LUTTE DES CLASSES SOUS CONFINEMENT : Les vacataires de l'enseignement supérieur

Publié le 10 Avril 2020

LUTTE DES CLASSES SOUS CONFINEMENT : Les vacataires de l'enseignement supérieur

Alors que les professeurs et personnels de l'Université se préparaient à la grève contre la précarité grandissante et les nouvelles réformes touchant l'enseignement supérieur, la crise du coronavirus a poussé le gouvernement à fermer les établissements scolaires dès le 16 mars. Si les enseignants étaient déjà impactés par la précarité et le manque d'information et de formation pour leur travail pédagogique, les mesures de confinement et la mise en place de la continuité pédagogique les poussent à une rude adaptation.

 

Ceux pour qui la situation est la plus trouble sont bien-sûr les vacataires, pour qui les incertitudes causées par cette crise se combinent avec les incertitudes quotidiennes dues à leur statut précaire. Cette armée de précaires qui paient les frais des coupes dans le budget de l'enseignement supérieur jouent pourtant un rôle important dans la tenue des cours et le suivi pédagogique des étudiants ; travail important mais dévalué. Qu'en est-il alors maintenant, sous cet "état d'urgence sanitaire" ?

Témoignage : Camille*, Enseignant Vacataire à l'Université de Strasbourg

*Le prénom a été modifié afin de préserver la personne face à la répression administrative.

 

Tu es vacataire à l'Université de Strasbourg, en quoi cela consiste-t-il et quel travail fournis-tu ?

 

« J'ai un contrat de vacation avec l'Université de Strasbourg renouvelable d’année en année. C'est un contrat précaire car je ne sais jamais avant juillet-août si je serai réembauché l'année suivante. Mon travail consiste à donner des cours de Travaux Dirigés (TD), à la fois de la méthodologie et des approfondissements thématiques en lien avec différents Cours Magistraux (CM). Je ne sais qu'un mois avant la rentrée quel TD je devrai assurer, pour combien d’élèves ou combien de groupes. Le nombre d'heures varie parfois selon les mois et les semaines. Mes heures d'enseignement en présentiel sont payées au SMIC, mais je ne suis pas rémunéré pour tout le travail supplémentaire que j’effectue et qui constitue la plupart des heures effectives de boulot : l’organisation, la surveillance et la correction des examens dans le cadre contrôle continu. Ces tâches me sont imposées alors que mon contrat n’en fait aucune mention, et ne sont pas rémunérées car elles s’exercent en dehors des heures en présentiel. En période ordinaire il peut m'arriver de corriger des centaines de copies, parfois des compositions de 10 à 15 pages chacune ».

 

Quand es-tu rémunéré, et est-ce que cela te suffit pour subvenir à tes besoins ? Ta rémunération est-elle maintenue pendant la crise, et pour combien de temps ?

 

« En théorie je suis rémunéré seulement à la fin de mon service global, mais une semestrialisation du paiement a été mise en place. Maigre consolation, puisqu’en tout cas la paie du premier semestre n’arrive qu’au milieu du deuxième : il y a donc une forte sensation de travailler gratuitement tout au long de l’année. J'ai par exemple reçu en mars ma paie pour mon travail de septembre à décembre. Bien évidemment, ma rémunération ne suffit pas à subvenir à mes besoins ; je dois enchaîner d'autres petits boulots à côté, parfois au black, et je dépends beaucoup de l'aide d’autrui (amis, conjoint, famille...). Pour ce qui est de ma rémunération pendant la crise : comme dit j'ai été payé très tardivement pour mon travail du 1er semestre, et je serai rémunéré pour les cours du 2ème semestre tenus avant le début du confinement, mais je ne sais pas si je serai rémunéré pour le reste du semestre. Le Ministère aurait annoncé que c'est aux Universités de décider si elles nous rémunéreraient ou non, en partie ou totalement. En gros il n'y a pas de règle et chaque université choisit à la carte. Ainsi il se pourrait par exemple que je sois rémunéré pour l'entièreté de mes heures prévues mais non effectuées, là où un collègue de Mulhouse ne serait rémunéré qu'une partie de celles-ci et un collègue de Besançon ne serait pas rémunéré du tout. À l'heure actuelle, je n'ai reçu aucune information de la part de l’Université ou de ma composante à ce sujet. »

 

 

Quand as-tu commencé à recevoir des informations et de quelle nature de la part de l'Université concernant le virus et les mesures mises en place ?

 

« Dans les 2 semaines qui ont précédé la fermeture de l'Université, nous avons reçu beaucoup de mails arrivant de la part des services centraux rappelant les gestes barrières, mais rien de contraignant si ce n'est la suspension des voyages académiques vers les pays les plus touchés par le virus, comme l'Italie, la Chine ou la Corée. [...] Avant même l'annonce effective de la fermeture le 12 mars, tout le monde était prêt à parier sur l’arrivée d’une telle mesure mais on ne comprenait pas pourquoi ça tardait autant. Les universités de Haute-Alsace et de Corse, par exemple, avaient déjà pris des dispositions depuis une semaine, et il y avait de plus en plus de cas d'élèves atteints [par le virus] à Strasbourg. […] Avec les collègues on se disait qu'on nous prenait vraiment pour des cons. Nous ne comprenions pas pourquoi l'Université n'avait pas déjà annoncé la fermeture au vu du nombre d'élèves infectés […] Beaucoup d'entre nous discutions d'utiliser notre droit de retrait, mais nous ne l'avons pas tous fait. Les collègues connaissent bien la politique de répression de l'Université de Strasbourg en vigueur depuis bien longtemps […] La moindre prise de position syndicale ou politique pourrait te coûter ton renouvellement de contrat. Du coup, des collègues avaient effectivement peur que l’Université ne renouvelle pas leur contrat en cas de recours au droit de retrait. Le jour de l'annonce de la fermeture des universités par Macron, le 12 mars, ça a été le bordel général. […] Le problème c’est que des échanges circulaient par différentes mailing list mais sans qu’il n’y ait une véritable organisation [...] Il était impossible en vrai d’élaborer une stratégie cohérente en quelques heures et par mail. Ainsi, beaucoup de vacataires ne savaient pas quoi faire. Recourir au droit de retrait ? Ou juste annuler les cours en risquant de ne pas pouvoir les récupérer, et donc s’exposer à la fois à la non-rémunération et à la répression administrative ? »

 

Comment ça s’est passé le jour de l’annonce de Macron de fermer les établissements scolaires ? Quelles étaient les instructions ?

 

 

« L’annonce de Macron a été aberrante [...] En somme, Macron te fait comprendre sans le dire qu’on est en retard d’une semaine sur la date à laquelle on aurait dû effectivement fermer les établissements, mais que pour ne pas provoquer la panique on t’a quand même fait faire cours le jeudi 12 mars, et on te le fera encore faire le vendredi 13, et éventuellement le samedi 14. Parce que le virus ne circule pas la fin de semaine… Dans la soirée du jeudi, après le discours de Macron, nous n'avons reçu aucune information sur la tenue des cours du vendredi et du samedi, ni de la part des services centraux de l’Université, ni de la plupart de ses composantes. Des collègues ont décidé d'annuler leurs cours du vendredi, mais sans directive générale de l'Université. Ils ont dû prévenir leurs élèves par mail pendant la nuit. Il y avait donc de fortes chances que beaucoup d’élèves, n'ayant pas vu le mail, se rendent en cours le vendredi et s’exposent au risque d'être infectés ou d’infecter les autres. La "consigne" de l’Université a fini par arriver vendredi vers le milieu de la matinée, donc très en retard. L'Université nous disait en gros de faire ce qu'on voulait : elle nous autorisait à annuler les cours, sans l’imposer. L’information arrivait bien trop tard pour certains collègues ayant choisi de maintenir leurs cours et les ayant démarrés à 8h ou 9h du matin. En plus le message avait été envoyé uniquement en français ; les enseignants non francophones n’ont reçu une version anglaise que 2 heures après les autres, au milieu de la journée. Il semble évident qu'il y a eu une grande part d'amateurisme de la part de l'Université […] Aucun plan d’urgence n’était prévu au cas où Macron annonce la fermeture des facs [...] A partir de là, ça a été l’improvisation permanente, la responsabilisation unique des enseignants [...] Les deux derniers jours d’activités en présentiel ont probablement propagé plus d’infections que de contenus pédagogiques ».

 

Quelles informations, quelles recommandations as-tu eu concernant la mise en place de la continuité pédagogique ?

 

« Nous avons d'abord eu un message très global des services de l'Université qui ne disait pas grand-chose, si ce n'est de tous se mettre aux cours à distance pour ne "pas pénaliser les élèves". Quelques jours plus tard j'ai reçu un mail de ma composante légèrement plus concret, nous annonçant les premières mesures du plan de continuation des activités à distance. Cependant, les consignes n'étaient vraiment pas claires, ni exhaustives. Le document envoyé, en plus d’être court, était vraiment bidon. Les fautes le rendaient illisible et des passages en contredisaient d’autres. [...] Nous n'avions aucune information sur le degré de tolérance à adopter dans la notation ou si les élèves pouvaient avoir le droit à un délai supplémentaire pour les différents examens prévus. [...] Mais surtout les consignes ne concernaient concrètement que les examens à distance : pour tout ce qui est de la pédagogie à distance, mille fois plus importante que les examens, on attend toujours des consignes réelles et de l’aide pour pouvoir la mettre en place de manière satisfaisante. [...] La continuité des examens est une aberration. Ça remet drastiquement en cause la prétendue égalité des élèves, déjà loin d’être une réalité avant. Organiser et réaliser un examen à distance en se servant des plateformes numériques est tout simplement une roulette russe : l’intranet (l'Ernest) et la messagerie (Partage) ont été complètement saturés les 2 premières semaines de confinement. [...] Les élèves pouvaient ne pas recevoir le mail leur annonçant l'heure de tenue de l'examen, recevoir le mail contenant l'exercice trop tard, ou ne pas réussir à le rendre du fait des problèmes des services numériques. Des élèves s'étant confinés en campagne et disposant d'une mauvaise connexion internet étaient forcément pénalisés. […] À cela s'ajoutent d'autres problèmes. Par exemple, les collègues qui n’ont pas de scanner chez eux, comment peuvent-ils rendre les corrigés des tonnes de copies papier ramassées avant le confinement ? Les élèves ont le droit au rendu des copies corrigées. Si des collègues vont devoir scanner des copies à rendre en ligne, ils devront [...] s’exposer au virus pour un travail supplémentaire pour lequel ils ne sont même pas payés. Ce que je trouve vraiment scandaleux c'est le silence continu de la part de l'administration de l’Université. Elle nous a obligé à continuer les examens à distance parce qu’elle est obsédée par la notation des élèves [en dépit de] leur formation : la fac est une usine à évaluations devant pré-sélectionner les élèves qui auront ensuite un boulot digne de ce nom. En temps de pandémie, cela n’a guère changé ».

 

Tous tes élèves ont-ils pu suivre les cours sans soucis, et sinon quelles difficultés ont-ils rencontrées ?

 

« Quelques-uns étaient malades, probablement du Covid19. Aucune consigne de l'administration n'a été donnée pour ces cas tout de même prévisibles au vue des raisons de la fermeture. L’administration ne nous a même pas prévenu que tel ou tel élève était malade avant que lui-même ne nous le notifie, spontanément. Certains élèves m'ont envoyé un certificat médical, d'autres non. J'ai fait preuve de tolérance, je ne pouvais décemment pas demander aux élèves de prendre le risque de s'exposer au virus pour un certificat médical, mais j'aurais voulu qu'il y ait une procédure à suivre, établie par les services universitaires, pour la question des maladies. J'ai aussi des élèves dont je n'ai aucune nouvelle depuis le début du confinement. […] Certains élèves ont des problèmes d'internet, beaucoup sont confinés chez leurs parents où il peut y avoir des personnes de leur entourage malades ou des enfants bruyants. Un examen à la maison ne se passe pas de la même manière pour une personne confinée seule à Strasbourg avec une bonne connexion internet que pour une personne confinée avec ses petits frères et sœurs et disposant d'un mauvais réseau. L’égalité des conditions des examens à distance est une pure fiction ».

Une crise préparée par des années de destruction

Ce qui ressort d'abord de ce témoignage c'est le manque d'informations et de communication de l'Université de Strasbourg. Ne nous y trompons pas, ce manque d'informations n'est pas seulement le fruit de l'incompétence de la direction. Monsieur Deneken était prêt à sacrifier la santé des personnels de l'Université et des étudiants pour ne pas "perturber l'année scolaire". L’Université de Strasbourg, malgré la crise, continue sa course effrénée vers la privatisation. Elle pousse à ce que les examens aient lieu, même dans des conditions d’inégalité encore plus creusées par le confinement, quitte à sacrifier les étudiants les plus précaires. Elle va même jusqu'à envisager de ne plus rémunérer ses vacataires, dont le travail déjà sous-payé et au coût déjà bien bas lui semble toujours trop pesant. Le choix fait par le gouvernement de laisser au libre choix des Universités la question de la rémunération des vacataires est un nouveau choix criminel, symptomatique de la politique "d'autonomisation", marche forcée vers la privatisation des Universités publiques.

L’épidémie du Coronavirus n'a pas stoppé l’Université de Strasbourg dans sa politique honteuse de précarisation de l’enseignement et de la recherche. Elle ne doit pas non plus nous empêcher de lutter pour nos conditions de travail et de vie, de tenir à nouveau la grève pour faire ployer la bourgeoisie qui nous impose l’exploitation toujours plus intense !

Le gouvernement a pu débloquer 300 milliards pour renflouer les pertes des grandes entreprises. Qu'il ne nous dise pas qu'il n'y a pas d'argent pour l'Université. Aux entreprises et aux banques de payer de leurs capitaux gigantesques pour la crise dans laquelle elles nous ont poussé : Nous ne paierons pas !

Exigeons la rémunération de tous les vacataires et la création des nombreux postes de titulaires qui sont nécessaires pour nos Universités publiques !

Pour un service public unifié de l'enseignement et de la formation cogérée par les étudiants et les travailleurs !

Organise ta colère !

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