Culture du viol : mieux la comprendre pour mieux la combattre
Publié le 20 Février 2017
Aujourd'hui, dans un système patriarcal des plus forts, la « culture du viol » fait partie intégrante de notre quotidien. La totalité de ses aspects est pour la plupart du temps invisible à nos yeux. C'est déjà cela le premier succès de la culture du viol : le fait même d'être devenue une culture, banalisée et ancrée dans les mœurs de la société, qui excuse, tolère voire approuve le viol et dont plus personne n'a conscience. Le mot « viol » lui-même reste tabou, secret, honteux: si cela serait surprenant pour un fait qui est pourtant si fréquent, cela ne l'est pas dès lors qu'on s'aperçoit que le viol n'est qu'un des outils dont dispose le système patriarcal pour rendre les hommes propriétaires des femmes et de leurs corps. Lors des rapports sexuels non-consentis, les viols, l'agresseur s'empare de la sexualité des femmes, il la leur arrache.
La culture du viol nie l'importance ou la nécessité du consentement féminin dans les rapports sexuels. Elle est véhiculée par des pratiques, des paroles, des affiches, des publicités, des vidéos... qui propagent le message que le viol n'est pas si grave que ça, en minimisant son atrocité, en le rendant banal, un « accident » du quotidien. Cela peut également passer par affirmer que le viol est rare. On sait pourtant qu'en France 16 % des femmes ont vécu un viol (plus de 75.000 femmes sont violées chaque année en France, une toute les sept minutes)1 ; 1 femme sur 10 sera victime de viol, d'agression sexuelle ou de tentative au cours de sa vie2. Ce sont des statistiques plus que minimes face à la réalité, puisque ces données reposent sur les plaintes déposées, alors qu'une large majorité ne porte pas plainte : seulement 10 % de victimes de viol ont déposé plainte3, 62% des femmes victimes de viol ont décidé de ne pas en informer ni la police ni la gendarmerie, et ceci pour s'éviter « des épreuves supplémentaires » (selon l'étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales - ONDRP)4. Au delà des obstacles matériels (coûts de la procédure, de l'avocat, etc), la culture du viol est précisément la raison de ce manque de plainte. L’accueil de la police en cas de dépôt de plainte est tout sauf adapté : elle rejette souvent la plainte, fait des remarques désobligeantes en affirmant que le cas en question ne peut pas être considéré comme un viol pour telles ou telles raisons qui font partie de la culture du viol. Certains policiers vont jusqu’à sous-entendre (et parfois l'affirment clairement) que les femmes victimes de viol « l’auraient cherché ». C’est ce que dénonce le tumblr « Paye Ta Police »5 qui regroupe des témoignages de personnes ayant subi des viols et qui ont fait face par la suite à des remarques des plus terrifiantes. Dans une situation pareil, il n'y a rien d'étonnant si le viol reste impuni par la société et par la ''Justice'' : moins de 2 % des violeurs sont condamnés en France, les peines sont rarement lourdes et beaucoup de plaintes aboutissent à des non-lieux6. Parallèlement, il n'y a rien d'étonnant si des femmes qui ont réussi à parler autour d'elles des agressions sexuelles subies, ou qui ont déposé plainte, se voient ensuite victimes de plaintes pour « diffamation » de la part de leurs agresseurs.
N'oublions pas que les minorités trans et handicapées sont les plus touchées par les agressions sexuelles : 1 personne transgenre sur 2 est agressée sexuellement ou attaquée à un moment de sa vie. Le handicap d’une personne peut l’empêcher de se défendre ou d’exprimer ce qu’elle a vécu.
Le rapport de classe n'est pas inexistant à ce moment présent. Tous les violeurs ne sont pas traités de la même manière. Si le violeur est un prolétaire, un jeune des quartiers populaires, il y aura plus de chances que la justice réagisse ; mais combien de cas sont restés impunis lorsque le violeur faisait partie de la classe bourgeoise, connaissait un juge, un avocat, un policier ? Lorsque ce sont des membres mêmes de la police qui violent, comme dans le cas de Théo Luhaka, nous avons vu quelle est la réponse de la justice.
La culture du viol touche également les hommes : selon la même culture, l'homme est toujours consentant, et lors d'un viol d'une femme sur un homme les réactions seront soit méprisantes (« Il aurait pu se défendre ») soit des plus déplacées (« Il a forcément aimé »). Oui, un homme peut être victime de viol (dans 10 % des cas la victime est un homme, souvent mineur au moment des faits7), et non il n'y a toujours pas de soi-disant plaisir dans l'acte du viol. De plus, lorsque un homme est victime de viol par un autre homme le sujet est encore plus tabou, la société imposant un sentiment de honte encore plus tenace.
Tout violeur quel qu'il soit doit être puni ! Et chaque victime doit être reconnue comme telle !
Par ailleurs, le viol est de plus en plus instrumentalisé pour propager xénophobie et haine raciale : comme dans le cas des agressions sexuelles du Nouvel An 2016 à Cologne, la bourgeoisie tire profit des cas de viol pour affirmer qu'il existerait des peuples composés structurellement par des violeurs et/ou propageant une culture du viol (les « autres ») et des peuples n'ayant rien à voir avec tout cela (« nous »).
Le système patriarcal propage tout simplement une méconnaissance totale de ce qu’est le consentement. En effet, une étude de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie a récemment révélé que 19% des interrogés pensent que lorsqu'une femme dit "non" à une proposition de relation sexuelle veut en fait dire "oui". Ou encore, 21% de jeunes de 18 à 24 ans estiment que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d'une relation sexuelle8. Si on ne sait pas ce qu'est le consentement, on ignore aussi ce qu’est le viol. Le viol conjugal est une autre réalité souvent occultée par la culture du viol. A croire que le viol n’est un viol que dans le cadre où il est perpétré par un inconnu en imperméable noir dans une petite ruelle sombre. Or, dans 80% des cas l’agresseur est connu de la victime, dans 50 % des cas il s'agit d'un membre de la famille ou de l'entourage proche, et dans 34 % des cas il s’avère être le conjoint9. Le fait d'avoir épousé ou être en couple avec quelqu'un ne signifie en aucun cas donner un consentement automatique à tout rapport sexuel.
D'autres nombreux éléments justifient, normalisent et donc excusent le viol dans la société. Que ce soit des publicités, comme celles tristement célèbres d'American Apparel, de Depiltech, de Johnny Farah, de Sisley, de Dolce&Gabbana, de Calvin Klein, de Belvedere Vodka, de Bagelstein etc. souvent censurées pour incitation au viol10. Que ce soit dans les programmes télé, où les agressions sexuelles sont banalisées derrière les rires des spectateurs et présentateurs, comme par exemple lors de l'agression sexuelle que Capucine Anav a subi de Cyril Hanouna dans l'émission Touche Pas à Mon Poste, ou encore celle que l'actrice Soraya Riffi a vécu par le chroniqueur Jean-Michel Maire dans la même émission. Même dans les jeux vidéo cette culture du viol est présente : par exemple, dans la saga de Tomb Rider, le personnage de Lara Croft subit un viol qui sera dénommé par la suite « calvaire charnel », sauf qu'il ne s'agit pas d'un calvaire charnel mais d'un viol pur et simple.
Il n'y rien d'étonnant si certaines associations étudiantes propagent elles aussi la culture du viol, par des affiches de soirées, des vidéos, des chansons, etc. Par méconnaissance totale de ce qu'est la culture du viol, ces associations osent encore se justifier : « ce n'était pas sérieux », « c'était pour rigoler », ou pire encore « c'est la tradition »11.
Nous pouvons aller bien sûr plus loin dans cette analyse, puisque l'existence même de certaines institutions comme celle de la prostitution favorisent la culture du viol. Rappelons-le, une femme qui est forcée par le système capitaliste de se prostituer pour vivre, et qui n'a en aucun cas de choix sur les hommes avec qui elle devra avoir ses rapports, sans oublier les violences commises trop fréquemment par le client sur la prostituée, tout cela ne relève en aucun cas du consentement ! Le fait que la misère du système capitaliste ne laisse d'autre choix à des femmes que de se prostituer ne signifie pas que leurs rapports sexuels soient consentants, puisqu'ils ont lieu sous contrainte matérielle (le besoin d'argent) ou d'intégrité physique (violences de la part des clients et des protecteurs).
Pour continuer, la pornographie autorisée et normalisée reste également un élément qui propage la culture du viol. La pornographie est en majorité une représentation du sexe pour les hommes, et du sexe violent, brutal, où le plaisir de la femme est soit mystifié soit complètement effacé au profit de celui d'un soi-disant fantasme masculin de forcer, violenter et humilier la femme. Cela n'est qu'un reflet de l'idée, bien trop généralisée, que le sexe n'est que pour l'homme. La pénétration serait un plaisir d'homme aux dépens de celui de la femme qui, elle, ne peut aimer cela. Cette idée, bien évidemment fausse, continue l'expansion de la culture du viol : si le sexe est pour l'homme, chaque fois qu'une femme a des rapports sexuels elle subit un viol.
La culture populaire affirme cette culture du viol. Dans le plus ridicule, il existerait un soi-disant fantasme de la femme d'être forcée. Dans quel lieu et monde une femme aurait plaisir à se faire violer ? N'est-ce pas plutôt un acte destructeur et traumatisant pour une femme ? Il n'y a aucun plaisir à se faire pénétrer par la force et dans la douleur. Il y a bien entendu les « mais » : « elle a bu », « elle était habillée de façon provocante », etc. Encore une fois ce sont des aberrations banalisées, puisque une pénétration quelle qu'elle soit, sans consentement, sous drogues ou alcool, sous menaces ou contraintes, est un viol. Le vocabulaire même pour parler de viol est ancré dans cette culture. Lorsque nous disons « une femme s'est faite violer », nous montrons cette responsabilité et culpabilisation que l'on porte à la victime, au lieu de porter l'attention sur le fait que « quelqu'un a violé ».
Alors nous le réaffirmons : une femme victime de viol n'est pas la fautive ! Il n'y a pas de « mais » possible, la façon dont elle s'est habillée, le fait qu'elle ait bu, ne sont en aucun cas des facteurs de cause : le violeur est le seul coupable !
Une société où le viol n'est même plus une surprise tellement il est banal, une société où on culpabilise une femme d'avoir été une victime de viol, une société qui rigole du viol, un système où sa police et sa justice humilient des femmes déjà meurtries est un système meurtrier !
Maintenant il faut se poser la question de pourquoi cette culture du viol et à quoi sert-elle ? Les violences sexuelles sont bien entendu un outil de contrôle, un moyen de dominer, humilier les femmes et les rendre dociles. La culture du viol apparaît alors d'elle-même : puisque la société viole, la culture du viol existe et est nécessaire pour approuver et excuser.
Les agressions sexuelles et le viol sont utilisés par les patrons sur les ouvrières, jouant sur la double domination de la femme (au sein des rapports de production capitalistes et des rapports de domination genrée dans le patriarcat). Avant que les femmes rentrent dans le monde du travail, les agressions sexuelles et le viol étaient utilisés pour les garder à la maison : la peur du viol et des violences sexuelles permettait au système capitaliste de garder les femmes à la maison en tant qu'outils pour qu'elles reproduisent la force de travail de l'homme, en lui faisant à manger, s'occupant de lui et des enfants, etc. Puis le système capitaliste a eu besoin des femmes au travail (d'abord suite à l'introduction du machinisme dans la grande industrie et ensuite pendant les périodes d'économie de guerre), et l'outil du viol à continuer d'exister mais à d'autres fins : contrôler la force de travail des femmes. On voit bien alors comment les rapports de production influencent et nourrissent la culture du viol : dès lors que l'on considère la femme comme un instrument (en tant que force de travail ou en tant que reproduction de la force de travail), quel besoin de lui accorder son mot à dire ?12
Le viol a historiquement servi d'instrument de répression à l'époque où la bourgeoisie mettait tout en œuvre pour enfermer les femmes à la maison et les mettre au bas du monde du travail, les écrasant sous l'autorité masculine : après les avoir dépossédées de toute propriété et existence juridique (XVIe siècle), après avoir détruit les métiers indépendants jusqu'alors occupés par des femmes (XVIIe siècle), le viol devient une pratique diffuse et licite à l'encontre des femmes qui ne sont pas mariées, qui ne sont pas au service d'un homme. C'est seulement en 1980 qu'une loi reconnaît le viol comme un crime en France.
Le viol sert également d'outil à l'impérialisme : en cas de guerre, violer les femmes d'un autre peuple a toujours été un moyen d'imposer domination et humiliation. De l'enlèvement des Sabines (acte fondateur de la Rome ancienne) aux viols de masse commis dans les conflits contemporains tant par des miliciens que par les armées régulières, le scénario est toujours le même.
Il est plus qu'urgent de lutter contre la culture du viol, contre la banalisation de ces agressions. Des dispositions immédiates peuvent être prises :
- La création de cellules d’écoute dans tous les lieux de travail et d'étude, afin que les victimes puissent être écoutées et non jugées. La meilleure façon de faire reculer la culture du viol c’est d’en parler, de définir clairement les limites du consentement.
- Lors des plaintes pour viol, mais aussi pour agression sexuelle, la police doit être accompagnée d'une association féministe spécialisée dans ces questions et qui surveille la prise en compte de la plainte ainsi que des éventuels propos tenus par les agents de police.
Bien entendu, ces dispositions ne proposent que des résultats partiels bien qu'immédiats. Tant que la société patriarcale continuera d'exister, la culture du viol en tant qu'un outil pour humilier, dominer et exploiter la femme existera. Tant que le système capitaliste continuera d'exister, la marchandisation des corps des femmes et leur objectivisation ne feront qu'alimenter la culture du viol. Le combat à mener cible à la fois le patriarcat et le capitalisme : il ne s'agit pas seulement de briser les liens fraternels que les deux systèmes entretiennent, mais bien de renverser les deux. Cela ne se fera pas sans la participation active des femmes au combat révolutionnaire avec leurs propres moyens d'auto-défense. Ce combat implique non seulement les femmes mais aussi les hommes.
Aucune victime de viol ne devrait avoir honte, car encore une fois le violeur est le seul fautif ! Il est temps que cela s’arrête. Face à la culture du viol, faisons front !
Mouvement des Jeunes Communistes du Bas-Rhin – groupe de travail Féminisme
1 Voir le site Contre le viol, « 10 idées reçues sur le viol » : http://www.contreleviol.fr/viol-en-france/10-idees-recues-sur-le-viol/
2 Voir Marianne, « Le viol en France, enquête sur un silence assourdissant » : http://www.marianne.net/Le-viol-en-France-enquete-sur-un-silence-assourdissant_a204395.html
3 Voir le site Contre le viol, « 10 idées reçues sur le viol » : http://www.contreleviol.fr/viol-en-france/10-idees-recues-sur-le-viol/
4 Voir Le Huffington Post, « En France, seule une victime de viol sur cinq va voir la police ou la gendarmerie » : http://www.huffingtonpost.fr/2017/02/08/une-victime-de-viol-sur-cinq-va-voir-la-police/
5 https://payetapolice.tumblr.com/
6 Voir le site Contre le viol, « 10 idées reçues sur le viol » : http://www.contreleviol.fr/viol-en-france/10-idees-recues-sur-le-viol/
7 Voir le site Contre le viol, « 10 idées reçues sur le viol » : http://www.contreleviol.fr/viol-en-france/10-idees-recues-sur-le-viol/
8 Voir Le Huffington Post, « Pour 27 % des Français, l'auteur d'un viol est moins responsable si la victime portait une tenue sexy » : http://www.huffingtonpost.fr/2016/02/29/francais-victime-viol-etude_n_9346702.html
9 Voir le site Contre le viol, « 10 idées reçues sur le viol » : http://www.contreleviol.fr/viol-en-france/10-idees-recues-sur-le-viol/
10 Pour avoir un aperçu des modalités avec lesquelles les publicités propagent le sexisme en général et la culture du viol en particulier, voir la vidéo de la campagne Women Not Objetcs : http://www.huffingtonpost.fr/2016/03/11/campagne-anti-objectivation-women-not-objects_n_9438320.html)
11 Pour prendre des exemples récents à l'Université de Strasbourg, au-delà des bizutages régulièrement subis lors des journées d'intégration et constituant souvent des attouchement sexuels non-consentis, il suffit de regarder les polémiques récentes quant à la vidéo du BDE de l'IEP banalisant une agression sexuelle (https://www.facebook.com/EtudiantsCommunistesStrasbourg/posts/663919520377210), à la vidéo de l'Amicale des Étudiants en Médecine montrant des femmes en « libre service » (https://www.facebook.com/UNEF.Strasbourg/posts/10157821172020114), au bréviaire du Comité des Traditions de l'INSA banalisant culture du viol, sexisme et homophobie (http://uecstrasbourg.over-blog.com/2017/01/culture-du-viol-sexisme-homophobie-les-belles-traditions-de-l-insa-strasbourg.html).
12 C'est par rapport à cette situation que Friedrich Engels dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884) a pu dire : « Dans la famille, la femme est le prolétaire et l'homme est le bourgeois ». Et c'est aussi pour cette raison que Karl Marx, dans son analogie entre mariage et prostitution, qualifie les femmes de « simples instruments de production » dans la société capitaliste. Du reste, dans la mesure où leur rôle, dans la division du travail, est d'être au service de leurs conjoints, on comprend mieux pourquoi elles sont aliénées (dépossédées de ce qu'elles font, de ce qu'elles sont et de ce qu'elles veulent).