Note explicative : Le salaire étudiant
Publié le 28 Avril 2015
Note explicative du Collectif national de l'UEC : Le salaire étudiant
I – Introduction
Aujourd’hui, près d’un étudiant sur deux travaille à côté pour financer ses études et parmi ces étudiants travailleurs, ce sont 66% qui effectuent une activité sans lien avec leurs études et plus de 49% qui occupent au moins un job à mi-temps[1]. Ce constat est symptomatique. Il est révélateur d’une société malade, qui ne répond pas aux besoins de sa population, en particulier des jeunes et des étudiants.
Tandis que certains n’hésitent pas à vanter les mérites du « job étudiant », qui aiderait soit disant à acquérir une certaine autonomie financière, les chiffres sont alarmants. Ainsi donc il faudrait exercer une activité rémunérée, en parallèle de ses études et leur faisant bien souvent concurrence, pour prouver à ces bien-pensants le sérieux des étudiants ?
De nombreuses personnalités de la classe politique feignent la compassion, prétendant faire de la jeunesse leur priorité et félicitant les étudiants-salariés pour leur « détermination ». L’on attendrait de ces personnes qu’elles prennent réellement le parti de ces étudiants en agissant pour leur permettre d’étudier sans avoir à travailler.
Car la réalité est là : de plus en plus d’étudiants sont forcés de se salarier, non par envie ni par quelconque volonté de « maturité », mais bien par obligation : 69.5% de ceux-ci avouent que leur activité rémunérée leur est indispensable pour vivre[2]. Frais d’inscription, loyer, factures, courses, livres et manuels, sorties sont autant de dépenses auxquelles tout étudiant doit faire face lorsqu’il arrive sur les bancs de l’université. Ces dépenses sont d’autant plus importantes que seulement 7% des étudiants ont accès au logement géré par le CROUS, le reste devant faire appel au privé lorsqu’il n’est pas possible de rester chez leurs parents.
Oui mais la bourse ? Si la bourse est un système d’aides sociales ô combien indispensable à l’heure actuelle, il n’en demeure pas moins qu’elle ne permet pas de répondre à nos besoins. Trop faible pour certains, inexistante pour d’autres, nombre d’étudiants ne peuvent compter sur la bourse pour survivre. C’est d’ailleurs pour cela que 38% des boursiers travaillent parmi lesquels plus de 61% exercent une activité sans rapport avec ses études[3]. En outre, le système même fait qu’elle est calculée en fonction des revenus des parents et qu’elle peut être arrêtée si l’étudiant ne fait pas preuve d’assiduité… cette dernière condition ne paraitrait pas choquante à prime abord, mais qu’en est-il des étudiants forcés de travailler même pendant leurs heures de cours ? La suite on la connait : ces étudiants finissent souvent par arrêter leurs études, faute de temps pour réviser et préparer leurs examens. C’est donc un système bien injustice pour multiples raisons.
Et l’allocation d’autonomie alors ? L’idée en soi n’est pas mauvaise pour pallier l’insuffisance du système de bourse : une allocation pour chaque étudiant en fonction de ses propres revenus. Un gros bémol subsiste cependant : cette allocation serait financée par l’Etat. Or les critiques faites au système de bourse se fondent justement, en partie, sur ce terrain. L’Etat, s’il met en place ce mécanisme d’aide, est en droit de fixer ses propres conditions lesquelles peuvent au final rendre son caractère injuste à ce système.
II – La véritable solution : le salaire étudiant
Un salaire étudiant : pour qui, pour quoi ?
Avec le salaire étudiant, les étudiants n’auraient plus besoin de se salarier pour financer leurs études et vivre dignement. Cette proposition surfe sur l’idée du salaire universel de Bernard Friot[4].
Ce dernier préconise la mise en place d’un salaire universel à deux fins : casser le lien emploi-salaire qui pérennise le lien de subordination et d’exploitation des travailleurs envers leurs employeurs et permettre à tout un chacun, de la majorité jusqu’à la mort, de recevoir un salaire en fonction de sa qualification. L’on ferait ainsi disparaître le chômage et l’extrême-pauvreté.
Utopique ? Pourtant en tant que communistes, on a l’habitude de ce genre de remarques. L’intérêt n’est pas à démontrer tant ce système est utile et même nécessaire. Il convient en effet de garder en tête que si dans le langage courant emploi et travail sont utilisés comme des synonymes, en réalité ce sont deux notions bien distinctes : par emploi l’on entend toute activité professionnelle exercée par un employé dans un lien de subordination avec son employeur. Le travail quant à lui représente toute activité quelle qu’elle soit, dès lors qu’elle sert les intérêts de la société. C’est notamment le cas des travaux domestiques et du bénévolat. En cassant le lien emploi-salaire, grâce notamment au salaire socialisé, l’on met alors fin à l’exploitation des travailleurs salariés. Ces derniers, en touchant un salaire universel socialisé, ne sont plus à la botte de leurs employeurs. En effet, si les patrons se sentent aujourd’hui aussi puissants c’est parce que le système actuel le leur permet en ayant recours au chantage à l’emploi et au harcèlement. Avec la garantie d’un salaire à la fin du mois, tous les mois, finie la toute puissance des employeurs !
Un salaire socialisé, kezako ? Ce n’est pas une invention, en fait il existe déjà. Quand on exerce une activité rémunérée déclarée, on dit qu’on touche un salaire. En fait on ne touche pas son salaire en entier mais une partie de celui-ci : le salaire net. L’autre partie est ce que l’on appelle le salaire différé : ce sont toutes les cotisations à l’assurance maladie, assurance chômage, à la retraite auxquelles l’on a droit et qui sont financés par les employeurs. Ce n’est pas un cadeau de ces derniers, c’est juste le reste du salaire due qui, au lieu d’être versé sous forme de salaire comptant, l’est en différé.
L’idée de salaire universel socialisé est donc d’attribuer à chacun un salaire grâce aux cotisations, comme le système des retraites, autrement dit en fonction de ses qualifications et non de l’emploi occupé. Tout comme le statut des fonctionnaires, l’on détache ici le rang et le salaire de l’emploi pour le rattacher à la personne et à sa qualification.
Si nos revendications ne sont pas directement liées à celle du salaire universel, elles demeurent néanmoins dans la même logique : un salaire étudiant pourrait être attribué à chaque étudiant grâce au salaire socialisé. En effet, parce que les étudiants travaillent, ils doivent pouvoir être rémunérés à hauteur de leur qualification.
Les étudiants travaillent. Qu’on le veuille ou non, les étudiants travaillent et leur travail sert la société dans son ensemble. S’il est vrai que les études et travaux menés dans le cadre de nos études nous permettent de nous former, il est aussi vrai qu’ils ont un retentissement bénéfique sur le monde universitaire et le monde professionnel. Combien de thèses, combien de mémoires ont permis d’avancer sur des questions d’actualité, de société, d’histoire, de droit, des questions scientifiques aussi. Combien également de travaux aident voire orientent nos professeurs d’université et enseignants-chercheurs ?
Tout travail mérite salaire. Pourrait-on un instant imaginer un travailleur qui ne serait pas rémunéré après avoir participé à l’activité économique du pays ? Oui, puisque cela a existé en France de façon institutionnelle jusqu’à pas très longtemps, et continue d’exister subrepticement : ce que l’on appellerait l’esclavage moderne.
Il est plus que jamais nécessaire de mettre en œuvre ce système de salaire étudiant.
Financement, coût et modalités de mise en œuvre
- Bénéficiaires
Le salaire serait attribué à tout étudiant inscrit dans un établissement d’Enseignement Supérieur. Il ne serait pas fonction de quelconques ressources, tout comme le salaire que l’on connaît à l’heure actuelle ne dépend de rien d’autre que du poste occupé. Rattaché à la personne, le salaire dépendrait ainsi de la qualification de chacun.
- Financement
Comme expliqué plus haut, ce salaire serait financé par les cotisations sociales. Avec les années, la part du profit dans le PIB n’a cessé d’augmenter au point d’avoisiner les 32% aujourd’hui. Or, si l’on nous rétorque souvent que le profit sert également à financer les investissements productifs, il convient de rappeler que ces derniers représentent pourtant une part de moins en moins importante dans le PIB, au profit de l’épargne. Il est grand temps que les richesses de ce pays profitent à tous et non à quelques privilégiés.
- Modalités
Le salaire ne serait pas distribué par le CROUS ou un organisme de l’État mais par des caisses de cotisations sociales. Il nous parait normal que la retraite ne soit pas versée par l’ancien employeur mais par une caisse de retraite. La logique est la même ici, la branche étudiante formant une branche parmi celles déjà existantes : la vieillesse, le chômage, la maladie, la famille etc.
Conclusion
Ce n’est pas contraire au but poursuivi par notre organisation de renversement du capitalisme que de se servir d’outils à notre disposition pour faire avancer les droits de chacun. Bien au contraire, nous devons nous emparer de ces deux instruments que sont la revendication pour une qualification personnelle et un système de cotisation pour mettre fin à la précarité qui ronge la vie des étudiants. Cette proposition n’est pas utopique. Elle est réaliste et réalisable. Nous devons nous l’approprier, la discuter, l’expliquer afin d’en faire un vrai projet des étudiants communistes.
III – Illustrations concrètes
Féminisme
La bataille du féminisme s’est bien ancrée dans notre organisation maintenant. Mais parce que la lutte pour arriver à l’égalité femmes-hommes est encore loin d’être terminée et les choses loin d’être gagnées, nous devons toujours garder en tête les problèmes auxquels sont confrontés les femmes, notamment les étudiantes, dans leur vie quotidienne.
Combien d’étudiants, et surtout étudiantes, se prostituent pour financer leurs études ? Combien de jeunes mères de famille seules sont obligées d’arrêter les leurs faute de revenus suffisant pour arriver à élever leurs enfants et à poursuivre les cours ? On peut citer à ce titre l’histoire de cette jeune étudiante célibataire mère d’une petite de 6 ans qui ne peut prétendre aux aides sociales et qui ne touche que la bourse comme un étudiant lambda. Ou ces étudiantes qui proposent leurs services sur internet sans voir cela comme de la prostitution, qu’elles subissent plus qu’autre chose.
L’on parle aussi beaucoup de l’orientation genrée qui fait que les garçons sont en proportion plus nombreux dans certaines filières (sciences dures, filières médicales etc) quand les filles les boudent pour se diriger vers les sciences sociales et humaines, les langues etc. En réalité, il ne s’agit pas d’un hasard mais cela est bien due à la société patriarcale dans laquelle nous vivons et grandissons. Et quand les pressions ne sont pas purement psychologiques, elles sont financières. Or chacun devrait pouvoir choisir ses études en fonction de ce qui lui plaît.
C’est pourquoi l’on pense que le salaire étudiant peut répondre à ces problématiques. En touchant un revenu tous les mois, les étudiantes n’auraient plus à choisir entre s’occuper du petit et aller à l’université, se prostituer ou arrêter les études, faire ce que dit le maître de stage ou ne pas valider son UE voire son année et aller chercher un job pour survivre.
Stages
Les étudiantes ne sont pas les seules à subir le harcèlement lors des stages. Outre le fait qu’ils ne répondent pas à nos attentes en matière de formation et qu’ils constituent un outil béni par les employeurs leur permettant de profiter d’une main d’œuvre à très bas prix sans avoir à embaucher, ils représentent également une institution dans laquelle le harcèlement est maître.
Parce qu’il est de plus en plus difficile de trouver un stage et qu’il joue un rôle plus ou moins prépondérant dans l’obtention de son année selon les filières, les stagiaires acceptent tout ce qu’on leur demande de faire sans rechigner. C’est ainsi que même les stages « photocopies-café » sont considérés comme faisant pleinement partie de la formation universitaire. Plutôt drôle si ce n’était pas si dramatique.
L’on voit mal ce que le salaire étudiant pourrait changer à cela, et pourtant : toujours dans cette logique d’autonomisation, l’étudiant stagiaire retrouverait sa liberté en ce que l’employeur n’aurait plus l’avantage sur lui. Bien sûr cela va de pair avec une réforme en profondeur de l’institution même.
La loi du 10 juillet 2014 avait trois objectifs : favoriser le développement de stages de qualité, éviter le recours abusif aux stages par les employeurs et améliorer le statut des stagiaires. Or, l’on s’est rendu compte des contradictions inhérentes à cette loi dans le concret : les difficultés pour trouver un stage sont d’autant plus grandes aujourd’hui que de moins en moins d’employeurs ne souhaitent (ou ne peuvent pour les plus petites structures) prendre de stagiaires du fait de l’augmentation de leur rémunération. Pourtant cette loi ne va pas assez loin puisque, si elle prévoit une hausse de la rémunération, celle-ci reste encore largement inférieure au SMIC.
Il est donc nécessaire de repenser les stages selon leur intérêt et les encadrer, légalement et administrativement, afin de mettre fin à cette situation. Un stage doit réellement pouvoir entrer dans la formation des étudiants, lesquels devraient tous pouvoir en trouver sans trop de difficultés mais en veillant bien à ce qu’ils ne constituent pas pour les employeurs une alternative au recrutement.
Le salaire étudiant permettrait aux stagiaires de percevoir un revenu même en cas où aucune rémunération n’est possible par la boite (exemple si celle-ci n’est pas soumise au droit français : stage à l’étranger, stage dans une ambassade ou un consulat d’un Etat étranger en France ou bien une organisation internationale) et alors même que les frais de stage sont lourds à supporter : loyer, transport, etc.
Logement
On l’a déjà expliqué plus haut : un salaire étudiant c’est la meilleure alternative à l’obligation de se salarier pour se loger.
En outre, les défaillances du système actuel d’aide au logement sont exacerbées depuis la dernière trouvaille de trois organismes rattachés à l’État (l’Inspection Générale des Finances, l’Inspection Générale des Affaires Sociales et le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable) de revoir le système des APL lorsqu’il ne s’agit pas de purement et simplement le supprimer pour économiser 4 milliards d’euros par an. Ce sont ces mêmes organismes qui viennent nous parler de « principe » alors qu’ils font la chasse aux foyers les plus modestes.
Car ce que ces organismes préconisent dans leur rapport de janvier 2015 est édifiant : faire en sorte que les ménages ne cumulent pas le bénéfice du quotient familial, autrement dit des avantages fiscaux, et la perception de l’APL par l’étudiant non boursier, entre autres propositions ahurissantes. Ils n’hésitent même pas à parler de lutte contre la fraude sociale. C’est bien connu, les plus gros profiteurs de ce système sont les ménages et non les grands patrons et leurs multiples cadeaux fiscaux (exonérations de charges sociales, niches fiscales, parachutes dorés, etc)[5].
En bref, les étudiants et leurs familles sont dans le viseur de l’État quand celui-ci devrait permettre leur réussite et leur bien-être, indispensables au progrès de la société toute entière.
C’est à cette même réussite que nous aspirons avec l’instauration d’un salaire étudiant. C’est également un moyen de faire vivre nos cités U : combien de résidents s’engageraient dans la vie de leur cité s’ils n’étaient pas contraints de travailler pendant leur temps libre ? Combien d’activités culturelles et sportives pourraient être animées par ces mêmes étudiants ? Il suffit de militer en cité U pour s’en rendre compte.
Parallèlement à cela, et pour enrayer le salariat étudiant contraint, c’est le parc public du logement étudiant qu’il convient de développer à l’échelle nationale. On remarque, en effet, que les étudiants en résidence universitaire sont moins contraints de se salarier, « seulement » 36.7% parmi eux exercent une activité rémunérée pendant l’année alors qu’ils 48.6% lorsqu’ils sont locataires ou colocataires[6], et il s’agit pour la moitié des cas d’une activité non liée aux études. C’est bien la preuve une fois de plus que les deux choses sont liées.
IV - Conclusion
On le voit, le salaire étudiant est la solution afin de mettre un terme à la précarité que connaissent les étudiants. Les jobs nuisent à notre réussite : 20,5% des étudiants salariés considèrent que leur activité a un impact négatif sur leurs études et 31.2% qu’elle est source de stress[7]. Ces taux sont peut-être loin de ceux que l’on peut imaginer, il n’empêche qu’ils sont déjà trop importants pour ne pas les dénoncer. A contrario, les étudiants veulent pouvoir se consacrer pleinement à leurs études : 56.2% des étudiants qui n’exercent pas d’activité rémunérée s’abstiennent à cette fin alors que 81,3% considèrent ne pas avoir suffisamment de ressources sans travailler[8]. C’est encore une fois la preuve que les étudiants ne sont pas ces « gros fainéants » qui ne veulent pas travailler pour pouvoir s’amuser.
Les conséquences qu’emporte la mise en place d’un salaire étudiant ne sont pas moindres puisqu’elles touchent tous les domaines de la vie : éducation, logement, stages, mais aussi transport, santé, loisirs, etc.
Néanmoins, n’oublions pas que cette revendication est insignifiante sans celles qui caractérisent le mouvement communiste. C’est ainsi que nous continuerons de nous battre pour l’accès à la santé ouvert et gratuit pour tous, pour des transports publics et gratuits, pour l’amélioration des conditions de vie en cité universitaire, pour la construction massive de nouvelles résidences étudiantes publiques, pour le réengagement massif de l’État dans le logement étudiant et dans l’Enseignement supérieur, mais également pour sa gratuité et ses offres de formation tournées vers les besoins et envies des étudiants et non vers celles du patronat.
Mais ne nous leurrons pas : la lutte des classes est bel et bien une réalité et il nous revient à nous de peser dans le rapport de force afin de permettre à chaque étudiant de réussir en profitant de ses années universitaires.