Victoire de l'équipe de France et récupération bourgeoise

Publié le 19 Juillet 2018

Victoire de l'équipe de France et récupération bourgeoise

Le 15 juillet, vingt ans après la victoire de 1998 et au lendemain des célébrations de la fête nationale, l'équipe de France de football accomplit l'exploit et se saisit du titre face à la Croatie : les Bleus sont Champions du monde. La saveur de cette victoire pour des millions de personnes, françaises ou non, ne masque pourtant pas le goût amer d'une récupération bourgeoise du football et du succès des Bleus.

D'une part, la bourgeoisie se saisit d'une pratique sportive profondément populaire, et s'en sert comme d'une source de profits immenses, de bulle spéculative, de support pour propager son idéologie réactionnaire, tout ça bien sûr au détriment des supporters, de la compétition – concept qui est pourtant prétendument cher aux libéraux – et de la qualité du jeu développé sur le terrain. En effet, les joueurs sont évalués individuellement et on estime leur valeur marchande pour spéculer sur leurs contrats au gré des rachats et ventes entre grandes équipes ; la bourgeoisie, au sport comme à l'usine, n'aime pas quand un groupe étranger à sa classe – bien (entre)tenu par ses revenus ou non – agit pleinement comme un corps uni ! Elle veut l'efficacité de la coopération sans la solidarité : marcher ensemble mais penser chacun pour soi. On voit tout le mal que les fédérations se donnent pour obtenir cet équilibre entre des joueurs assez soudés pour bien fonctionner en équipe mais pas assez pour s'opposer ensemble aux décisions prises dans leur dos. Et comment ignorer ce processus d’accaparement du football par la bourgeoisie : des stades de plus en plus chers, des supporters de plus en plus mis à l'écart avec une répression accrue contre les groupes ultras (qui animent les tribunes dites « populaires »), des droits de rediffusion exorbitants, l'omniprésence de la publicité, etc. Le tout couronné par une FIFA et une UEFA aux pratiques mafieuses bien avérées. La question n'est pas d'aimer le foot ou non, mais de savoir discerner le fruit de la pourriture qui s'en saisit. Aujourd'hui c'est le football, demain c'est le rugby, après-demain encore une autre pratique arrachée aux mains des prolétaires pour servir les intérêts capitalistes. Un exemple concret et frappant est celui de la parade des Bleus sur les Champs-Élysées pour fêter ce titre de champions du monde. En effet, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient venues pour communier avec les joueurs et fêter ce titre, certains ont attendu 4 à 5 heures, mais l’Élysée et la préfecture de police en ont décidé autrement. En effet, la parade qui devait initialement durer 1 heure a été raccourcie à une grosse dizaine de minutes en raison du retard pris dans le trajet de retour de Russie. Les supporters n’ont eu droit qu’à des miettes pour que la bourgeoisie réunie à l’Élysée se gave, car si ce défilé a été autant raccourci c’est parce que Macron voulait recevoir les Bleus à l’heure pour ne pas empiéter sur les journaux de 20 heures. Macron a privatisé l’Équipe de France pour que nous puissions voir le 20 heures et ne surtout pas rater cet instant de propagande bourgeoise, quelle bonté ! La classe dominante a donc encore une fois provoqué une forte déception et colère populaire, mettant tout en place pour empêcher le contact entre les joueurs et la foule rassemblée.

Mais de tout ce phénomène qu'il serait inutile de détailler en profondeur ici – différents auteurs ont déjà beaucoup travaillé sur cette question – la plus insupportable manifestation est la récupération politique de cette victoire faite directement par le gouvernement Macron, au profit de la classe dominante qu'il représente.

La fête et la violence sont les deux facettes d'une même pièce du 15 juillet français : c'est dans leur ensemble, en opposant l'une à l'autre, que le gouvernement entend récupérer la victoire des Bleus.

Des millions de personnes descendent dans la rue pour fêter quelque chose qui, concrètement, sérieusement, ne touche en rien leurs conditions matérielles d'existence : le lendemain, ils seront toujours dans la même misère, ils connaîtront les mêmes galères et l'exploitation. Que montre cela ? Un besoin extrême et légitime de « penser à autre chose », de se laisser aller, d'aller outre l'ordre grisonnant et monotone du rythme de vie moderne, ne serait-ce que pour un seul soir. Comment le gouvernement prétend interpréter cela ? Comme un symbole de l'unité nationale !

Parmi ces millions de personnes, des centaines s'attaquent aux commerces, aux institutions bourgeoises, à la police. Les banlieues s'embrasent. Que montre cela ? Une misère extrême, un besoin légitime de révolte et de s'attaquer à ceux qui empêchent notre bonheur de tous les jours. Comment le gouvernement prétend interpréter cela ? Comme une plaie qui gâche la fête et, donc, l'unité nationale que voudrait la majorité des Français.

Quant à la dimension festive, le gouvernement entend l'instrumentaliser afin de faire passer un message d'unité nationale. Les images de « tout le monde uni derrière un seul drapeau » suffiraient à faire espérer à Macron qu'un simple match de foot puisse endormir le peuple et lui faire oublier que si l'unité nationale est quelque chose d’inconcevable, c'est précisément à cause du poids de la domination et l'exploitation d'une classe sur l'autre, de la lutte de classes quotidienne qui se déploie tous les jours en France entre une bourgeoisie prête à tout pour assurer ses profits et un prolétariat qui ne peut que lutter avec acharnement pour défendre ses droits. Endormir, voire détourner la conscience prolétaire, c'est un projet vieux comme le monde qui a caractérisé toutes les classes dominantes au cours de l'Histoire : il se résume dans la formule « du pain et des jeux ». Le foot devient ainsi un terrain parmi d'autres qui sont transformés en outils idéologiques de la répression. Il est de notre devoir de ne pas laisser ce terrain à la classe dominante : nous devons rejeter tout snobisme de petits-bourgeois révoltés à l'égard du foot et, qu'on l'aime ou pas personnellement comme pratique sportive, nous devons rejeter certains raccourcis du type « ah, les gens descendent dans la rue seulement quand il s'agit de foot, jamais pour lutter pour leurs droits ». Au-delà du fait que c'est faux, dans les célébrations du 15 juillet nous avons retrouvé dans les rues tant de prolétaires côtoyés dans les luttes des dernières années, de la loi Travail à ParcourSup, des cheminots, des routiers, etc. Il y avait aussi tout autant des bourgeois et bien sûr leurs alliés fascistes (qui, dignes de leur renommée, ont profité de la joie populaire pour agresser des gens à l'aveugle et voler des drapeaux algériens). Mais si toutes les classes étaient représentées dans les célébrations du 15 juillet, cela ne signifie en rien un changement d'attitude de celles-ci dans le conflit de classe qui nous oppose au quotidien : dans « du pain et des jeux », le jeu y est peut-être, mais le pain manque toujours ! Ainsi, la fête de la victoire d'une équipe de foot ne signifie en rien la réconciliation de classe, ni l'oubli de l'exploitation quotidienne et de la haine de classe. Si la bourgeoisie arrive à endormir le prolétariat à travers le foot, ce n'est pas le prolétariat qu'il faut accuser de tous les torts, mais c'est aux organisations prolétaires de se remettre en question. Moraliser et stigmatiser les prolétaires qui ont voulu fêter c'est non seulement ne pas comprendre le besoin de bonheur de notre classe, voire lui imposer de se priver d'un de ses rares moments de joie (autant « sans lendemain » qu'elle soit), mais c'est surtout tracer une ligne de coupure entre ceux qui ont fêté et ceux qui ne l'ont pas fait comme si c'était une question de choix politique, comme si boycotter le foot représenterait un quelconque acte militant. C'est diviser notre classe et finalement faire le jeu de la bourgeoisie. Le foot n'est pas intrinsèquement un instrument bourgeois. Ce n'est pas parce qu'à l'heure actuelle le rapport de force entre les classes en France rend possible à la bourgeoisie de récupérer le monde du foot, que nous devons nous résigner à cette situation et ne plus jamais essayer de rendre au foot sa dimension originaire, celle d'un sport populaire, d'un terrain d'émancipation, d'une école de vivre-ensemble et d'esprit de coopération. Un tel abandon laisserait encore plus de possibilités à la bourgeoisie de faire mainmise sur la joie populaire pour la rentabiliser, et laisserait les stades encore plus à l'extrême droite, qui en a fait depuis des années l'un des piliers de sa stratégie d'implantation à travers les franges les plus radicales des ultras. Au contraire, ce que nous montre cette Coupe du monde, c'est l'urgence de retrouver une stratégie cohérente : l'offensive idéologique et la tentative de récupération menée par la classe dominante et ses alliés démontrent que le foot est l'un des champs de bataille de la lutte des classes, et que nous devons nous en saisir : comme le reste des sports, le foot demeure un terrain d'éducation populaire, où il est possible de travailler pour que le prolétariat renverse le racisme structurel, revendique le droit au sport pour tous, développe un esprit de solidarité qui renverse la compétition individualiste.

Le gouvernement se plaît à rappeler à la moindre occasion, dans des démonstrations de langue de bois d'une lourdeur sans pareille, que son objectif serait de donner à chacun les chances de réussir. Et cette Équipe de France, dont les médias ne perdent pas la moindre occasion pour rappeler qu'elle est majoritairement issue de l'immigration, des banlieues, de la France qui trime, est utilisée par Macron en tant que preuve que la réussite serait à la portée de toutes et tous ; cette même immigration dont le gouvernement, armé de ses lois répressives et de son plan « Asile et Immigration », cherche aujourd'hui à se débarrasser ; cette même immigration à qui, lorsqu'elle ne représente pas la France en Coupe du monde, on refuse la nationalité, la régularité du séjour et du travail, la possibilité de cotiser pour son avenir ; ces mêmes banlieues qui au quotidien sont laissées à la misère, traînées dans la boue par les médias à la recherche du sensationnel, accusées de tous les torts, victimes d'un racisme d’État qui a sa manifestation la plus visible dans les crimes policiers quotidiens ; ces mêmes banlieues qui voient leurs structures sportives – pourtant berceau des jeunes talents – se dégrader et fermer dans le contexte plus large de la casse des services publics ; ces mêmes banlieues qui le jour même de la finale étaient isolées, par un réseau de transport coupé vers la capitale ; ces mêmes banlieues qui maintenant sont tenues pour responsables de gâcher la victoire par le saccage des rues et les émeutes.

Mais est-ce une fête gâchée par la violence, ou une violence comme seule manière de fêter pour une grande partie de la jeunesse, désabusée par la bourgeoisie ? Comment ne pas être frappé par l'hypocrisie des défenseurs de l'ordre républicain qui, outrés des actes de vandalisme, envoient les forces de répression se faire les dents sur cette frange de la jeunesse qui n'a plus que la violence pour s'exprimer ? Oui, les rues sont saccagées, et non, pour l'ordre républicain cela ne peut pas être normal. Mais pourquoi cette situation existe-elle ? Les banlieues sont-elles violentes « par nature » ? Faut-il chercher le gêne du vandalisme ? Rejetons ces absurdités et observons que l’État bourgeois opprime les banlieues et la jeunesse prolétaire majoritairement issue de l'immigration encore plus que le reste de la population ; qu'il ne leur laisse comme seul moyen d'expression que la violence, se rendant directement responsable des actes qu'il condamne. En tant que communistes, nous ne critiquons cette violence que pour son caractère spontané, inorganisé, mais non cette violence en tant que telle, ce qui reviendrait à accepter et faire sienne les positions réactionnaires de la bourgeoisie. La violence de classe exprimée dans les banlieues est pour nous autant légitime que la violence de classe qui se déploie dans les usines et les campagnes. Comme nous l'affirmions au lendemain du meurtre d'Aboubakar Fofana et des émeutes de la Cité de Breil à Nantes, l'urgence est à ce que que ces différentes luttes contre l’État bourgeois et raciste se coordonnent et s'organisent davantage afin que la violence spontanée et sporadique se transforme en violence révolutionnaire.

En somme, ce ne sont pas les banlieues ni la jeunesse prolétaire qui gâchent la fête de la victoire : c'est la bourgeoisie !

Soyons fiers de cette victoire, mais refusons sa récupération par la bourgeoisie !

Finissons-en avec la moralisation des prolétaires qui ont fêté le 15 juillet ! Finissons-en avec la division opportuniste entre ceux qui ont « juste » fêté et ceux qui ont attaqué les symboles du pouvoir bourgeois !

Refusons le mythe de l'unité nationale avec nos bourreaux capitalistes : l'unité doit être populaire, et elle sera possible seulement lorsqu'elle sera portée par le prolétariat révolutionnaire !

 

Mouvement des Jeunes Communistes du Bas-Rhin

Publié dans #Sport, #Mouvement social

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