Suppressions d’emplois à l’abattoir d’Holtzheim : NON à l’offre de reprise au rabais !

Publié le 17 Juin 2016

Photo : DNA

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La situation de l’abattoir d’Holtzheim dans la crise de l’agro-alimentaire français

La Coopérative des producteurs de viandes d’Alsace (Copvial SA), locataire de l’abattoir d’Holtzheim, est en redressement judiciaire depuis le 25 avril 2016 pour les difficultés financières cumulées (retards dans le paiement des producteurs de porcs et bovins, déficit de l’atelier charcuterie, cotisations sociales impayées, concurrence des abattoirs allemands qui font chuter les prix du porc...). Le 14 juin, le groupe Bigard a déposé une offre de reprise pour « restaurer la rentabilité de l’abattoir » et « réaliser des investissements ». Sur la validation de cette offre, la chambre de commerce du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg s’exprimera le 20 juin. Mais une fois de plus, rentabilité ne rime pas avec conditions de travail : sur les 180 salariés actuels de l’abattoir, Bigard n’en reprendrait que 80 ou 90. Une centaine de licenciements seraient donc à l’ordre du jour dans le plan du géant de la filière viande. Notamment, il s’agirait majoritairement des salariés de l'atelier de transformation de Reichstett, destiné à la liquidation après seulement deux ans depuis sa reprise par Copvial SA.

Cet épisode se place dans un contexte plus large que les 10 ans de crise de la filière viande alsacienne. La crise des abattoirs est un des effets de la crise du secteur agro-alimentaire français. La gestion privée des abattoirs et leur course à la rentabilité n’ont su porter pour l’instant que des conditions sociales au rabais : gels de salaires face aux augmentations des cadences, primes d’ancienneté et de treizième mois à la baisse face à une souffrance physique et morale en augmentation, fermetures de sites et suppressions d’emplois (entre 2010 et 2016 en Côtes d’Armor à Lamballe, en 2010 dans le Finistère à Brest, en 2012 dans l’Aude à Castelnaudary, en 2013 dans les Hautes-Pyrénées à Tarbes, en 2016 dans le Gers à Auch et dans le Finistère à Pont-Croix...). L’emprise du secteur privé dans l’agro-alimentaire a porté enfin le mépris pour les garanties sanitaires et éthiques dans l’abattage des animaux.

Les emplois des abattoirs, de l’élevage local ainsi que les conditions d’abattage ne sont pas préservés dans un contexte où les trusts de l’agro-alimentaire et de la grande distribution réalisent des énormes bénéfices en pillant les producteurs et n’hésitant pas à délocaliser en permanence à la recherche d’une meilleure rentabilité, mettant en concurrence les territoires agricoles les uns contre les autres. Les mouvements de grève entamés récemment par les travailleurs de l’agro-alimentaire pour la défense de leurs emplois ont fait l’objet de l’acharnement répressif des grands groupes : citations en justice, flicage des salariés, interdictions de l’accès aux salles de pause et parking, entraves au droit de réunion...

La vidéo des grévistes de l’abattoir de Lamballe, réouvert en 2012 par l’entreprise Cooperl Arc Atlantique à deux ans de la fermeture imposée par Bigard, fait le buzz sur internet car explique le quotidien de souffrance et mépris vécu par ses travailleurs : https://www.youtube.com/watch?time_continue=196&v=FTP-fv8vtY4

 

Ni Bigard ni les trusts de l’agro-alimentaire sauveront la filière viande alsacienne

Lorsqu’on analyse les circonstances des fermetures des abattoirs, on retrouve les mêmes acteurs et les mêmes scenarii : des municipalités ou collectivités locales qui ont « offert » à des entreprises privées des abattoirs alors en régie municipale, versant des subventions publiques pour attirer le secteur privé et le convaincre à s’installer dans la région. Ces subventions ont été parfois très conséquentes, ce qui a permis aux groupes privés la rénovation de l’appareil de production, entraînant des profits importants. Puis, par incompétence des gestionnaires, on assiste à une chute de production (pas d’entretien de la clientèle, actions privilégiées pour des profits à court terme, etc.), qui aboutit inéluctablement à un constat de perte, puis aux licenciements et enfin, à la fermeture des sites.

Le groupe Bigard n’est pas étranger à cette démarche. Il à déjà montré par le passé son mépris des conditions d’emploi et de la dignité des travailleurs. En septembre 2010, alors qu’en plein essor financier il rachetait le groupe Socopa, Bigard a réussi à obtenir la fermeture de l’abattoir de Lamballe et à licencier les 80 salariés du site avec des méthodes douteuses, dans la finalité de mettre en oeuvre ses projets de restructuration rentable de sa filière veau. L’excuse officielle a été celle de « faute grave » : des prétendus « insultes à la hiérarchie » de la part des ouvriers. Cela a permis dans un premier temps de cacher le motif réel de licenciements économiques. Même sur la procédure de licenciement en tant que telle, Bigard avait tenu une attitude plus qu’opaque : entretiens préalables au licenciement fixés oralement par la direction, envoi aux salariés de lettres recommandées ne comportant qu’une feuille blanche à signer en bas...

Malgré sa leadership dans la filière viande en France, Bigard n’a jamais arrêté ses appétits et ses manoeuvres frauduleuses pour conserver ses profits. Lors de la vente de sa marque Valtero, le groupe Bigard a été condamné en 2012 à verser une amende d’1 million d’euros pour le non-respect des engagements qu’il avait pris auprès de l’Autorité de la concurrence et pour avoir « par diverses pratiques, retiré tout l’intérêt à la marque Valtero » avant sa vente. Par la suite, pour avoir tenté de mettre au point des accords (illicites) avec d’autres groupes pour fausser la concurrence quant aux prix d’achat aux éleveurs, Bigard a été condamnée à payer une amende d’1,7 millions d’euros par l’Autorité de la concurrence en 2013 pour « fixation concertée des quantités de porc achetées, dans le but de faire baisser le prix du porc payé aux éleveurs ». Enfin, en pleine crise des éleveurs en 2015, Bigard s’est lancé dans une campagne contre le projet du gouvernement français de fixer un prix minimum pour l’achat de viande de porc pour garantir un revenu minimum aux éleveurs.

Or, y a-t-il des raisons de se réjouir d’une éventuelle arrivée du groupe Bigard dans l’agro-alimentaire alsacien ? Et bien non. Son arrivée se fait déjà sur un projet d’une centaine de licenciements entre Holtzheim et Reichstett. Le rôle des grands groupes comme Bigard dans le contexte de crise de l’agro-alimentaire français a été de réaliser les plus grandes bénéfices profitant des restructurations de filière et des délocalisations. La reprise de l’abattoir d’Holtzheim par Bigard ne serait en aucun cas une garantie de pérennisation de la production et des emplois du plus gros abattoir de la région (abattage de 2/3 de la production régionale de viande). Rappelons que si Bigard n’arrivait pas à maintenir en activité le site d’Holtzheim, à terme les éleveurs alsaciens n’auraient d’autre choix que d’aller en Allemagne ou dans le Loiret pour l’abattage du bétail, provoquant des coûts supplémentaires et renforçant ainsi la crise dans la filière. Enfin, ses condamnations par le passé parlent par eux-mêmes et décrivent une société privée qui réalise ses profits sur le mépris de ses salariés, des éleveurs et des conditions économiques des régions qu’elle investit pour les délaisser quelques années après, laissant derrière son passage des déserts agricoles.

 

Les alternatives existent : l’exemple de l’abattoir de Pont-Croix

Pourtant, les solutions alternatives pour la crise des abattoirs existent. Le cas de l’abattoir de Pont-Croix dans le Finistère est marquant. Après une longue crise et la menace de fermeture du site, ce dernier a été sauvé par le Syndicat Intercommunautaire d’Ouest Cornouaille en mars 2016, réunissant quatre Communautés de communes autour du projet de relance de l’abattoir par une régie publique. Un investissement d’1 million d’euros a été réalisé pour relancer l’activité et garantir l’emploi. La mobilisation des salariés de l’abattoir et des communistes de Cap Sizun a permis aux communes de clarifier un constat qui était pourtant évident dès le départ : permettre la fermeture de l’abattoir aurait signifié un appauvrissement de la région, une accéleration de la disparition des exploitations agricoles, une situation de chômage pour nombre de salariés et une réduction des ressources fiscales des communes.

 

Pour l’abattoir d’Holtzheim, reprise publique et gestion démocratique

Le MJCF 67 et l’UEC Strasbourg estiment que l’offre de rachat de l’abattoir d’Holtzheim par Bigard envisage un volet social inacceptable, préfigurant des conditions de travail au rabais et des suppressions d’emplois, imposant donc le chômage pour nombre de salariés. Seule une reprise publique de l’abattoir en tant que service public, garanti par une mutualisation des colectivités locales, pourrait créer les conditions de maintein de l’emploi ainsi que les conditions pour un contrôle transparent et démocratique des pratiques d’abbatage du bétail. La finalité d’un tel service public devrait viser le développement d'une agriculture de proximité et de circuits courts, conformes aux intérêts des éleveurs et des consommateurs, nécessaire à la vitalité du territoire et au maintien de l'emploi.

La dérive mangériale actuelle des collectivités locales alsaciennes, et en particulier de Strasbourg Eurmétropole, est l’entrave principale à un tel projet de sauvegarde de l’emploi agro-alimentaire et leur non-intervention ne fait que jeter l’avenir du secteur dans les bras des trusts privés. Seule une mobilisation des travailleurs d’Holtzheim et de Reichstett pourra imposer une solution « par le haut », garantir l’emploi pour tous, pérenniser le secteur agro-alimentaire de la région et obtenir des nouveaux contrôles des conditions d’abattage. 

 

Mouvement des Jeunes Communistes du Bas-Rhin et Union des Etudiants Communistes de Strasbourg

Publié dans #Mouvement social

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