"Une musique qui n'adoucit pas les mœurs" : Lettre ouverte à Monsieur Roland Ries, Maire de Strasbourg

Monsieur le Maire,

La Saison croisée France-Israël bat son plein. Cet événement culturel, qui marque le 70e anniversaire de la fondation de l'État d'Israël, a été organisé et financé par les gouvernements français et israélien et est soutenu entre autres par la Ville de Strasbourg. Son but est de présenter Israël comme un pays attractif, convivial, en pointe pour les innovations de tous genres, ouvert aux échanges, à une grande diversité culturelle et même aux critiques. Un des temps forts de ce festival est le concert du Jérusalem Orchestra East and West qui aura lieu le 17 novembre à la Cathédrale.

Si nous ne doutons pas du désir sincère de la part de l'orchestre de promouvoir la paix et l'entente entre les peuples israélien et palestinien, il faut être conscient qu'en soutenant des événements culturels en partenariat avec l'État israélien, vous contribuez, nolens volens, à masquer la sinistre réalité qui se cache derrière cette façade culturelle. Vous participez à l'instrumentalisation des artistes invités pour montrer une belle vitrine pseudo-démocratique de musique, de danse et de livres, tandis que la réalité « sur le terrain » est bien autre. Cette réalité est celle d'une politique systématique d'oppression, d'exclusion et de nettoyage ethnique envers la population palestinienne qui se poursuit, pas à pas, depuis 70 ans. C'est une politique de colonisation en flagrante violation de toute loi internationale qui, hélas, reste sans aucune opposition sérieuse de la part des gouvernements occidentaux.

Le système d'apartheid israélien vise ouvertement la marginalisation, sinon l'expulsion, de la population non juive entre la Méditerranée et le Jourdain. L'Afrique du Sud a été vivement condamnée et sanctionnée à l'époque pour sa politique oppressive et raciste envers sa population non-blanche. Il est à la fois incompréhensible et insupportable que l'apartheid pratiqué par Israël reste non seulement incontesté par les gouvernements de l'Ouest, mais que ceux-ci la soutiennent tacitement à travers l'appui donné à des événements de propagande comme la Saison croisée, dont le sens réel est de blanchir l'image d'Israël, fort abîmée dans le monde.

Sachez que beaucoup d’artistes s’engagent ! Ainsi 80 personnalités issues du monde des arts ont affirmé leur refus de participer à la Saison croisée France-Israël. Parmi elles : Eric Hazan, Alain Damasio, Annie Ernaux, Tardi, Dominique Grange, Nathalie Quintane, Jean-Luc Godard, Maguy Marin et Ernest Pignon-Ernest. Depuis lors, d’autres artistes ont rejoint le mouvement de boycott de la Saison croisée.

Mais à Strasbourg, “Ville refuge”, siège de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, on accueille avec de grands égards cette Saison croisée France-Israël, et de surcroît dans le cadre du “Forum mondial de la Démocratie”. Mais de quoi a-t-elle l'air, cette démocratie israélienne ? Plus de 65 lois dénient aux Palestiniens d'Israël les mêmes droits humains et civiques qu'aux Israéliens juifs, alors que la Knesset vient de voter une “Loi fondamentale” qui, en déclarant Israël comme “État juif”, constitutionnalise l'apartheid et en fait un pays officiellement raciste.

À Jérusalem, la “Loi fondamentale” de 1980 proclamait déjà tout Jérusalem comme capitale d'Israël et posait la base politique et idéologique de la judaïsation progressive de la « partie Est » de la ville. Depuis lors, Israël mène une politique de répression, de harcèlement et d'expulsions systématiques visant à vider progressivement Jérusalem-Est de ses habitants arabes. Déjà, plus de 200 000 colons juifs y sont installés.

En Cisjordanie, l'occupation et la colonisation croissante, toutes deux illégales selon le droit international, continuent de rendre la vie des Palestiniens de plus en plus insupportable. Les arrestations, notamment de nombreux enfants par l’armée et leur mauvais traitement, qui laissent des séquelles psychologiques indélébiles, ne peuvent laisser personne indifférent !

À Gaza, où le blocus inhumain dure depuis onze ans, Israël répond aux Marches pacifiques du Retour avec une brutalité effrayante : 205 tués, 21000 blessés (au 5 octobre) et des balles dum-dum qui déchiquettent os et tissus, laissant des milliers de jeunes handicapés à vie. Et tout cela pendant que Strasbourg célèbre la culture israélienne comme exemple d'un magnifique “vivre-ensemble” !

C'est pourquoi Monsieur le Maire, nous vous demandons d'avoir le courage et la droiture de cesser vos relations avec l'État d'apartheid israélien aussi longtemps qu'Israël refuse de respecter le droit international et les droits du peuple palestinien. Jusque là, nous vous demandons en particulier :

• de suspendre le jumelage avec la ville de Ramat-Gan ;

• d'assurer que des événements comme la Saison croisée France/Israël n'aient plus lieu à Strasbourg ;

• de vous souvenir que Strasbourg a su être précurseure et peut s’honorer d’avoir été à l’origine du Parlement international des écrivains et de sa Charte des villes refuges. Dans le même esprit, nous vous demandons de déclarer Strasbourg "Zone libre d'apartheid", à l'instar de nombreuses villes en Espagne (Séville, Cordoue, Cadix, Barcelone, Gijόn, St. Jacques de Compostelle, Grande Canarie...).

Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’expression de nos salutations respectueuses,

À Strasbourg, le 7 novembre 2018,

Les signataires :

Comité BDS 67

Collectif Judéo-Arabe et Citoyen pour la Palestine

Union Juive Française pour la Paix-Alsace

Nouveau Parti Anticapitaliste 67

Parti Communiste Français 67

Mouvement des Jeunes Communistes Français 67

Association France-Palestine Solidarité Alsace

Parti Communiste Ouvrier de France 67

Femmes Egalité Strasbourg

Ligue des Droits de l’Homme Mulhouse

Association des Travailleurs Maghrébins de France 67