, ce dernier s'appuyant sur son allié Philippin, et modernisant ses bases militaires présentes.pour garder son emprise sur la région (région sur laquelle la Chine a géographiquement plus de légitimité). Quelle position Trump prendra-t-il vis à vis de la Chine ? La question reste pour le moment en suspens.
On voit donc que le bilan d’Obama est tout sauf glorieux, et que s’il jouit encore d’une certaine aura populaire, la stratégie de Trump consistant à attaquer les points principaux de sa politique a porté ses fruits. Mais outre la faiblesse d’Obama, c’est aussi la candidature de Clinton qui est en cause dans la victoire de Trump.
Clinton candidate, l’assurance de la défaite
Le rejet suscité par la candidature d’Hillary Clinton s’explique en partie par le contexte dans lequel elle a été désignée, à la suite d’une primaire très disputée avec Bernie Sanders. S’il n’y avait strictement rien à attendre de ce dernier (comme nous l’écrivions il y a déjà plusieurs mois : http://uecstrasbourg.over-blog.com/2016/02/bernie-sanders-ou-l-eternel-retour-du-progressisme-americain.html), il a apporté un certain vent de fraîcheur dans un parti démocrate acquis depuis longtemps au néolibéralisme. D’où une primaire très disputée et extrêmement clivante : une partie des soutiens de Sanders ont refusé de se rallier à Clinton après la victoire de celle-ci, la jugeant trop proche du monde des affaires. Et de fait, Clinton fréquente les milieux dirigeants depuis plusieurs années afin de recueillir des fonds pour sa campagne : aux yeux d’une population profondément lassée par la corruption qui touche sa classe politique, Clinton apparaissait comme une incarnation de cet establishment tant décrié.
C’est cette même primaire qui a permis de confirmer ce que tout le monde savait déjà : Clinton est une corrompue de la pire espèce. Cela a notamment été révélé quelques jours avant le scrutin, où l’on a appris que la primaire n’avait pas été équitable : Clinton avait été informée des questions qui allaient lui être posées avant un débat télévisé avec Sanders. Cette affaire fut évidemment du pain bénit pour Trump qui, tout au long de la campagne, n’a cessé de dénoncer la corruption et la malhonnêteté d’Hillary Clinton. Cette affaire montre également que le parti démocrate est un astre mort : l’acharnement contre Bernie Sanders, pourtant loin d’être un radical, montre que rien de bon ne peut sortir de ce parti.
Si le bilan d’Obama a pesé dans la balance, il ne faut pas oublier que Clinton a, elle aussi, un bilan. Elle a en effet été la Secrétaire d’Etat (équivalent du Ministère des Affaires Etrangères en France) de Barack Obama. Et le bilan est accablant. Hillary Clinton a notamment été un pilier de la politique américaine au Moyen-Orient et au Maghreb, où elle a appuyé coûte que coûte les mouvements dangereux issus du « printemps arabe ». Des images absolument choquantes d’elles ont été filmées, alors qu’elle se préparait pour une interview. Apprenant la mort du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, traîné dans la rue et roué de coups comme un animal, elle ne peut réprimer un sourire, avant de déclarer « We came, we saw, he died. » (« Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort. »). Se réjouir ainsi publiquement, et avec un tel détachement, à la vue d’un pays qui sombre dans le chaos et la guerre civile témoigne d’un cynisme sans nom. Le peuple américain a sanctionné cela en louant l’isolationnisme de Trump.
Toujours sur le plan du bilan de Clinton, il est d’ailleurs assez ironique de voir qu’elle se pose en figure modèle du féminisme. Or, mis à part le fait qu’elle soit de sexe féminin, on a du mal à déterminer ce qui la lie aux femmes en lutte dans le monde pour leur émancipation de la tutelle patriarcale : seules Beyoncé et Katy Perry, qui lui ont apporté leur soutien, semblent y croire. Quelle crédibilité a-t-elle à se déclarer féministe alors qu’elle a soutenu, et soutient encore, des mouvements rétrogrades, islamistes notamment, qui veulent faire des femmes une marchandise comme une autre ?
Un pays divisé, une période sombre à venir pour le peuple américain
L’un des principaux enseignements que l’on peut tirer du scrutin, c’est qu’il existe bel et bien une césure profonde dans le pays.
D’un côté, l’Amérique des vainqueurs, des partisans de la mondialisation libérale : qu’ils soient riches ou non, ils sont souvent plus diplômés que la moyenne et vivent dans les grandes métropoles du pays, où se concentrent les fonctions décisionnelles et les secteurs-clé de l’économie mondialisée, notamment dans le domaine de l’innovation numérique. Or, ce sont ces franges du pays qui ont massivement voté Clinton : New York, ou encore la Californie et notamment les entrepreneurs de la Silicon Valley effrayés par l’antilibéralisme qui gênerait leur expansion dans le monde.
De l’autre, l’Amérique des vaincus, l’Amérique périphérique, celle de la rust belt (la « ceinture de rouille ») : une population majoritairement pauvre, frappée de plein fouet par la désindustrialisation et la montée des inégalités. Il est d’ailleurs intéressant de voir que dans ces Etats, une partie de ceux qui avaient voté pour Bernie Sanders à la primaire démocrate ont reporté leur suffrage sur Donald Trump lors de l’élection : ce qu’ils voulaient exprimer, ce n’était pas un attachement aux valeurs des démocrates ou aux valeurs des républicains, mais un rejet profond de cette mondialisation capitaliste, dont ils sentent qu’elle ne profite qu’à quelques-uns au détriment de tous les autres. Ces électeurs sont venus s’ajouter à l’électorat républicain traditionnel, plus conservateur et réactionnaire, ce qui a permis à Trump de rassembler au-delà des forces traditionnelles dont dispose son camp, compensant ainsi les pertes d’électeurs républicains qui ont voté pour Clinton par rejet du candidat de leur parti.
Pour ce qui est des conséquences de l’élection de Trump, il paraît encore trop tôt pour s’avancer : si son programme est particulièrement radical, voire violent sur certains points, des incertitudes demeurent. Dans le système politique américain, le président ne peut rien faire s’il n’a pas un minimum de poids au Sénat et à la Chambre des Représentants (l’équivalent de notre Parlement). Il est alors envisageable que Trump soit obligé d’édulcorer son discours. De plus, un très grand flou subsiste quant à la composition de sa future équipe gouvernementale, qui pourrait donner un indice sur la politique qu’il compte mener. On peut toutefois essayer de dégager quelques grandes tendances.
Concernant la politique intérieure, on peut s’attendre à quatre années de souffrances pour le peuple américain. Ces souffrances pourront être physiques, notamment pour les minorités ethniques ou les femmes. Si Trump n’a pas prévu d’autoriser de frapper les femmes dans son programme, ses propos insultants ont accru une misogynie et un racisme tenaces dans certaines franges de la population américaine, qui se sentiront alors légitimes pour s’en donner à cœur joie sur leurs boucs-émissaires. De même, si Trump passe pour un antilibéral sur le plan du commerce extérieur, il est ultralibéral sur le plan de la politique économique intérieure. Son programme prévoit notamment des baisses d’impôts massives en faveur des entreprises afin de les inciter à embaucher, selon les vieilles théories libérales bien connues, avec l’efficacité que l’on connaît… On peut donc présager que la population américaine va souffrir tant sur le plan économique que sur le plan sociétal.
Sur le plan international, le mandat de Trump sera peut-être un moment de répit pour les peuples en lutte dans le monde. En Europe, les négociations pour le TAFTA pourraient être gelées, ce qui permettrait au continent de ne pas être frappé par la violence de la vague néolibérale qui est prête à déferler. Au Moyen-Orient, la fin de l’ingérence américaine permettrait aux populations actuellement sous le joug des milices islamistes soutenues par les Etats-Unis de respirer un peu. Mais ces perspectives restent hypothétiques, a fortiori avec un homme aussi instable que Donald Trump aux manettes de la première puissance militaire du monde.
Que faire ?
Le constat est donc particulièrement sombre : le parti démocrate n’a rien à offrir, et l’accession au pouvoir de Trump suscite bien plus d’inquiétudes que d’espoirs. De plus, l’état actuel de la lutte des classes aux Etats-Unis ne permet pas d’espérer de changement majeur à court terme. Les classes populaires américaines sont profondément divisées, selon des logiques communautaires notamment, ce qui empêche toute unité d’action. Dès lors, le rôle des progressistes dans le reste du monde doit être de s’informer, d’être curieux, de chercher à comprendre la complexité de la société américaine pour abandonner les visions simplistes véhiculées par les médias de masse, qu’ils soient de droite ou de gauche. Une gauche anticapitaliste existe aux Etats-Unis, un Parti Communiste certes loin d’être radical peut également être un point d’appui dans la lutte : à chacun d’entre nous de relayer leurs actions pour populariser les luttes qui sont réelles dans ce pays, même si elles sont souvent passées sous silence, et de montrer notre solidarité avec le peuple américain qui ne se résigne pas !
L’autre axe d’action, c’est la mobilisation contre l’impérialisme américain sous toutes ses formes, pour faire vivre la solidarité internationale. Et les fronts de lutte actuellement ouverts ne manquent pas : lutte contre le TAFTA, contre les interventions américaines, contre les firmes américaines qui pratiquent l’évasion fiscale en Europe… C’est par la mobilisation collective que nous pourrons contrecarrer les projets néfastes du gouvernement américain, peu importe sa couleur politique.
Mais l’élection de Trump doit aussi être un signal d’alarme pour la gauche en Europe : il y a urgence à changer de discours et de modèle idéologique. Le réformisme bon teint hérité des Trente Glorieuses couplé à un européisme béat et à un soutien sans faille à la mondialisation forment un projet politique inaudible, irréaliste et profondément impopulaire. Pour reconstruire une gauche combattive, il faut arrêter de culpabiliser les électeurs comme le fait la classe médiatique. La question de la souveraineté nationale et populaire ne doit plus être un tabou : la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN sont des conditions indispensables à la mise en place d’une politique de progrès. Aux Etats-Unis et ailleurs, le peuple montre son aspiration à reprendre son destin en main : la responsabilité historique des progressistes est de ne pas laisser cette aspiration être captée par des xénophobes et des bourgeois qui se fichent des classes populaires. Ce n’est pas le peuple qu’il faut changer, c’est la gauche !
Mouvement des Jeunes Communistes du Bas-Rhin et Union des Etudiants Communistes de Strasbourg