LA RÉPRESSION DES MOUVEMENTS SOCIAUX ET LES REVENDICATIONS DÉMOCRATIQUES

Publié le 15 Février 2019

LA RÉPRESSION DES MOUVEMENTS SOCIAUX ET LES REVENDICATIONS DÉMOCRATIQUES

 

  1. Les mesures de répression en France

 

Depuis plusieurs années la France connaît une multiplication de lois répressives cherchant à museler les forces d’opposition à l’État bourgeois. Les attentats perpétrés sur le territoire depuis 2015 ont tout d’abord servi de prétexte à la mise en place de l’état d’urgence, celui du contrôle des masses et de la justice administrative banalisant le fichage d’individus, la perquisition sur décision du préfet sans l'accord préalable du juge, l'interdiction de manifester ou encore l'assignation à domicile, et tout ça sous le motif de soupçon d’une activité pouvant nuire à « l’ordre républicain ». Visant officiellement à lutter contre la menace terroriste, ce cadre extrêmement flou permet en fait, comme nous allons le voir, d'user de ces mesures sur le terrain des luttes sociales.

En effet, les fameuses « Fiches S » se révèlent surtout être un moyen de surveiller et neutraliser les militants, notamment lors des manifestations de 2016 dans le cadre de la COP21 et de la loi « Travail », à l'occasion desquelles ont été prononcées respectivement 21 et 574 interdictions individuelles de manifester, sur un total de 639 pour cette période (chiffres présentés par Amnesty International [1]). Difficile de croire au motif de la lutte anti-terroriste. Puis c’est en novembre 2017 que le gouvernement Macron établi l’état d’urgence comme la norme en l’inscrivant dans la loi. Ces mesures répressives se soustrayant au cadre légal habituel, c'est à dire à l'autorité d'un juge, sont donc systématisées et se multiplient. C’est un état de suspicion qui s’est installé en France et la bourgeoisie au pouvoir compte bien aller plus loin dans le contrôle des travailleurs.

Maintenant donc, en réaction au mouvement des Gilets Jaunes envahissant les champs Élysées ainsi que de nombreuses villes de France chaque samedi depuis le 1er décembre, le ministre de l’intérieur a décidé de proposer un texte de loi « anti-casseurs » adopté mardi 5 février 2019 et qui donne aux préfets (désignés par l’État) la compétence d’interdire des personnes de manifester sans preuve juridique de la culpabilité de ces personnes dans des faits de violence. Voilà la finalité du fichage militant perpétré depuis 2015, celle de lier les mains de l’opposition en l’empêchant de prendre la rue.

On retrouve ici cette tactique déjà mise en place entre mai et juillet 68 pendant les grèves des ouvriers et les manifestations de masse qui consiste à associer le mouvement social à un mouvement de « casseurs » pour justifier l'arsenal répressif, autant administratif et juridique que physique (faut-il vraiment présenter les LBD40, les grenades, les canons à eau?). Aussi ne nous trompons pas, cette loi ne cherche pas à stopper les dégâts qui seraient commis, spontanément ou par volonté de nuire, lors de manifestations. Leurs auteurs, qu'il s'agisse de manifestants lambda réagissant à la violence de la répression ou de « casseurs », le font dans tous les cas manière inorganisée, souvent camouflée et isolément ; ils ne représentent ni danger ni menace pour l’ordre bourgeois et sont difficilement identifiables par les forces de police. Les cibles premières de cette loi scélérate, ce sont les éléments avancés des masses en mouvement ainsi que les organisations de la classe ouvrière, qui organisent la colère des travailleurs et portent les revendications sociales, visibles dans les cortèges rouges, sur les piquets de grève ou encore dans les blocages et que la bourgeoisie cherche à neutraliser par tous les moyens.

 

  1. L'exemple de la Suisse

 

La Suisse : un modèle typique de répression bourgeoise

La Confédération helvétique est connue pour son système de démocratie directe. Vantée à travers toute l’histoire des idées politiques du XIXe et XXe siècle, nous connaissons moins les entorses faites aux droits fondamentaux. En effet, il est inscrit dans la Constitution, à l’article 22, alinéas 2, que « toute personne a le droit d’organiser des réunions, d’y prendre part ou non »1. Toutefois, ce droit fondamental est très fortement contrebalancé par l’article 28, alinéas 3 et 4, qui stipule que « La grève et le lock-out [débrayage] sont licites quand ils se rapportent aux relations de travail et sont conformes aux obligations de préserver la paix du travail ou recourir à une conciliation »2, d'ajouter que « la loi peut interdire le recours à la grève à certaines catégories de personnes »3. Ces deux passages de la constitution – d’un pays dit démocratique – nous renseignent sur le fait que la grève politique est strictement interdite, et que ses protagonistes se mettraient en dehors de la loi. Et qu’il n’est pas possible pour deux corps de métier de pouvoir faire grève pour se soutenir mutuellement.

Une telle disposition met de facto les syndicats ou les partis politiques exsangues pour appeler à une grève générale ; car, il s’agit ni plus ni moins que d’interdire les travailleurs de décréter la grève générale. La bourgeoisie helvétique – encore de nos jours – continue d’être hantée par la grève générale de novembre et décembre 1918 qui paralysa durant quatre jours l’ensemble du pays. La loi dite « pays du travail » est probablement un des textes les plus antisociaux qu’un pays dit démocratique a pu prendre à l’encontre des travailleurs. Signé le 19 juillet 1937, dans un contexte social et politique très tendu, cet accord détermina jusque de nos jours les relations entre le patronat et les travailleurs. Il découpait la société du travail en corporation, et de fait, il poussait les ouvriers à penser non en une classe homogène et exploitée, mais en corporations, qui se devait de défendre les siens avant ses propres droits. C’est, sans le dire franchement, le rêve de la bourgeoisie en France, qui non contente de voir les grèves de secteurs, se frottent les mains quand le mouvement ouvrier est désuni et pense par branche plutôt que par classe.

Un autre rêve de l’État bourgeois et de ses représentants a été assouvi dans la cité de Jean Calvin. Le droit de manifester est depuis le 11 mars 2012 fortement érodé. En effet, le peuple genevois s’est prononcé pour durcir à la fois les peines encourues pour une manifestation non déclarée, et l’obtention de la recevabilité d’une déclaration de manifester. Cette demande est soumise au département cantonal de la justice et de la police qui est le seul garant du règlement, et à pouvoir délivrer des autorisations de manifester4. Son pouvoir est très étendu, car, il se donne le droit de retirer à tout moment et sans explication l’autorisation de manifester, si le risque est jugé trop grand pour la préservation de l’ordre public5. Du reste, l’article 6 est très clair : « la police emploie sans délai les moyens adéquats et proportionnés pour rétablir l’ordre et identifier les fauteurs de troubles. Les participants à la manifestation sont tenus d’obtempérer immédiatement à ses sommations »6. Garde à celui qui est pris sur le fait, où instigateur de la manifestation, car c’est à lui qu’appartient la charge de payer les dégradations. Et il reçoit une amende de 100 000 francs7. Une disposition qui a été votée à plus de 58% par le peuple genevois, un dimanche 11 mars de l’année 2012.

Ces dispositions ont été prises pour limiter drastiquement le droit de manifester et ainsi empêcher les travailleurs, ainsi que les organisations révolutionnaires de contester le système en place. Une telle disposition n’est pas inimaginable en France, car de l’autre côté du lac Léman, la contre-révolution bourgeoise va bon train. Nous ne sommes pas encore à la privation des droits civiques, comme c’est le cas outre-Rhône, mais c’est à marche forcée que nous rentrons dans une ère la plus antisociale, et ce depuis la guerre coloniale d’Algérie ; car la bourgeoisie européenne ne s’est jamais sentie aussi forte depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cette vague de reflux est la conséquence des lois présumées antiterroristes prises par l’État. C’est le maquillage cynique de la répression et de la criminalisation de la contestation du grand capital et des expressions les plus brutes de la lutte des classes.

 

 

  1. Analyse marxiste-léniniste de la question de la démocratie

 

Nous voyons donc que les droits prétendus fondamentaux, consacrés par la République ─ tels que la liberté d'expression, le droit de manifester, etc. ─ n'évoluent que dans le cadre idéologique. Dans le cadre pratique, ce sont les droits de la classe dominante, la bourgeoisie, qui priment sur les droits des travailleurs. Nous ne devons donc pas tomber dans l'idéalisme lorsque nous faisons face aux mesures autoritaires et répressives du gouvernement Macron, à savoir la thèse : « Nous ne sommes pas dans une "vraie" démocratie. » très répandue au sein du mouvement des gilets jaunes et des divers groupes et personnalités politiques de gauche.

On peut tout à fait comprendre que cette thèse se manifeste assez naturellement, mais il faut la rejeter car c'est une impasse idéologique. Car nous sommes bien en démocratie, et toutes les démocraties présentent à des degrés plus ou moins élevés ces mesures et outils anti-démocratiques. En effet, la démocratie n'est qu'une forme d'exercice du pouvoir, un outil au service de la classe qui, via son régime de propriété, a le pouvoir sur la production et possède donc le pouvoir économique, social et idéologique. La démocratie en tant qu'outil politique doit être comprise dans les rapports de luttes et de domination de classe, de la même manière que la monarchie par exemple était un outil de domination de classe qui correspondait à une situation historique différente. C'est ce que nous appelons, dans le langage marxiste, la dictature de classe, dans le sens où une classe domine les autres, indépendamment du régime par lequel elle exerce cette domination ─ autocratie, oligarchie, démocratie...

A la démocratie bourgeoise, traduisant la dictature de la bourgeoisie dans les rapports de production capitalistes, nous opposons la démocratie prolétarienne, traduisant la dictature du prolétariat dans les rapports de production socialistes. Cette démocratie reste donc l'expression d'un rapport de domination de classe : celle du prolétariat, classe représentant la majorité écrasante, la classe des travailleurs, sur la bourgeoisie, minorité réactionnaire, incapable de gérer efficacement la production pour l'ensemble de la société.

En effet, nous affirmons que le prolétariat est la seule classe capable, une fois sa domination sur la bourgeoisie assurée, de dépasser ces rapports de classes en renforçant continuellement les rapports de production socialistes et donc la socialisation des moyens de production, pour à terme se débarrasser du régime de ce propriété privée qui est à la source du capitalisme et de ses crises systématiques. Ce faisant, les rapports de classes et les classes elles-mêmes disparaissent, et la démocratie, en tant qu'exercice de la domination d'une classe sur les autres, est rendue obsolète. C'est le communisme. Précisons que nous ne prétendons pas que le communisme soit la fin de toute contradiction, mais la fin des contradictions mettant en jeu des fractions de la population occupant des rôles différents dans la production, puisque ces rôles différents n'existeraient plus. La forme précise d'exercice du pouvoir raisonné de la société par et pour elle-même, c'est à dire l'outil de résolution des contradictions de nature différente qui s'imposeront à elle, nous ne pourrions la décrire aujourd'hui, pas plus que les esclaves de l'Antiquité ne pouvaient décrire la forme précise du féodalisme ni du capitalisme.

1 Constitution de la Confédération helvétique, article 22, alinéas 2.

2 Constitution de la Confédération helvétique, article 28, alinéas 3.

3 Constitution de la Confédération helvétique, article 28, alinéas 4.

4 Loi de manifestation sur le domaine public, (F310), Article 5, alinéas 1.

5 Loi de manifestation sur le domaine public, (F310), Article 5, alinéas 6.

6 Loi de manifestation sur le domaine public, (F310), Article 6, alinéas 4

7 Loi de manifestation sur le domaine public, (F310), Article 10

Publié dans #Mouvement social

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