[BAF] Quand l’Arcadia accueille les néonazis allemands de la Danubia München
Publié le 31 Août 2018
[Nous relayons l'article des camarades de la BAF - Brigade Antifasciste de Strasbourg du 31 août 2018 :
https://bafstrasbourg.wordpress.com/2018/08/31/quand-larcadia-accueille-les-neonazis-allemands-de-la-danubia-munchen/]
Quand l’Arcadia accueille les néonazis allemands de la Danubia München
Le 21 juillet dernier, le Bastion Social Strasbourg et son association satellite Die Heimat inauguraient le volet « gastronomique » de la récupération identitaire de l’histoire régionale alsacienne… par une soirée tartes flambées. Comme nous le disions il y a quelques semaines, le Bastion Social ne peut pas renouer avec n’importe quelle histoire alsacienne de manière générale, mais doit choisir entre l’histoire d’une Alsace meurtrie par le nazi-fascisme et l’histoire d’une Alsace résistante et accueillante. Le choix était obligé, et cela s’est confirmé dès lors que la soirée tartes flambées a vu la participation d’un groupe d’étudiants identitaires allemands, la Burschenschaft Danubia München (« Fraternité Danubia de Munich »). Fonctionnant sur le modèle des corporations étudiantes, la Danubia est basée en Bavière, à l’université de Munich, et est rattachée nationalement à la Burschenschaftliche Gemeinschaft (« Communauté des fraternités »). Contrairement à ce que son nom pourrait donner à entendre, la Danubia n’est pas une simple amicale étudiante : cette fraternité est depuis toujours étroitement liée aux différentes mouvances du nazisme et du néonazisme allemand, elle a été l’un des berceaux de l’idéologie réactionnaire au XIXe siècle et une école de formation de figures majeures du Troisième Reich et de l’extrême-droite actuelle. Pire encore, la Danubia a noué des liens avec la galaxie du terrorisme néofasciste des années 1960 jusqu’à aujourd’hui.
En somme, pour renouer avec l’histoire alsacienne, le Bastion Social a bien pensé accueillir des ennemis historiques de l’Alsace libre, des nostalgiques de l’impérialisme de Bismarck et du Kaiser Guillaume Ier, des nostalgiques de l’impérialisme hitlérien, des individus liés depuis toujours avec des organisations politiques et culturelles qui rêvent du retour de la « Grande Allemagne » et d’une nouvelle annexion de l’Alsace-Moselle, de l’Autriche et des Sudètes. Outre être les ennemis historiques du prolétariat de part et d’autre du Rhin, les nazi-fascistes prouvent une fois de plus d’être également les ennemis historiques de l’autodétermination des peuples. Ainsi, les idiots utiles des bourgeoisies française et allemande, les nazi-fascistes, se rejoignent en ceci : en ce qu’ils seront toujours à la merci de leurs impérialismes respectifs pour opprimer et exploiter le prolétariat alsacien et lui nier le droit à l’autodétermination.
Comment peut-on arborer, l’un à côté de l’autre, le drapeau Rot un Wiss alsacien et le drapeau du Reichsland Elsass-Lothringen ? Comment peut-on arborer, l’un à côté de l’autre, le drapeau de l’Alsace libre et le drapeau de l’Alsace-Lorraine à l’heure de son annexion violente par l’Empire allemand ? Non seulement c’est un non-sens pour des gens qui se prétendent des ultra-nationalistes français, non seulement c’est un non-sens pour des gens pour qui prétendent renouer avec l’autonomisme alsacien, mais c’est surtout un non-sens historique tout court ! Il n’y a que le Bastion Social qui soit autant schizophrène pour mêler autonomisme alsacien, nationalisme français et impérialisme allemand.
Nous avons déjà démontré l’opportunisme qui se cache derrière le lancement de l’association Die Heimat par les néofascistes strasbourgeois. Il nous semble important de décrypter maintenant ce qui se cache derrière leurs alliés bavarois, pour montrer une fois de plus que le Bastion Social, malgré son vernis pseudo-social, demeure une organisation réactionnaire ayant des liens avec des personnages et des groupes plus que sinistres.
Néonazisme, antisémitisme, islamophobie, xénophobie, homophobie, sexisme, négationnisme, révisionnisme historique, occultisme, complotisme, violences physiques, terrorisme : tout est au menu pour la Danubia, de ses adhérents à son entourage proche, comme nous le montrerons aisément dans ce dossier.
1848-1945 : de la contre-révolution au nazisme
La Danubia est créée lors du mouvement révolutionnaire bourgeois de mars 1848 (c’est le Printemps des Peuples en Allemagne, revendiquant le parlementarisme et le libéralisme politique). Cependant, le pouvoir féodal des propriétaires terriens (Junkers) et l’entourage du chancelier Bismarck parviennent à acheter rapidement les petits-bourgeois révoltés de la Danubia et à les intégrer à la co-gestion du pouvoir en Bavière. Le fondateur de la fraternité, Johann Nepomuk von Fäustle, connaît une carrière publique prestigieuse dans l’Etat bavarois et appuie fidèlement le projet de constitution d’un Empire allemand, culminant avec l’annexion de l’Alsace-Lorraine en 1871. Encore aujourd’hui, la vénération de la figure de Bismarck de la part de la Danubia n’a pas faibli : le portrait de cet ennemi de l’Alsace, ainsi que le Reichskriegsflagge (le « drapeau de guerre du Premier Reich »), trônent en effet dans la salle des conférences du siège actuel de la corporation.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne connaît une ébullition révolutionnaire et la Danubia choisit son camp. Certains de ses membres s’enrôlent dans les Corps Francs (une milice de type préfasciste) et prennent une part active dans la répression sanglante anticommuniste et dans la suppression de la jeune République soviétique de Bavière, en mai 1919. Le rapprochement entre la corporation et le tout nouveau mouvement national-socialiste n’est alors plus qu’une question de formalité. Les liens sont d’abord informels : des « pionniers » établissent les premiers ponts entre la Danubia et le parti nazi (« Parti national-socialiste des travailleurs allemands », NSDAP). C’est le cas d’abord d’Hermann Esser : il adhère à la corporation étudiante, puis rejoint les Corps Francs de Souabe dans la répression anticommuniste, et enfin s’engage dans la construction du national-socialisme ; il occupera des responsabilités de premier plan dans le NSDAP et, à l’heure du Troisième Reich, sera nommé Ministre de l’économie en Bavière, puis secrétaire d’Etat au Ministère du Reich à l’Education du peuple et à la propagande. C’est également le cas d’un autre dirigeant de la Danubia, Walter Schmandel : en novembre 1923, il participe au Putsch de la Brasserie de Munich sous les ordres d’Hitler et rejoint ensuite le Parti nazi pour la liberté (c’est-à-dire la reconstruction du NSDAP pendant l’emprisonnement de ses dirigeants entre 1923 et 1925). Grâce aux efforts de Schmandel, la Danubia arrive à prendre la tête du syndicat Union des étudiants allemands (DSt) : entre 1927 et 1929, Schmandel parvient à exclure l’aile progressiste du syndicat au profit de l’aile conservatrice, composée de sympathisants du national-socialisme et de la galaxie raciste, païenne et ésotérique de la mouvance Völkisch. C’est l’époque où Hitler lui aussi œuvre à un rapprochement entre son parti et la galaxie Völkisch – notamment avec le Tannenbergund du général Ludendorff -, s’achetant de nouveaux alliés pour régler les querelles intestines au sein du NSDAP et sortir gagnant du conflit entre l’aile gauche (Gregor Strasser, Reinhold Muchow) et l’aile droite (Hermann Esser, Julius Streicher). Schmandel et Hitler semblent agir à l’unisson dans cette période des premiers règlements de comptes dans le syndicat étudiant et dans le parti. Après avoir évincé les éléments progressistes, la DSt dirigée par Schmandel se lance dans une campagne pour modifier le principe de citoyenneté alors en vigueur en Allemagne, y introduisant des présupposés raciaux et xénophobes, et œuvrant pour mettre en avant la prédominance de la « citoyenneté allemande » sur les différentes citoyennetés des Lands (une campagne qui préfigure la Neuaufbaugesetz du 30 janvier 1934, c’est-à-dire la révision constitutionnelle qui instaure « L’Etat centralisé de la Nation germanique » et abolit les autonomies locales et la souveraineté des Lands). En même temps, Schmandel se sert du syndicat pour faire pression sur les directions universitaires afin qu’elles reconnaissent officiellement l’Union des étudiants nationaux-socialistes allemands (NSDStB), organisation étudiante satellite du NSDAP.
La Danubia aura tout fait pour l’avènement du Troisième Reich, cependant en 1935 le régime nazi ordonne que la corporation intègre la NSDStB, devenu désormais l’unique syndicat étudiant pouvant légalement exister. La Danubia refuse, et elle est tout simplement dissoute. Finalement, la corporation aura été victime de ses propres actes, et elle succombe au cours de la « mise au pas » hitlérienne qu’elle a elle-même a contribué à développer. Cependant, il convient de noter que les arguments avec lesquels la Danubia s’oppose à sa « mise au pas » ne sont pas politiques, mais demeurent sur un plan strictement corporatiste : ils veulent la pure et simple survie de la fraternité, sans une remise en cause du système de domination nazi. De ce point de vue, le traumatisme de la dissolution n’est pas insurmontable pour les membres de la Danubia, et dans les années suivantes ceux-ci restent des nazis convaincus : la plupart rejoint de manière enthousiaste l’armée nazie (la Wehrmacht), et Schmandel se fait tuer à Stalingrad en 1944. Un autre élément qui explique pourquoi les membres de la Danubia sont restés attachés à un régime qui finalement les a trompés, c’est la question de l’annexion allemande de l’Autriche en 1938. L’Anschluss inaugure une deuxième lune de miel entre les anciens de la corporation et le régime nazi. En effet, l’un des objectifs historiques de la Danubia avait été le rapprochement des étudiants de l’espace germanique, au-delà des frontières issues des traités de paix de 1919. Lorsque l’Autriche est annexée, les anciens de la Danubia y voient une occasion pour renouer avec le pangermanisme et avec leur rêve d’unification des peuples teutoniques au sein d’une Grande Allemagne : le soutien à l’impérialisme du Troisième Reich est alors automatique.
Après 1945 : réconciliation avec l’Allemagne capitaliste, terrorisme en Tyrol du Sud, annexionnisme envers l’Autriche
Le processus de refondation de la Danubia débute en 1946 et s’achève en 1949 au sein de la RFA. L’Allemagne de l’Ouest est alors obsédée par la lutte anticommuniste, et les anciens nazis deviennent des alliés potentiels : en 1953, le Sénat académique de l’université de Munich ne voit aucun problème à reconnaître officiellement la fraternité et à l’accepter dans la liste des associations existantes. Parmi les premières actions menées par la nouvelle Danubia, il y a une campagne de soutien à Walther Würst, professeur de « culture et linguistique aryennes » et recteur de l’université de Munich à l’heure du Troisième Reich, et exclu de ses fonctions après-guerre. A peine récréée, la corporation montre bien qu’elle n’a point changé d’orientation politique.
Dans les années 1960, la Danubia renoue avec l’expérience hitlérienne de l’Anschluss et se lance dans une tentative de fusion des fraternités étudiantes allemandes et autrichiennes. Cela aboutit à la fondation de la Burschenschaftliche Gemeinschaft (« Communauté des fraternités », BG), célébrée le 15 juillet 1961 au siège de la Danubia. Dans ses premiers statuts, la BG « se réclame de la notion de patrie nationale en tant que concept historique de la race primitive ». La BG exige également « l’unité culturelle et spirituelle de tous ceux qui appartiennent au peuple allemand et qui professent une croyance en lui ». Les corporations adhérentes à la BG professent la nécessité d’un nouvel Anschluss et d’un retour à la « Grande Allemagne » selon les frontières du 1er septembre 1939 (jour de l’invasion de la Pologne par la Wehrmacht). Dans sa brochure La fraternité et l’identité nationale, la BG pointe la nécessité d’empêcher tout nouvel afflux de « personnes provenant d’autres zones culturelles ».
Toujours dans les années 1960, des membres de la Danubia participent à des activités terroristes en Tyrol du Sud, en Italie. Quelques éléments de contexte sont ici nécessaires. Le Tyrol a été historiquement un terrain de conflits entre les impérialismes autrichien et italien. A la fin de la Première Guerre mondiale le Tyrol du Sud revient à l’Italie, tandis que l’Autriche garde le Tyrol du Nord. Pendant le deuxième conflit mondial, après l’armistice italien, les armées nazies occupent le Tyrol du Sud, créent la « Zone d’opération des Préalpes » (OZAV) en tant que subdivision administrative du Reich et commencent à pratiquer une politique de germanisation forcée. Lorsque le Tyrol du Sud est libéré, le Comité de Libération Nationale puis le gouvernement italien réintroduisent le bilinguisme italo-allemand et approuvent un statut d’autonomie régionale. Mais la bourgeoisie urbaine et industrielle italophone rentre en conflit avec les propriétaires terriens germanophones : ces derniers s’opposent à la construction de nouveaux sites industriels et d’HLM, interprétés comme un prétexte pour introduire une main-d’œuvre italophone dans les communautés germaniques. Des prêtres conservateurs débutent un mouvement de contestation contre cette prétendue tentative d’italianisation forcée. Face à une exacerbation des tensions inter-ethniques, le parti autonomiste Südtiroler Volkspartei (« Parti du peuple du Tyrol du Sud », SVP), issu de la résistance antifasciste, n’arrive pas à faire face à l’entrisme de jeunes éléments néonazis, voire d’anciens nazis. Dès 1955, des figures telles Alois Pupp (ancien du NSDAP), Josef von Aufschnaiter (ancien SS) et Norbert Mumelter (ancien du Völkischer Kampfring Südtirol, organisation satellite du NSDAP en Tyrol du Sud en 1933-1945, favorable à l’annexion allemande) gagnent en influence dans le SVP. Le parti se fait alors promoteur de manifestations pour la réunification des deux Tyrol et de leur indépendance. Là où le SVP contrôle les institutions locales, il refuse de délivrer des attestations de résidence aux migrants italophones, et arrive jusqu’à proposer l’interdiction des mariages mixtes afin de préserver la « pureté » de la race tyrolienne. A partir de 1956, des attaques armées et des plasticages ont lieu régulièrement contre les populations et les institutions italiennes. La même année, l’organisation clandestine Befreiungsausschuss Südtirol (« Comité de libération du Tyrol du Sud », BAS) est fondée : Georg Klotz, ancien volontaire de la Wehrmacht, et son groupe d’anciens nazis en prennent rapidement le contrôle et font appel au renfort d’autres néonazis autrichiens. C’est notamment la corporation étudiante Olympia de Vienne qui répond à l’appel et rejoint le Tyrol. Alors qu’au début le BAS ne cible pas les civils mais les monuments et les infrastructures, lorsque c’est l’extrême-droite qui en prend la tête on assiste au début d’une véritable stratégie terroriste. C’est à ce moment-là, dans les années 1960, et à travers leurs liens avec les autrichiens de l’Olympia, que des membres de la Danubia rejoignent le BAS et la galaxie du terrorisme international d’extrême-droite. Lorsqu’en 1969 l’Italie et l’Autriche arrivent à un accord pour garantir chacune un nouveau statut d’autonomie au Tyrol et de nouvelles garanties aux populations germanophones, les activités du BAS cessent. Sur ses cendres, un nouveau groupe se constitue en 1986, Ein Tirol (« Un Tyrol »). Cette reprise des attentats en Tyrol du Sud favorise la montée électorale du Mouvement Social Italien, le parti néofasciste. Saisissant cette occasion, les services secrets et les néofascistes italiens – regroupés dans l’occulte Organisation Gladio – décident d’infiltrer systématiquement Ein Tirol et de l’utiliser dans le cadre de leur « stratégie de la tension » (la multiplication des attentats et l’inculpation pour ceux-ci des militants communistes et anarchistes, afin de déstabiliser la jeune République italienne et de favoriser un coup d’Etat militaire[1]). Des mouvements nationalistes italiens surgissent également en Tyrol du Sud et s’affrontent avec les indépendantistes, contribuant à la stratégie de la tension et profitant aux visées putschistes du Gladio. Au total, entre 1961 et 1988, les attaques perpétrées par les terroristes tyroliens et leurs alliés austro-allemands auront provoqué 21 morts et 57 blessés, et la lumière sur nombre d’entre eux n’a toujours pas été faite.
De 1970 à aujourd’hui : vernis intellectuel, nouvelles violences et terrorisme
Les années 1970 sont marquées par la consolidation de liens officiels entre la Danubia et le parti néonazi Nationaldemokratische Partei Deutschlands (« Parti national-démocrate d’Allemagne », NPD). Notamment, le NPD entreprend une stratégie d’implantation dans la jeunesse et dans les universités, et la Danubia n’hésite pas un seul instant à l’appuyer. Des liens sont tissés avec l’organisation de jeunesse du NPD et avec sa branche étudiante : respectivement, la Jungen Nationaldemokraten (« Jeunesse National-démocrate », JND) et la Nationaldemokratische Hochschul-Bund (« Association Universitaire National-démocrate », NHB). La Danubia devient de plus en plus un centre de formation pour les cadres de la NHB, à leur tour futurs cadres du NPD. Le 21 juillet 1977, la Danubia et la NHB agissent à l’unisson dans l’explosion de violences devant la cantine de l’université de Munich : un groupe d’une vingtaine de néonazis, dont un responsable de la NHB et des membres de la fraternité Teutonia de Ratisbonne, sont appelés par la Danubia afin d’assurer le service d’ordre pour la tenue d’un kiosque d’information ; visiblement affamé, le groupe s’attaque brutalement à des étudiants pour se procurer une place dans la cantine universitaire, provoquant plusieurs blessés.
Dans les années 1980, la Danubia intègre le processus de lancement de l’hebdomadaire d’extrême-droite Junge Freiheit (« Jeune Liberté »), véritable tribune pour les écrivains néo-nazis, négationnistes, antisémites, islamophobes, homophobes, anti-IVG, etc. C’est notamment un dirigeant de la Danubia, Hans-Ulrich Kopp, qui en est le co-fondateur en 1986 : l’année suivante, il est nommé porte-parole de la Danubia. Depuis, la collaboration entre la fraternité munichoise et l’hebdomadaire a été incessante.
Depuis les années 2000, tout comme les « fascistes du troisième millénaire » italiens et français, la Danubia essaye de sortir du stéréotype de corporation violente et traditionaliste, et tente de mettre au premier plan un vernis intellectuel pour se rendre plus acceptable, moderniser sa pensée réactionnaire, pactiser avec les fraternités moins radicales. Une place plus importante est alors accordée aux conférences : des théoriciens d’extrême-droite sont invités à s’exprimer lors de séances intitulées « Dialogue sans règles » (un appellatif qui paraphrase, tout en le déformant, le célèbre « Discours sans domination » de Jürgen Habermas). Aussi, tout comme le Bastion Social avec son association satellite Die Heimat, la Danubia développe également une pratique identitaire basée sur la gastronomie et les balades dans la nature, sous prétexte de renouer avec les traditions régionales. Pourtant, un loup reste un loup, et dans les fraternités allemandes d’extrême-droite affiliées à la BG se vérifient les mêmes processus contradictoires qu’au sein de CasaPound et du Bastion Social : face aux chefaillons qui se prodiguent pour rendre présentable leur organisation, la plupart des militants ont du mal à délaisser la pratique quotidienne de la violence. Ainsi, les agressions racistes, sexistes et homophobes, tout comme les pratiques anti-antifa, demeurent intactes. Et les sièges des corporations d’extrême-droite demeurent des QG de préparation de violences de tout genre. En janvier 2001, pendant plusieurs jours la Danubia a caché dans ses locaux à l’université de Munich un individu recherché par la police, Christoph Schulte, appartenant à une autre fraternité (la Teutonia de Ratisbonne) et protagoniste d’un passage à tabac particulièrement brutal : lors de la fête d’anniversaire d’un des membres de la Danubia, un groupe de 50 néonazis s’était attaqué à un jeune Grec et aux clients d’un restaurant qui avaient assisté à la scène. La Danubia non seulement se prodigue pour cacher Schulte, mais l’aide également à rejoindre secrètement les Pays-Bas, où il sera capturé deux semaines plus tard et incriminé pour « tentative de meurtre ». Cet événement pousse le recteur de l’université de Munich à interdire provisoirement la Danubia. Notons aussi qu’à la soirée d’anniversaire, origine des violences, était présent le futur terroriste antisémite Martin Wiese, sur lequel nous reviendrons.
Suite aux événements de janvier 2001, la fraternité est obligée de s’engager dans un processus de « normalisation » si elle veut récupérer ses locaux et son statut d’association étudiante. La Danubia se présente alors de manière générale comme une fraternité « attachée à la communauté culturelle et ethnique allemande », comme un « rempart contre les changements du zeitgeist » (« l’esprit du temps ») ; son but est de préparer ses adhérents au « leadership des hommes », afin de créer « des hommes droits et des guerriers ». Ses contacts avec la galaxie néonazie deviennent plus subtils et sont entretenus par des membres à titre individuel. Même si les liens sont souterrains, ils se diversifient : outre le NPD, des nouvelles collaborations sont lancées au fil des années avec l’AfD (« Alternative pour l’Allemagne »), PEGIDA (« Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident »), Identitäre Bewegung (« Génération Identitaire »). Aussi, les liens avec la presse sont encadrés davantage : tout comme chez le Bastion Social, il n’y a que peu d’adhérents de la Danubia qui sont accrédités pour répondre aux journalistes, afin d’éviter des révélations compromettantes et des « dérapages ». Cependant, les scandales et les poursuites judiciaires continuent de se cumuler à l’encontre des membres et des anciens de la Danubia.
La « normalisation », donc, ne l’est que de façade. En 2005, des cris Heil Hitler et Sieg Heil proviennent du siège de la Danubia et sont rapportés aux autorités universitaires. En 2006, la Danubia prend part à l’événement « Petite exposition d’art allemand », qui présente des œuvres d’artistes nazis : Ernst von Dombrowski, Georg Sluyterman von Langeweyde et Rudolf Warnecke. L’exposition est organisée par Tobias Faethe, porte-parole de la Danubia et militant du Heimattreue Deutsche Jugend (« Jeunesse allemande patriotique », HDJ) : une organisation de jeunesse vouée à la propagande néonazie, où s’étaient réfugiés les ex-membres de la Wiking-Jugend (« Jeunesse Viking ») après son interdiction. La HDJ sera interdite à son tour en 2009, après que son porte-parole ait été condamné pour l’agression de deux journalistes en 2006 et après qu’on ait découvert les activités pratiquées par la HDJ lors de ses camps d’été : fabrication d’uniformes nazies et de masques portant des croix celtiques, initiation au combat au couteau, projection de films antisémites, conférences historiques révisionnistes, commémoration d’anciens nazis, etc.
En 2013, la Danubia co-organise un séminaire avec une autre fraternité munichoise d’extrême-droite, la Cimbria : quelques temps après, la Cimbria fait la Une des journaux lorsque ses membres, ivres, dérangent le voisinage avec des chansons anti-juives et des cris Heil Hitler en pleine nuit. Toujours en 2013, une « conférence régionale » des fraternités d’extrême-droite est organisée à Munich le 20 avril, date anniversaire de la naissance d’Hitler : les co-organisateurs sont la Danubia et la fraternité Olympia de Vienne, cette dernière ayant participé aux activités terroristes au Tyrol du Sud et travaillant régulièrement avec des négationnistes du calibre de David Irving. En février 2016, des membres de la Danubia participent à la manifestation anti-réfugiés Wir sind die Grenze (« Nous sommes la frontière »), à côté du reste de la galaxie néonazie allemande. Il n’est pas étonnant alors que la Danubia ait adressé récemment un message de soutien à Björn Höcke, figure de l’AfD connue pour ses positions anti-immigration, islamophobes, antisémites et homophobes. En 2017, le réseau antifasciste de l’université Ludwig-Maximilians de Munich (LMU) dévoile que l’étudiant Arndt Novak est à la fois dirigeant de la Danubia et d’Identitäre Bewegung : les révélations permettent de faire de la lumière sur les liens entre la fraternité et la jeunesse identitaire. On découvre que les deux organisations ont travaillé main dans la main pour favoriser l’admission d’un Groupe universitaire de l’AfD dans la liste des associations de la LMU. On découvre aussi que lorsque des manifestations avaient eu lieu contre l’implantation de ce groupuscule, les identitaires et les membres de la Danubia étaient allés ensemble provoquer les manifestants et s’étaient rendus responsables de violences physiques. Quelques mois plus tard, les mêmes individus avaient perturbé une conférence féministe et antifasciste sur le thème « Femmes et images de genre à l’AfD et à PEGIDA », dans l’auditorium de la LMU.
Le nom de la Danubia revient sur la scène internationale en 2017 lors de l’enquête sur les projets d’activités terroristes de certains soldats de l’armée allemande (Bundeswehr), notamment autour de l’officier Franco A. qui avait choisi la ville d’Illkirch-Graffenstaden comme base opérative. Le service de contre-intelligence militaire allemande relève les liens entre les aspirants terroristes et deux mouvements de l’extrême droite allemande : Identitäre Bewegung et… la Danubia !
Les compagnons de route de la Danubia
Au delà de la formation de terroristes potentiels et avérés, la Danubia a été l’école de formation de diverses figures de l’extrême-droite : Alphons Hueber (ancien président fédéral de la JND, ancien membre de l’organisation identitaire Witikobundes, ancien président de l’organisation anticommuniste Fédération des avocats libres), Sascha Jung (membre de l‘AfD), Bernd Kallina (ancien membre de l’exécutif fédéral des JND, ancien membre des Witikobundes, écrivain anticommuniste et engagé dans la réhabilitation d’anciens nazis tel Theodor Oberländer), Michael Paulwitz (ancien membre des Witikobundes et ancien rédacteur de la Junge Freiheit), Benjamin Nolte (dirigeant de l’AfD Oberbayern), Alexander Wolf (vice-président de l’AfD Hambourg et président du groupe parlementaire de l’AfD, auteur du recueil de chansons Cri de guerre, où il a retranscrit les chants des Jeunesses Hitlériennes).
Malgré son vernis intellectuel, les conférences de la Danubia accueillent des personnages plus que sinistres, issus du réseau des Anciens de la fraternité ou plus largement de la galaxie de l’extrême-droite allemande. Des traits communs caractérisent bon nombre des invités d’honneur de la Danubia : l’appartenance à des groupes néo-nazis, un réseau considérable dans les autres corporation étudiantes identitaires, la tendance au négationnisme, à l’antisémitisme, au révisionnisme historique, aux théories du complot.
Les anciens
Pour ce qui est de son réseau des anciens, la Danubia arbore fièrement la figure de Hans-Ulrich Kopp. Issu de la grande bourgeoisie et lui-même patron, Kopp est considéré comme un véritable « multifonctionnel de l’extrême-droite », son curriculum vitae dans le néonazisme est bien long. En 1983 il rejoint le groupe étudiant völkisch Witikobundes (« Fédération de Witiko », dont le nom s’inspire du roman historique homonyme d’Adalbert Stifter) : l’association se donne pour objectif de libérer les Allemands des Sudètes de « l’oppression tchécoslovaque », préconisant le rattachement pur et simple des Sudètes à l’Allemagne (ce qu’avait fait Hitler en septembre 1938). En 1992, Kopp devient rédacteur en chef du journal du groupe, les Witikobriefes (« Lettres de Witiko »). Parallèlement, il adhère à la Danubia en 1985 : il se met à l’œuvre pour tisser des liens entre la corporation munichoise et d’autres fraternités d’extrême-droite, telles la Rugia de Karlsbad et l’Olympia de Vienne ; en 1986 il est le co-fondateur de la Junge Freiheit (en 1990-1995, il en sera rédacteur en chef sous le pseudonyme de Friedrich von Lodenitz). Ses efforts lui valent la nomination au poste de porte-parole de la Danubia en 1987. Deux ans après, il prend part à la déclinaison locale de la Junge Freiheit, l’hebdomadaire Münchner Freiheit (« La Liberté de Munich »). En 1992, il est candidat aux élections universitaires à Munich sur la Liste des étudiants indépendants, dont les affiches et les slogans s’inspirent directement de la propagande du Troisième Reich. L’année suivante, ses efforts sont encore une fois récompensé par la Danubia : Kopp est nommé président de l’Association des Anciens de la corporation (il restera en charge jusqu’en 1998), et on lui confie la responsabilité d’organiser l’université d’été de la Junge Freiheit en partenariat avec la Danubia et la Freiheitlichen Studenteninitiative d’Innsbruck (« Initiative des Etudiants Libres », organisation étudiante du parti néonazi autrichien FPÖ). Après sa « retraite » du militantisme étudiant et journalistique, Kopp s’est lancé dans le révisionnisme historique sur les crimes nazis pendant la guerre mondiale.
La Danubia a organisé des initiatives de soutien à Michael Vogt, ancien membre de la corporation munichoise et ancien président et porte-parole de la BG. Devenu historien, en 2007 il a perdu son emploi à l’Université de Leipzig et à l’Institut de communication et d’étude des médias de Munich à cause de ses travaux révisionnistes. En effet, Vogt a tout fait pour démontrer l’amour du peuple Allemand pour Hitler, pour minimiser les crimes de guerre des nazis, pour glorifier l’Empire allemand d’avant 1918, etc. Vogt a collaboré notamment avec Olaf Rose, membre du NPD et historien révisionniste (ses ouvrages minimisent le nombre de travailleurs forcés dans la Ruhr entre 1940 et 1945), aussi bien que traducteur des textes du complotiste britannique Martin Allen. Encore, Vogt se serait rendu à Strasbourg en 2007 pour tisser des liens avec le groupe d’eurodéputés « Identité Tradition Souveraineté » (ITS), composé entre autres par le Front National (le président du groupe était Bruno Gollnisch), le belge Vlaams Belang et d’autres formations néofascistes italiennes, roumaines, bulgares et autrichiennes. En 2012, Vogt a publié le manifeste La route pour la liberté : le départ de l’Allemagne, où il appelle à la subordination du principe de citoyenneté aux critères « de descendance et de culture ». La même année, il lance avec Jo Conrad le projet Départ Or-Rouge-Noir, visant à unifier les groupes d’extrême-droite qui nient l’existence de la République allemande et qui ne reconnaissent que le système juridique et politique de l’ancien Reich. Plus récemment, les collaborations de Vogt ont concerné l’écrivaine anti-féministe Eva Herman, le météorologue complotiste Wolfgang Thune, les historiens révisionnistes Gerd Schultze-Rhonhof et Gottfried Feder, ainsi que nombre de dirigeants de l’AfD.
Le NPD
Des conférences de la Danubia accueillent régulièrement les figures éminentes du NPD.
Un invité d’honneur a été Alexander von Webenau, ancien président de la JND et de la NHB. Il est connu pour avoir porté un point de vue révisionniste quant aux causes de la Deuxième Guerre mondiale, bien sûr dans le but de défendre les raisons du Troisième Reich dans le déclenchement d’une « guerre préventive ». Il est aussi « célèbre » pour avoir affirmé, en 1998, que la deuxième cause de souffrance de la jeunesse allemande, outre le chômage, était le multiculturalisme. La même année, Webenau a été suspecté d’être à l’origine de la stratégie de la JND de s’infiltrer au sein de la Bundeswehr, l’armée allemande. Outre en direction de l’armée, Webenau a œuvré pour souder les liens internationaux de la JND. En 1999, il a initié un rapprochement entre les jeunes néonazis allemands et les nationalistes polonais du Narodowe Odrodzenie Polski (« Renaissance Nationale Polonaise », NOP), racistes, homophobes et anti-IVG, connus plus pour leur violence aveugle que pour leurs résultats électoraux. Ensuite, Webenau a œuvré pour un rapprochement avec la National Alliance étasunienne, consacré à travers une rencontre officielle avec l’idéologue racialiste William Pierce. Le programme de la National Alliance entend bâtir un nouveau white power, instaurant la ségrégation raciale et luttant pour le salut de la « race blanche ». L’ouvrage de Pierce, Les Carnets de Turner, appelle au meurtre des couples mixtes et des journalistes progressistes, et il a inspiré, par les scènes d’attentats décrites, bon nombre de terroristes étasuniens, dont Timothy McVeigh (auteur de l’attentat d’Oklahoma City du 19 avril 1995, provoquant 168 victimes et 680 blessés).
Un autre conférencier de la Danubia issu du NPD est Thor von Waldstein. Ancien président de la NHB et ancien président-adjoint de la JND, il a été à d’innombrables reprises l’avocat de la galaxie néonazie allemande et internationale. En 1994, il a défendu le négationniste étasunien Fred Leuchter, qui niait une quelconque utilisation du gaz Zyklon B dans les camps d’extermination nazis. En 1998, Waldstein a défendu Hans-Dietrich Sander, fondateur du groupe d’extrême-droite allemande Staatsbriefe (« Lettres d’Etat »), dont l’objectif était de « dépasser la République fédérale allemande et réintroduire un ordre impérial basé sur la tradition Hohenstaufen » (la famille impériale des XII-XIIIe siècles) ; dans son bulletin officiel, le Staatsbriefe a accueilli tout genre de publications antisémites et négationnistes. En 2004, Waldstein a défendu les filles de Fritz Todt (ancien ministre de l’armement du Troisième Reich), alors qu’elles se battaient contre le bureau du district berlinois pour le maintien d’une pierre commémorative de leur père au Cimetière des Invalides de la capitale. En 2013-2014, Waldstein a défendu le négationniste allemand Wigbert Grabert : auparavant proche de Pierre Krebs et membre de son cercle neopaïen Séminaire Thulé, Grabert s’est lancé ensuite dans l’édition et son entreprise a publié n’importe quel ouvrage minimisant les crimes nazis, niant l’Holocauste, propageant le racisme, l’antisémitisme, etc. Lorsque Waldstein était l’avocat de Grabert, celui-ci paraissait devant un tribunal pour avoir publié un pamphlet qui niait les massacres nazis en Ukraines, rédigé par le pseudo-historien Helmut Schröcke, ouvertement antisémite et promoteur de thèses biologico-racialistes contre la mélange interculturel et essayant de montrer que des différences de QI sont génétiquement prouvables entre les différents peuples.
Un autre invité de la Danubia compromis avec le NPD est Günter Deckert. Il a été président du parti entre 1991 et 1996, et il a aussi fait partie du Comité pour la réintroduction de la peine de mort. Il a passé cinq ans en prison en Allemagne pour avoir nié l’Holocauste et avoir incité à la haine raciale contre les Juifs. Il a été le traducteur officiel du négationniste étasunien Fred Leuchter lors de sa tournée dans les milieux néonazis allemands en novembre 1991. Parmi les citations célèbres de Deckert : « L’Holocauste est un mythe diffusé par des personnes parasites qui utilisent un mensonge historique pour museler l’Allemagne ».
Jürgen Schwab a lui aussi été invité par la Danubia. Membre du NPD depuis 2000, il a été rédacteur du journal du parti Deutsche Stimme (« Voix Allemande ») et s’y est illustré pour son opposition farouche au parlementarisme. Il a collaboré avec de nombreuses revues nationalistes et complotistes allemandes et internationales, dont Neue Ordnung (« Nouvel Ordre ») et Die Aula (« L’auditorium », revue autrichienne d’extrême-droite et négationniste, véritable tribune des corporations étudiantes réactionnaires). En 2000, Schwab a été le co-fondateur de la Deutsche Akademie (« Académie Allemande »), un centre de formation basé à Kaiserslautern : parmi ses buts, nous trouvons « le renouveau spirituel du peuple et de l’Etat allemands », la construction de « l’opposition nationaliste », la création d’une « contre-élite intellectuelle », le renversement de la décadence nationale dans laquelle se trouve le peuple allemand « depuis la chute du Reich en 1945 et depuis la dénazification », la remise en cause des concepts de démocratie et de droits de l’Homme. L’Akademie collabore strictement avec la galaxie de l’extrême-droite allemande, de Horst Mahler à Thor von Waldstein, du Séminaire Thulé au NPD et ses organisations satellites.
La Danubia a accueilli également Karl Richter. Ancien militaire et membre du NPD, il a été rédacteur de la Münchner Freiheit, créée en 1989 par le dirigeant de la Danubia Hans-Ulrich Kopp. Richter a été élu au conseil municipal de Munich en 2008 sur la liste Initiative citoyenne pour stopper l’immigration. Lors de la cérémonie d’inauguration du nouveau conseil municipal, Richter a fait un salut nazi : il sera condamné à une amende par le tribunal du district de Munich. Son geste est néanmoins récompensé par la direction du NPD : en 2008 Richter est nommé rédacteur en chef du journal du parti, la Deutsche Stimme (il conserve ce poste jusqu’en 2014), et en 2009 il est élu président fédéral adjoint du NPD. Pendant plusieurs années, Richter a noué des contacts avec le terroriste Martin Wiese, les deux partageant le même fond d’antisémitisme. Pour sa part, en effet, Richter soutient l’existence d’une sorte de complot juif pour « infiltrer la conscience du monde avec le dogme de l’Holocauste » afin de construire une identité juive au détriment des autres identités. A l’occasion de l’attentat de l’île d’Utøya du 22 juillet 2011, Richter a nié la responsabilité directe du néonazi norvégien Anders Brevik, pointant au contraire la responsabilité du système politique en termes de gestion de l’immigration, du multiculturalisme, etc. A l’occasion de l’enquête contre le groupe terroriste allemand Nationalsozialistischer Untergrund (« Parti national-socialiste souterrain », NSU), responsable des meurtres racistes de neuf migrants turcs et grecs entre 2000 et 2006, Richter a affirmé que les violences n’ont pas été planifiées dans les milieux d’extrême-droite mais ont été causées par les institutions de protection de la constitution. Encore, Richter a demandé la fermeture du Centre de documentation sur le nazisme de Munich, qui représenterait à son avis « un million de tombes superflues ». Enfin, concernant le résistant communiste allemand Georg Elser, organisateur de l’attentat contre Hitler du 8 novembre 1939, Richter a affirmé qu’il s’agissait « d’un kamikaze dont l’intention de tuer était néfaste ». Avec de telles affirmations, Richter a gagné une place de premier plan dans divers journaux d’extrême-droite allemands, et depuis 2016 il est intervenu à de nombreuses reprises en soutien aux activités de PEGIDA à Munich.
Anciens nazis, négationnistes et historiens révisionnistes
Parmi les anciens cadres du Troisième Reich invités aux conférences de la Danubia, nous trouvons Wilhelm Stäglich. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il faisait partie d’un bataillon antiaérien et était en charge des liens entre son unité et le détachement SS du camp d’Auschwitz. Après la guerre, il a adhéré au NPD et, en 1979, il a publié aux éditions Grabert Verlag le bouquin Le mythe d’Auschwitz – Légende ou réalité : il y nie l’existence de camps d’extermination et de chambres à gaz, et il affirme que l’ensemble des documents sur l’Holocauste ont été faussés.
Le négationniste le plus célèbre qui ait accueilli par la Danubia est sans doute Horst Mahler. Ancien militant de la RAF, son séjour en prison lui a fait changer complètement de bord politique. En 1997, il se rapproche du philosophe homophobe Günter Rohrmoser, un type qui considérait que la violence contre les homosexuels était utile contre la décadence moderne. A l’occasion du 70ème anniversaire de Rohrmoser, Mahler tient un discours à Stuttgart où il affirme que l’Allemagne est « occupée » et qu’elle doit retrouver son identité nationale. En 1998, Mahler s’attaque à la mémoire de Mai 68, dénonçant que ce mouvement révolutionnaire a eu « des effets dévastateurs sur la religion et la morale ». De cette posture de conservatisme national-chrétien, le passage au néonazisme se fait rapidement. En 2000, Mahler rejoint le NPD et publie une brochure intitulée Ausrufung des Aufstandes der Anständigen (« Déclaration de révolte des braves gens ») : il y exige l’interdiction de résidence des communautés juives en Allemagne, l’expulsion de tous les demandeurs d’asile et de tous les étrangers sans emploi. En 2002, il diffuse une nouvelle brochure dans laquelle la haine antisémite est justifiée comme étant « un signe évident d’un système immunitaire spirituellement intact ». Depuis son adhésion au NPD, Mahler nie l’existence des chambres à gaz et est régulièrement condamné par les tribunaux allemands : en 2004, pour avoir fait l’apologie des attentats du 11 septembre 2001 ; en 2007, pour avoir fait le salut hitlérien en public ; en 2008, pour avoir nié l’Holocauste et pour avoir prononcé Heil Hitler face à un journaliste juif pendant une interview ; en 2009, pour incitation à la haine raciale en qualifiant l’Holocauste de « plus grande mensonge de l’histoire du monde » ; toujours en 2009, pour négationnisme. A de nombreuses reprises, Mahler a menacé de mort les juges et les jurés au cours de ses procès. En 2003, Mahler a fondé la Verein zur Rehabilitierung der wegen Bestreitens des Holocaust Verfolgten (« Ligue pour la réhabilitation des inculpés à cause de la contestation de l’Holocauste »), vouée à prendre en charge la défense légale des négationnistes enquêtés par la justice allemande ; la Ligue a été dissoute en 2008. Récemment, Mahler a encore fait parler de lui : il a affirmé que l’actuelle constitution allemande est seulement « quelque chose de provisoire pour la période de transition vers la reconstruction du Reich allemand » (un IVème Reich), et que le dernier jour de l’état de droit en Allemagne a été le celui de la capitulation de la Wehrmacht (7 mai 1945).
Un invité d’honneur de la Danubia a été Reinhold Oberlercher. Son parcours d’adhésion à l’extrême-droite allemande commence à côté de Horst Mahler et d’Uwe Meenen au sein de l’organisation Deutschen Kolleg (« Les Collègues Allemands »). En 1993, Oberlercher publie le Programme des premiers cent jours du gouvernement d’urgence nationale, où il propose notamment « l’interdiction définitive des travailleurs étrangers – pions des trafiquants de stupéfiants -, l’interdiction de l’idéologie humaniste, l’interdiction du pacifisme, le rétablissement du Reich allemand ». En 1999, il se lance dans le révisionnisme historique : son texte Explication canonique pour le mouvement de 1968 s’efforce de montrer que Mai 68 a été porteur d’une visée nationaliste-révolutionnaire. En 2004, il est accusé avec Mahler d’incitation à la haine et à la violence contre les minorités ethniques. Suite à cette expérience, il développe le concept de « citoyenneté du Reich » (Reichsbürger) en opposition à la citoyenneté de la République allemande, qui serait ainsi inexistante du point de vue juridique et non-apte à juger des allemands.
En 2006, l’historien révisionniste Gerd Schultze-Rhonhof a été invité aux célébrations de l’anniversaire de la création de la Danubia. Ancien général de l’armée allemande, Schultze-Rhonhof en est exclu après une polémique avec la Cour constitutionnelle quant à l’interprétation à donner aux crimes des soldats. Il fonde alors l’association Südtiroler Schützenbundes (« Fédération des tireurs du Tyrol du Sud ») sur des bases idéologiques proches de celle de l’ancien BAS. Dans la même période, Schultze-Rhonhof commence à travailler avec le suisse Ivo Sasek, théoricien du complot, négationniste, occultiste et historien révisionniste. C’est ce travail avec Sasek qui inaugure la carrière d’historien révisionniste pour Schultze-Rhonhof : depuis, dans ses ouvrages, il déforme les visées impérialistes du Troisième Reich sur la Pologne (attribuant à Hitler une volonté pacifiste), il manipule les chiffres des déportations et des exécutions des Juifs polonais en Allemagne, il dénonce la falsification des archives officiels allemand de la Deuxième Guerre mondiale, etc.
Collaborateur de Schultze-Rhonhof, l’historien révisionniste Walter Post a été un autre invité de la Danubia. Post est l’un des théoriciens de la « guerre préventive » : dans ses ouvrages, il affirme qu’Hitler aurait été contraint d’envahir la Pologne pour se préparer à une attaque franco-britannique inévitable. Aussi, Post a minimisé les objectifs raciaux du régime nazi et les crimes divers dont celui-ci s’est rendu coupable. Grâce à ces thèses, Post a collaboré à peu près avec tous les magazines de l’extrême-droite allemande (Junge Freiheit, Deutsche Stimme, Nationalzeitung) et autrichienne (Die Aula, Deutsches Kulturwerk Österreich). En 2008, il a été candidat aux élections municipales munichoises sur la liste de rassemblement identitaire Pro Münich.
Un autre conférencier de la Danubia a été l’autrichien Martin Pfeiffer, membre du parti néonazi autrichien Freiheitliche Partei Österreich (« Parti de la liberté d’Autriche », FPÖ). Après une jeunesse dans le monde des fraternités d’extrême-droite autrichiennes, depuis 2004 il est rédacteur en chef du magazine néonazi Die Aula. A ce sujet, le Centre de documentation de la Résistance autrichienne a constaté que « Sous la direction de Pfeiffer, des nouvelles manifestations de racisme, d’antisémitisme, de complotisme, de revanchisme et de distorsions historiques ont eu lieu dans Die Aula ». Depuis 2010, Pfeiffer est également président de la Gesellschaft für freie Publizistik (« Société pour un journalisme libre », GfP), liée au NPD et considérée comme « la plus grande association culturelle d’extrême-droite en Allemagne ». Les buts de la GfP sont la révision historique sur l’expérience du régime hitlérien et la suppression de l’article 130 du Code criminel (punissant les crimes liés à l’apologie du nazi-fascisme, au négationnisme et à l’incitation à la haine). En 2014, Pfeiffer devait participer au festival de la Danubia avec une conférence sur le thème « Pour la patrie : Die Aula. La liberté de publication au temps de la lutte contre le droit », mais la pression faite autour de cet événement par les organisations antifascistes a obligé la fraternité munichoise d’annuler officiellement sa venue.
Les terroristes
Parmi les terroristes invités à s’exprimer lors des conférences de la Danubia, nous trouvons Peter Kienesberger. Militant néonazi autrichien, il fait ses preuves dans une corporation étudiante, la Brixia Wirkender, puis rejoint le BAS au Tyrol du Sud en 1961. Il est condamné par contumace par les tribunaux italiens en 1967 à la réclusion à perpétuité pour son implication dans la mouvance terroriste tyrolienne. Kienesberger s’enfuit en Autriche, et en 1966 il participe avec d’autres anciens du BAS à la fondation du Nationaldemokratische Partei – Österreich (« Parti National-démocrate – Autriche », NDP-Ö) : son programme exige l’annexion autrichienne par l’Allemagne, la réintroduction de la peine de mort, l’expulsion des travailleurs étrangers (coupables d’« infiltration » et de « super-aliénation »). A cause de son idéologie biologico-raciste, le parti est finalement dissout en 1988. Mais Kienesberger s’enfuit à nouveau : il s’installe à Nuremberg, où il s’illustre d’abord par la publication de l’ouvrage Buchdienst Südtirol, imprégné de propagande néonazie, puis par sa collaboration avec l’hebdomadaire Junge Freiheit.
Le terroriste allemand Martin Wiese n’est pas intervenu à la Danubia pour une conférence, mais était présent dans les locaux de la fraternité lors des violences xénophobes de janvier 2001. En 1992, à 16 ans, cet individu avait déjà participé à l’incendie du centre de réfugiés de Rostock-Lichtenhagen. Son séjour à Munich depuis 2000 est marqué par son intégration rapide dans la scène néo-nazie : avec Norman Bordin, Wiese co-dirige la Kameradschaft Süd – Aktionsbüro Süddeutschland (« Esprit de camaraderie du Sud – Groupe d’action d’Allemagne du Sud »), et c’est à titre que les deux sont invité dans les locaux de la Danubia en janvier 2001. Parallèlement, Wiese prend part aux initiatives du NPD (notamment à son service d’ordre) et au groupe de combat de Blood and Honour ; il participe à la Marche commémorative de Rudolf Hess à Wunsiedel ; il organise une manifestation contre une exposition historique sur la Wehrmacht jugée « trop partisane » ; il prononce des discours lors des commémorations des « héros de la Wehrmacht » tombés durant la bataille de Stalingrad. En avril 2002, il passe en justice suite à une agression raciste contre un ressortissant africain. En 2003, Wiese et huit autres membres de la Kameradschaft préparent un attentat à la bombe contre le nouveau Centre culturel juif de Munich. Les terroristes sont arrêtés et Wiese écope une peine de prison ferme de sept ans. Pendant le procès, les documents privés de Wiese sont dévoilés : on y découvre des textes d’apologie hitlérienne, des appels à la destruction de la « république juive » que serait devenue l’Allemagne, des projets de réinstauration violente d’un Etat national-socialiste, etc. Sorti de prison en 2011, Wiese a continué ses relations avec la scène néonazie allemande : il a fondé l’organisation Nationale Soziale Bewegung (« Mouvement National-Social »), il a participé à la commémoration des SS à Bad Reichenhall et à de dizaines d’autres manifestations de ce genre. Depuis, il entre et sort de prison régulièrement : en septembre 2011, avec d’autres néo-nazis, il a pris d‘assaut une auberge où se trouvaient des militants antifascistes ; en 2013, il a fait l’objet d’une plainte pour avoir agressé des journalistes.
Les pseudo-intellos de la Nouvelle Droite
Un conférencier de prédilection de la Danubia est Alain de Benoist, dont le curriculum vitae dans la galaxie de l’extrême-droite française des années 1960-1970 est bien connu : de l’OAS à la Fédération des Etudiants Nationalistes (FEN), du GRECE au Parti des forces nouvelles, de Benoist a participé à tout projet réactionnaire sur le sol français. Au fil des années, il a défendu l’Algérie française, l’œuvre terroriste de l’OAS, le régime d’apartheid en Afrique du Sud, etc. Depuis les années 1980, de Benoist a intégré le processus de « modernisation intellectuelle » de l’extrême-droite, et s’est lancé dans une analyse du rapport entre la mondialisation, l’impérialisme et l’identité culturelle. Malgré le fait que ces nouvelles recherches aient compliqué ses rapports avec les organisations politiques d’extrême-droite, de Benoist reste néanmoins un auteur de référence et un invité d’honneur des néofascismes européens.
Toujours dans la galaxie de la « Nouvelle Droite », la Danubia a accueilli Pierre Krebs. Compagnon de route de Dominique Venner et ancien membre fondateur du GRECE, cet écrivain identitaire a fondé en 1980 le Séminaire Thulé, un « cercle intellectuel » installé à Kessel en Allemagne. Le nom de ce groupe s’inspire de l’homonyme Société secrète de Thulé crée en 1918, qui a accueilli des penseurs antisémites, pangermanistes, völkisch, occultistes, néopaïens, ésotéristes, des pseudo-scientifiques biologico-racistes, des historiens révisionnistes et des faussaires de la mythologie… tous dédiés à la justification de la supériorité de la « race germanique » au sein de ce véritable laboratoire de l’idéologie nazie (des membres de Thulé ont été directement impliqués dans la création du DAP en 1919 et du NSDAP en 1920, et avaient proposé notamment l’adoption de la svastika et de la croix gammée comme symboles du nouveau mouvement). Le Séminaire Thulé de Pierre Krebs n’est pas seulement un hommage à cette société secrète qui a tant inspiré le nazisme, mais il perdure encore aujourd’hui ses pires traditions : le groupe dénonce le développement d’une société multiraciale provoquant un « suicide ethnique » des cultures européennes ; il défend toute sorte de politique raciste, dont l’apartheid (les « espèces » européennes devraient être défendues de tout « matériel génétique » des migrants) ; il proclame « la subordination du principe politique au principe racial » ; il appelle à une « renaissance européenne comme alternative païenne-métaphysique », à travers la suppression du pluralisme et une politique strictement anti-égalitariste (« L’égalitarisme dans ses différentes variantes du christianisme, du judaïsme, du marxisme et du libéralisme est la cause principale de la décadence du monde moderne »).
Un autre « intello » à la cour de la Danubia est Bernd Rabehl. Ancien meneur de l’Union des étudiants socialistes ouest-allemands (SDS), dès 1992 il rejoint d’autres écrivains de la Junge Freiheit ainsi que Sascha Jung, membre de la Danubia, dans la tentative de renouer avec l’expérience du Hofgeismarer Kreis (« Cercle d’Hofgeismar ») : il s’agissait d’un groupe de jeunes socialistes qu’en 1923 – après l’occupation française de la Ruhr – décidèrent de rompre avec l’internationalisme marxiste et de passer à un socialisme national et chauvin. La conversion de Rabehl au nationalisme est consacrée dans un discours qu’il tient en 1998 au siège de la Danubia, à Munich : il y dénonce l’immigration comme étant la cause de l’ « aliénation culturelle » de l’Allemagne et de sa perte d’identité, prémisses d’une prochaine guerre civile et du terrorisme ; il y dénonce également la responsabilité de la gauche antifasciste et des médias nationaux et étrangers dans cette perte d’identité. Après ce célèbre discours, Rabehl devient un rédacteur régulier de la Junge Freiheit et collabore de plus en plus avec le NPD. Les accusations d’antisémitisme commencent à se multiplier à son égard : en 2004, il développe la théorie de l’existence d’un « club d’Auschwitz » (formé par la « gauche politiquement correcte », « les profiteurs et les parasites de l’opération culture », des sociétés secrètes et des services des renseignements étrangers). Selon Rabehl, ce club utiliserait le « tabou de l’antisémitisme » pour museler et isoler socialement les oppositions nationalistes dans différents pays. En 2005, Rabehl rejoint le parti pangermaniste et ultra-nationaliste Deutsche Volksunion (« Union populaire allemande », DVU). C’est au cours de la même période qu’il se lance dans le révisionnisme historique et, notamment, il qualifie de « farce » le procès de Nuremberg de 1945-1946. Sa collaboration avec le NPD augmente exceptionnellement depuis 2009, lorsqu’il devient l’expert du parti sur les questions constitutionnelles : dans un discours de janvier 2009 lors de la Fête de Nouvel An du NPD, Rabehl dénonce le complot du système financier international contre l’identité allemande (langue, culture, éducation, urbanisme). A cette époque, Rabehl commence à collaborer aussi avec le Parti des Suisses nationalistes (PNOS), formation particulièrement antisémite et antiféministe.
BAF – Brigade Antifasciste de Strasbourg
[1] https://bafstrasbourg.wordpress.com/2018/01/06/gabriele-adinolfi-un-terroriste-a-la-cour-du-bastion-social-de-strasbourg/