État des lieux de l'enseignement supérieur en Allemagne [Die Linke-SDS]
Publié le 30 Août 2014
Nous vous proposons aujourd'hui un point de vue sur la situation de l'enseignement supérieur en Allemagne par la biais des camarades de Die Linke-SDS (branche étudiante de Die Linke) dont nous traduisons deux articles de leur journal Critica.
Critica, journal de Die Linke-SDS (Sozialistisch-Demokratischer Studierendenverband) [Union socialiste et démocratique des étudiants].
N°12, 2014. Supplément sur les grèves dans l’éducation de l’année 2014.
Financer les universités ! Stopper les coupes budgétaires !
6 thèses pour une protestation à l’échelle nationale contre les coupes budgétaires et le sous-financement.
Prise de position du comité national du SDS
Nos universités sont chroniquement sous-financées. Alors que, durant les quarante dernières années, le nombre d’étudiants a massivement augmenté, les financements des universités n’ont pas augmenté dans les mêmes proportions. Aujourd’hui, plus de 2,6 millions de personnes étudient en Allemagne - jamais il n’y en a eu autant ! D’un autre côté, la situation financière des universités est plus mauvaise que jamais.
Les Länder sont contraints par le biais d’instruments comme la Schuldenbremse [« la règle d’or »] de réaliser des coupes budgétaires. En outre, le gouvernement fédéral refuse de fournir une aide suffisante (« Kooperationsverbot » [« Interdiction de coopérer »]). Les résultats sont des salles de cours surchargées, des retards dans les rénovations, un mauvais ratio étudiants/professeurs, et des conditions de travail précaires du corps intermédiaire [Mittelbau]. Dans certains Länder des suppressions d’emplois sont prévues. Parfois, des filières universitaires entières devront être closes. Contre cela des mouvements de protestation locaux se sont formés :
En Saxe-Anhalt, Thuringe, Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et à Brême, beaucoup d’étudiants sont descendus dans la rue pour protester contre les coupes budgétaires - parfois avec succès ! En Saxe et en Hesse se trouve une résistance plus acharnée.
Toutefois nous sommes toujours confrontés à un sous-financement chronique et de nombreux établissements seront encore touchés. Se pose alors la question suivante : quel futur pour le mouvement de protestation étudiant voulant empêcher les coupes budgétaires et faire disparaître le sous-financement ?
1) Nous avons besoin d’un mouvement de protestation à l’échelle nationale pour le financement des universités
Malgré les différences régionales nous ne devons pas rester isolés : ensemble nous sommes plus forts ! Seul un mouvement de protestation organisé au niveau national peut exercer une pression sur les décisions nationales. Des manifestations régionales peuvent obtenir des succès, néanmoins le problème fondamental reste à un autre niveau :
Les Länder ont peu de possibilités pour améliorer leurs sources de revenus et doivent respecter à la lettre la Schuldenbremse en décidant quel budget va être plus ou moins amputé. Nous demandons que le gouvernement fédéral co-finance les universités publiques.
L’interdiction de coopération doit disparaître définitivement ! La Schuldenbremse doit être dénoncée dans le cadre d’une protestation nationale et combattue pour ce qu’elle est : un frein social et éducationnel.
2) Taxer les richesses - Financer l’éducation ! - Revendiquer un plan de sauvetage pour les universités
En tant qu’organisation active dans les manifestations locales, nous exigeons un plan de sauvetage national pour les universités. Évidemment, celui-ci ne devra pas se faire au détriment des autre domaines comme la culture, l’éducation ou le social. Se demander où l’argent doit être rogné pour sauver l’université est une mauvaise question.
Contre les coupes budgétaires, nous posons la question de la répartition [des richesses] et critiquons l’instrument néolibéral de la Schuldenbremse : l’éducation doit être financée par la juste taxation des richesses de la société. Nous nous positionnons tout aussi clairement contre toute aspiration à la taxation de l’éducation et des études. De même, la reculade de l’État sur les œuvres universitaires ne doit pas être compensée par des frais de semestres plus élevés.
3) Les étudiants et les précaires de la Mittelbau ensemble !
Les suppressions d’emplois dans les universités ne vont pas seulement à l’encontre de l’intérêt des étudiants. Les employés toujours plus précaires de la Mittelbau sont de tous les plus gravement touchés. C’est sur les dépenses liées à la masse salariale que sont réalisées les premières économies, ce qui accroît la précarité, les postes vacants et les licenciements. Nous observons ce processus depuis quelques années et il atteint actuellement un état qui n’est plus soutenable. Lorsque nos enseignants doivent travailler pour un salaire de misère avec une forte insécurité de l’emploi, nous nous devons en tant qu’étudiants de nous soulever et de critiquer cette politique.
Nous nous prononçons pour un élargissement de la protestation avec l’implication des Mittelbau en les encourageant, avec des invitations concrètes aux syndicats ver.di (Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft [le premier syndicat allemand]) et GEW (Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft [syndicat éducation et sciences]).
4) Rassembler les protestations anti-coupes budgétaires !
Nos manifestations contre l’obligation de faire des économies peuvent être combinées avec d’autres rassemblements contre les coupes budgétaires et renforcer ainsi le mouvement. Dans de nombreux endroits, les institutions culturelles, les hôpitaux, les bibliothèques ou les piscines sont également touchés. Nous voulons nouer des contacts avec eux et ainsi associer encore d’autres groupes de la population. En particulier les manifestations en Saxe-Anhalt ont montré qu’une alliance avec d’autres personnes concernées permet de donner à la manifestation une visibilité bien meilleure.
5) Blocages, manifestations et grèves déterminées et radicales
Les précédentes protestations régionales ont montré que la diversité des formes d’action, comme les manifestations et les blocages, ont amené des succès importants. Nous devons nous servir de toutes les possibilités d’action pour réaliser une pression suffisante. Nous proposons en tant que SDS un jour de manifestation à l’échelle nationale, où nous appellerons nationalement les étudiants à des assemblées générales, des grèves décentralisées, des manifestations et des actions de protestation créatives dans le but d’exercer une pression sur le gouvernement fédéral.
Cela comprend également des manifestations coordonnées au niveau national, de telle sorte que dans chaque lieu aucune coupe budgétaire ne soit considérée comme acceptable. Une fois qu’une décision appropriée sera prise dans les comités universitaires, nous devons essayer d’empêcher cela et appeler l’administration universitaire à stopper la poursuite des mesures d’austérité.
6) Pour une université démocratique, pacifique et critique
Sur beaucoup de sites les coupes budgétaires vont main dans la main avec la suppression de la démocratie dans les universités. Nous pensons également que ce n’est pas par hasard que les coupes budgétaires accompagnent les combats politiques autour des réformes autocratiques de l’université dans les Länder, comme par exemple en Saxe ou Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Les contenus critiques meurent souvent en premier à cause des coupes budgétaires. En outre, le besoin de financements extérieurs augmente, qui peuvent venir de la Bundeswehr [l’armée allemande] et ce procédé affaiblit ainsi les Zivilklausel-Initiativen [La Zivilklausel - « Clause civile » - est un engagement prit par certaines institutions universitaires allemandes à mener des recherches uniquement pour le domaine civil et non militaire.]
Avec notre combat contre les coupes budgétaires, le débat doit s’allier à une alternative de fond : une université démocratique, pacifique et critique.
Nouvelle manifestation, nouvelle chance ?
par Daniel Schultz
Cela devient sérieux. Des coupes budgétaires de plusieurs millions dans le domaine de l’éducation vont nous toucher dans les prochaines années. La Schuldenbremse [« la règle d’or »] a déjà massivement attaqué le budget des Länder et opéré des coupes dans le secteur public - c’est-à-dire que ta piscine ferme, ta place pour ton enfant dans une garderie est en danger, et dans ton université il y aura encore plus de cours surchargés, encore plus de concurrence entre étudiants, encore moins de pensée critique et de gestion démocratique de l’université.
En Hesse, cette attaque opérée par le gouvernement noir-vert [coalition entre la CDU et les Verts] du Land sur le domaine de l’éducation est déguisée de manière plus subtile. Il est question ici de « l’allongement » du programme de construction « Heureka » et du programme de recherche « Loewe ». Sous ces formulations fleuries se cachent en vérité de fortes coupes budgétaires qui amputent les finances des universités de Hesse à hauteur d’environ 50 millions d’euros. Malgré cette tactique de dissimulation, il se forme déjà ici à Francfort une alliance élargie pour lutter contre ces coupes budgétaires avec les AStA (Allgemeiner Studierendenausschuss [comité général des étudiants d’une université]), les syndicats, plusieurs Fachbereiche [≃UFR] et groupes d’instituts, Campus Antifa et le SDS. À la fin du semestre passé a eu lieu une manifestation contre l’obligation de paiement des 50 euros de Verwaltungsgebühr [frais administratifs], un vestige de l’ère Roland Koch (CDU). Cette taxe n’est pas réutilisée pour tous, mais uniquement pour consolider le budget du Land de Hesse. Avec la manifestation, tout le monde a été mis au courant des frais de semestre élevés (344 euros) qui sont pratiqués à la Goethe-Universität [située à Francfort-sur-le-Main]. Il a été demandé la suppression immédiate des Verwaltungsgebühr ainsi qu’un financement suffisant pour les universités.
Le jour de la manifestation a eu lieu simultanément l’attribution du « Deutschland- Stipendiums » [« Bourse d’étude d’Allemagne ». Bourse au mérite attribuée aux étudiants réalisant leurs études dans des universités publiques allemandes. Elles concernaient en 2012 0,6% des étudiants et représentent un montant de 300 euros par mois pour ses bénéficiaires]. Le nouveau ministre de la culture et des sciences Boris Rhein (CDU), qui lors de la dernière législature en tant que ministre de l’intérieur est responsable de l’utilisation démesurée et sans fondement de la répression policière contre le mouvement Blockupy, a tenu un discours lors de la cérémonie de remise des bourses et a été salué comme il se doit par environ 250 bruyants étudiants à l’extérieur et à l’intérieur de la salle des fêtes, qui lui ont tourné le dos lors de son discours de 50 minutes en signe de protestation.
Le Fachbereich sciences de l’éducation a lors d’une assemblée générale appelé pour le mois de mai à une semaine de « la participation politique pratique ». Combien d’autres Fachbereiche souffrent également d’un grave sous-financement, à un tel point que des postes de professeurs ne soient plus pourvus et que de ce fait un enseignement correct ne soit plus garanti. D’autres Fachbereiche et le Mittelbau ont déclaré leur solidarité et soutiennent la revendication, car le sous- financement structurel concerne tout le monde. Ce n’est qu’ensemble, également en coopération avec les mouvements hors-université et avec une coordination nationale, que nous pourrons lutter efficacement contre la politique de pénurie budgétaire.
Les prochaines protestations dans le domaine de l’éducation, avec la politisation des personnes concernées, sont une chance d’ancrer les grèves de l’éducation unifiées, et de créer un endroit où les étudiants, employés des Mittelbau et les autres concernés par les coupes budgétaires pourraient s’organiser. Mais il est question ici d’une chose plus large que la résistance face aux coupes budgétaires. Il est essentiel de se poser les questions suivantes : dans quelle université voulons-nous étudier, et quelles conceptions avons-nous de l’éducation et de la science. Si le modèle doit vraiment être « l’université entrepreneuriale », dans la logique de rentabilité économique, que va-t-il nous être enseigné et comment ? Ou bien ne voulons-nous pas plutôt d’un environnement éducatif, dans la pensée critique, où la connaissance la plus étendue possible puisse profiter au plus grand nombre. Les nouvelles manifestations de l’éducation peuvent être une chance pour porter le débat et nos revendications à la lumière du jour.