L’invitation du Ministre de la justice de Hongrie à l’IEP Strasbourg est inacceptable !
Publié le 27 Mars 2017
Lettre ouverte à :
Gabriel ECKERT, directeur de l’IEP de Strasbourg
Michel DENEKEN, président de l’Université de Strasbourg
Lola COUTURIEUX, présidente de SciencesPo Forum
L’Union des Etudiants Comunistes de Strasbourg a appris récemment l’invitation du Ministre de la justice de Hongrie, László Trócsányi, à intervenir lors d’une conférence à l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Strasbourg. Cette rencontre, organisée directement par l’Institut et modérée par l’association SciencesPo Forum, devait avoir lieu le jeudi 30 mars mais elle a finalement été annulée (ou plutôt reportée à une date ultérieure).
Nous nous indignons qu’une telle initiative ait pu être prise au sein de notre université. Elle ne fait que prouver une fois de plus son double discours. L’université qui se déclare solidaire avec les réfugiés syriens, l’université qui se déclare ouverte à l’international, l’université qui déclare combattre les discriminations, l’université qui se pavane d’être dans la ville « capitale des droits de l’Homme », cette même université n’hésite pas à donner tribune libre aux ennemis de ces valeurs.
Dans la figure de László Trócsányi, derrière son riche cursus académique et sa réputation de savant en matière de droit public et européen, se cache un complice de la politique criminelle du gouvernement hongrois. Dans ses interventions publiques, Trócsányi justifie et légitime la politique menée contre les migrants par le gouvernement hongrois, selon la logique de la « situation d’urgence ». Il tient des propos odieux envers les réfugiés les accusant d’utiliser la Hongrie comme tremplin pour pratiquer du tourisme social dans les autres pays européens, ainsi que de refuser systématiquement la coopération avec les autorités et d’être à l’origine des affrontements avec la police. Selon le Ministre, c’est donc à cause des migrants, et à contrecœur, que la Hongrie s’est vue obligée d’ériger des clôtures militarisées à ses frontières avec la Serbie, la Croatie et la Slovénie, ainsi que d’envoyer l’armée en soutien à la police pour contrôler les frontières (avec une loi votée ad hoc autorisant l’usage des armes à feu). C’est toujours à cause des migrants, et toujours à contrecœur, que la Hongrie vient d’adopter une loi qui place désormais en détention systématique tous les demandeurs d’asile.
La législation anti-migrants de la Hongrie, dont Trócsányi est à l’origine, est considérée comme la plus sévère de l’Union européenne. Viktor Orban refuse d’appliquer le programme de répartition de 160.000 réfugiés, voté à la majorité des pays membres. Il oppose aussi son veto à la mise en place de corridors humanitaires qui permettraient à des familles syriennes de gagner l’Europe sans se risquer dans les eaux périlleuses de la Méditerranée. Bruxelles lui a pourtant accordé 24 millions d’euros pour la période 2014-2020, dans l’unique but de mieux gérer l’asile et l’intégration.
La politique du gouvernement hongrois en matière des réfugiés a été par ailleurs condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en février 2017, jugeant contraire aux droits de l’Homme d’enfermer contre leur volonté des requérants, sans leur permettre de voir un avocat ni de déposer un recours.
Trócsányi est complice de la politique autoritaire et austéritaire d’Orban, qui ouvre la voie au rédéploiement des forces de l’extrême droite nazie. C’est le cas du Jobbik notamment, qui en 2012, s’appuyant sur les déclarations douteuses du Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, avait demandé au gouvernement de dresser une liste des citoyens juifs d’Hongrie représentant un risque pour la sécurité nationale. C’est le cas également de l’entourage proche d’Orban et Trócsányi, comme le journaliste Zsolt Bayer (fondateur du parti Fidesz, le parti d’Orban), qui en 2008 publiait un article contre les juifs qui « se mouchent dans les piscines de Hongrie », et qui en 2013 publiait un article appelant à « éliminer les animaux tsiganes » en tant que non-humains, manquant d’hygiènes et pour la plupart assassins. Le gouvernement Orban a certes condamné ces propos, mais de la manière la plus prudente et sans prendre des mesures véritables contre Bayer. Des ponts existent à l’heure actuelle entre les souverainistes d’Orban et les nazis hongrois.
Récemment, le gouvernement hongrois a pris des mesures législatives qui mettent sur un pied d’égalité communisme et nazisme, faisant semblant de s’attaquer aux deux tout en ne restant que sur le plan de la symbolique. La récente querelle à propos de l’interdiction en Hongrie de l’étoile rouge symbole des bières Heineken est parlante. Mais finalement le gouvernement n’a la volonté de prendre aucune mesure concrète face à la montée des groupuscules nazis comme le Jobbik et leurs milices. Ces derniers se retrouvent comme un poisson dans l’eau dans la descente de l’Hongrie vers l’autoritarisme.
Il est totalement inadmissible que l’IEP Strasbourg ait eu, ou ait encore, la volonté de laisser la tribune libre à Trócsányi. Il est inadmissible aussi que l’université de Strasbourg ne réagisse point à de telles initiatives prises par l’une de ses composantes. Joignez des actes concrets à vos paroles ! Vous qui vantez votre engagement en soutien aux réfugiés syriens, vous qui vantez votre engagement pour les droits de l’Homme et contre les discriminations, vous laissez la parole au promoteur de l’une des politiques les plus meurtrières en Europe en terme de migrations ? Vous qui vantez – à raison – une université résistante et médaillée de la résistance, vous laissez la tribune libre à quelqu’un qui met sur un pied d’égalité communisme et nazisme ? Est-ce cette conception de l'Europe que vous voulez donner à vos étudiants et personnels ? Une Europe du repli identitaire, de la fermeture des frontières, de l'obscurantisme et de la répression ? Vous êtes responsables ainsi de la banalisation d'une pensée criminelle et dangereuse dans votre université.
Profitez de l’annulation temporaire de cette conférence pour repenser aux raisons qui vous poussent à inviter Trócsányi, et si elles sont compatibles avec vos engagements que nous venons de vous rappeler. Autrement, ce sera une nouvelle fois aux étudiants de faire vivre les valeurs de résistance à l’université.
Union des Etudiants Communistes de Strasbourg