Il y a 100 ans naissait la première organisation de Jeunesse Communiste de France : tirons les leçons de la scission salutaire de 1920 !
Publié le 1 Novembre 2020
Cent ans se sont passés depuis le congrès de La Bellevilloise qui, du 31 octobre au 1er novembre 1920 à Paris, permettait la fondation des Jeunesses Communistes en France. Deux mois avant l’emblématique congrès de Tours et la création du Parti communiste français, ce sont donc les jeunesses révolutionnaires qui sonnent le glas de l’opportunisme social-démocrate et qui vont constituer le premier noyau de la nouvelle organisation communiste. Cent ans plus tard, le fléau de l’opportunisme est plus que jamais présent et gangrène les organisations historiques du mouvement communiste français. Il est dès lors nécessaire de revenir sur les conditions ayant mené à la scission de 1920 et en tirer les leçons théoriques et pratiques pour l’organisation actuelle de la Jeunesse Communiste en France.
L’opportunisme de la SFIO face à la constitution de Jeunesses Socialistes.
Avant la Première Guerre mondiale, le Parti socialiste - Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) émet d’innombrables réticences face à la perspective de laisser se constituer une organisation de jeunesse. Une large frange des jeunes ouvriers et étudiants qui composent le parti semble en effet acquise aux thèses antipatriotiques et antimilitaristes intégrales portées par Gustave Hervé. Préoccupée de garder intacte son image de parti respectable face à l’électorat de la Belle Époque, la SFIO tend donc à retarder toute concession d’autonomie à ses jeunes militants. Si des groupements et sections « Jeunes » se constituent localement de manière hétérogène, là où les dirigeants du parti le permettent, leur fédération au niveau national est systématiquement entravée. Le climat international est pourtant favorable à l’organisation autonome des jeunesses ouvrières et étudiantes, puisque des Jeunes Gardes ou des Jeunesses Socialistes se créent dans la plupart des pays européens de la fin du XIXe siècle au début du XXe. En août 1907, à l’occasion d’une conférence initiée par Karl Liebknecht à Stuttgart, ces structures se coalisent au sein de l’Union internationale des organisations de Jeunesse Socialiste (UIOJS). L’éducation aux principes socialistes et la propagande antimilitariste à l’égard de la jeunesse – y compris les jeunes soldats – deviennent rapidement les clefs de voûte du programme de l’UIOJS. Mais en France l’organisation de jeunesse demeure introuvable, et le constat est réitéré même à l’occasion de la IIe conférence de l’UIOJS de septembre 1910 à Copenhague.
C’est seulement suite aux injonctions du secrétariat exécutif de IIe Internationale (Camille Huysmans) et à la pression exercée par l’UIOJS (Karl Liebknecht, Henri De Man, Ludwig Frank, Robert Danneberg), que le principe de constitution d’une organisation autonome de la jeunesse socialiste est enfin adopté par la SFIO. La décision est néanmoins tardive, puisqu’elle n’est actée qu’en février 1912 au terme d’âpres débats ayant caractérisé le IXe congrès de la SFIO tenu à Lyon. Une « Fédération nationale des Jeunesses Socialistes » (FNJS) est officiellement constituée, et son premier organe de direction est animé principalement par Fernand Ernstein dit Strago, Maurice Lyon et Marcel Rebillat. La Fédération procède aussi rapidement au lancement d’un organe de presse, La Voix des jeunes. Mais comme il était prévisible, les relations entre le parti et la FNJS sont tendues depuis le début. D’une part, le premier garde une mainmise tutélaire sur la seconde, la privant des moyens matériels et politiques pour exister en autonomie, et lui accordant simplement « un but de recrutement et d’éducation ». Ainsi le Ie congrès national des Jeunesses Socialistes, les 22-23 mars 1913 à Brest, connaît une forte ingérence exercée par des délégués du parti, mandatés pour surveiller de près les débats et les décisions des jeunes militants. D’autre part, alors que les relations internationales se dégradent inexorablement, faisant craindre une conflagration générale (crise d’Agadir, guerre italo-turque, guerres balkaniques), la FNJS ne cesse de demander au parti qu’il s’engage plus énergiquement dans la lutte antimilitariste : non seulement par le verbe, mais aussi par les actes. En particulier, les Jeunesses Socialistes militent pour une opposition opiniâtre à la loi des Trois ans de 1913 (augmentant la durée du service militaire), et exigent qu’en cas de conflit mondial la SFIO appelle à la désertion et à la grève générale insurrectionnelle. À la veille de la Grande Guerre, les relations entre la SFIO et la FNJS ne sont toujours pas apaisées, la tentative de « normalisation » exercée par la première sur la seconde n’ayant guère abouti.
La Grande Guerre : l’Union sacrée et la collaboration de classe, ou l’internationalisme et la révolution prolétarienne.
Lorsqu’éclate la guerre mondiale en juillet-août 1914, les directions de la majorité des partis socialistes européens jettent le masque de l’internationalisme prolétarien et révèlent au grand jour leurs orientations désormais chauvines et militaristes. Se ralliant aux Unions sacrées et/ou votant les crédits de guerre, elles choisissent de collaborer activement à l’effort militaire de concert avec les bourgeoisies nationales respectives. Dès lors, le conflit impérialiste détermine non seulement l’éclatement des structures liées à la IIe Internationale, trahie par ses propres dirigeants, mais aussi une crise profonde de la FNJS. Alors que des centaines de milliers de jeunes français sont encasernés, mobilisés et envoyés mourir au front pour les intérêts du capital, ceux qui restent à l’arrière se confrontent à une militarisation violente de la société et à un climat de répression omniprésente. Si la FNJS existe encore sur le papier entre 1914 et 1918, l’organisation en tant que telle n’est qu’une coquille vide et ne peut réaliser aucune propagande antimilitariste en son nom. La Voix des jeunes cesse d’ailleurs de paraître pour toute la durée du conflit. La SFIO, en effet, n’est pas en reste de la dynamique d’Unions sacrées. Ses figures de proue se jettent corps et âme dans la « défense nationale » et se montrent particulièrement soucieuses de museler toute visée pacifiste et antimilitariste en provenance de la jeunesse. Promettant à la bourgeoisie de n’opposer aucune résistance à l’entrée en guerre de la France, la SFIO obtient en échange des postes clés au sein même des gouvernements de guerre qui se succèdent. Dès août 1914 Marcel Sembat est nommé en tant que Ministre des Travaux publics et Jules Guesde en tant que Ministre d’Etat. Albert Thomas accède d’abord au Sous-secrétariat d’État à la Guerre chargé de l'Artillerie et des munitions, puis en décembre 1916 est nommé Ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre : en cette qualité, non seulement il organise la production et l’acheminement des armements au front, mais orchestre aussi la répression anti-ouvrière dans les usines de munitions, imposant une discipline de fer contre toute velléité défaitiste ou pacifiste. Dès les premiers jours de la guerre, les Jeunesses Socialistes perdent aussi leur théoricien de référence : Hervé retourne en effet « sa veste rouge pour en montrer la doublure tricolore » et adopte le slogan de « Défense nationale d’abord », glissant rapidement vers un patriotisme exacerbé le rendant l’un des précurseurs du fascisme français. Enfin ce sont aussi les dirigeants anarcho-syndicalistes de la CGT qui retournent leur veste pour devenir partisans de la première heure de l’Union sacrée.
Restés isolés en France de tous leurs alliés d’avant-guerre, les jeunes militants socialistes qui demeurent pacifistes et révolutionnaires doivent prendre alors le chemin de la dissidence et de la propagande clandestine. C’est néanmoins depuis l’étranger qu’ils voient sauver le drapeau de l’internationalisme prolétarien. Un tournant s’opère en effet en avril 1915, lorsque l’UIOJS parvient à tenir une conférence internationale à Berne afin de réitérer son adhésion au socialisme révolutionnaire et définir les tâches immédiates de la jeunesse dans la lutte contre la guerre impérialiste. Les 14 délégations nationales présentes appellent à la recréation partout du mouvement de la jeunesse socialiste indépendamment des partis social-chauvins. Il est question aussi de la mise en place d’un Bureau International de la Jeunesse Socialiste basé à Zurich et présidé par Willi Münzenberg, ainsi que du lancement d’une revue théorique tirée à 50.000 exemplaires : Die Jugend Internationle (« La Jeunesse Internationale »). Aucun délégué français ne peut assister à la conférence de Berne, mais celle-ci s’inscrit dans toute une série d’entrevues visant à rétablir les relations internationales entre les socialistes n’ayant pas renoncé aux principes révolutionnaires et, donc, à l’anti-impérialisme. En mars 1915 c’était l’Internationale des femmes socialistes qui avait inauguré la dynamique, se réunissant elle aussi à Berne sous l’égide de Clara Zetkin et sous proposition des déléguées bolcheviques (Nadejda Kroupskaïa, Inessa Armand, Zinaida Lilina, Olga Ravich) : il y avait été question de redoubler l’engagement des militantes afin d’accélérer la fin de la guerre au travers de moyens révolutionnaires, et la perspective de rupture avec les éléments social-chauvins avait été posé posée. En septembre 1915, la conférence socialiste internationale de Zimmerwald consacre la coalition des ailes pacifistes et révolutionnaires des partis européens autour du mot d’ordre de « paix sans annexions ni indemnités » et de la dénonciation de l’opportunisme des directions nationales engagées dans les Unions sacrées. Réuni encore à Kienthal en avril 1916 et à Stockholm en septembre 1917, le mouvement zimmerwaldien va adhérer aux positions défendues par Lénine : la perspective de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, mais aussi la rupture définitive avec la IIe Internationale afin d’en créer une IIIe non compromise avec le social-chauvinisme. Cette orientation franchement révolutionnaire et antirévisionniste permet une montée en puissance de la propagande zimmerwaldienne dans les pays ravagés par la guerre. En France se crée alors une galaxie d’organisations dissidentes depuis les rangs de la SFIO et de la CGT, à l’image du Comité pour la défense du socialisme international, du Comité d’action féminine socialiste pour la paix contre le chauvinisme, mais surtout du Comité pour la reprise des relations internationales, ce dernier devenant en avril 1919 le Comité de la IIIe Internationale (C3I). C’est ce cadre d’internationalisme dissident qui permet une remontée en puissance du militantisme d’anciens éléments de la FNJS (Pierre Lainé, Henri Lozeray, Émile Auclair, Oreste Capocci, Henri Goldschild, Robert Gustave dit Crépin, Maurice Liger dit Luc Mériga, Raoul Lamolinaire dit Verfeuil). Mais il détermine surtout l’émergence d’une nouvelle génération militante, la « génération du feu », s’étant politisée précocement à cause des massacres et de la misère engendrés par la guerre impérialiste (Maurice Laporte dit Moriss, Paul Vaillant-Couturier, Alfred Doulat, Jacob Kalmanovitch dit Calman, Raymond Lefebvre, Boris Lifschitz dit Souvarine, Paul Coblentz, Aron Goldenberg dit Marcel Ollivier, René Mesnard, Camille Fégy, Renan Radi).
La gauche zimmerwaldienne précise de mieux en mieux sa ligne à la faveur des événements révolutionnaires de 1917 en Russie. Elle adopte unanimement une attitude vigilante face aux tentatives récupératrices de la Révolution de février par les deux blocs impérialistes, désireux de l’instrumentaliser afin de satisfaire exclusivement leurs buts de guerre. La Grande Révolution Socialiste d’octobre 1917 vient confirmer la validité des thèses révolutionnaires et internationalistes des bolcheviks et adoptées par la gauche zimmerwaldienne. Il est démontré en effet que la fin de la guerre et la perspective d’une paix juste et démocratique ne sont possibles que par un renversement violent de la classe qui était à l’origine même du conflit : la bourgeoisie. Dès lors, la Révolution d’octobre non seulement sonne le glas de l’ordre bourgeois dans tout l’Empire russe, mais montre aussi la nécessité et l’urgence d’une clarification nette de la ligne politique des partis socialistes. La constitution définitive de la Troisième Internationale (Internationale Communiste ou Comintern), en mars 1919, impose désormais un choix à opérer partout : soit la collaboration de classe et l’opportunisme, soit la lutte de classes et la révolution prolétarienne. En l’occurrence, il s’agit de séparer le bon grain de l’ivraie : les éléments révolutionnaires sont appelés partout à rompre avec la social-démocratie et à créer dans leurs pays des partis communistes sur le modèle bolchevik. L’UIOJS n’est pas en reste de cette dynamique, le Comintern lançant un appel aux jeunes travailleurs de tous les pays pour qu’ils adhèrent au processus de scission entre réformistes et révolutionnaires et qu’ils s’attèlent à constituer une Internationale de la Jeunesse Communiste.
Au sortir de la guerre, la constitution d’une tendance communiste au sein des Jeunesses Socialistes
Alors que le conflit mondial prend fin en novembre 1918, l’ivresse de la victoire et la communion nationale n’épargnent pas la SFIO et une partie des dirigeants historiques de la FNJS. Pendant toute la durée de la guerre, cette dernière s’était refusée d’adhérer formellement à l’UIOJS reconstituée et conséquemment de rompre avec la direction de la SFIO. De même, lorsque le congrès clandestin de l’UIOJS du 20 novembre 1919 à Berlin-Neukölln décide de la création de l’Internationale de la Jeunesse Communiste (IJC) et de calquer son programme politique sur celui du Comintern (Willi Münzenberg devenant d’ailleurs le premier secrétaire de l’IJC), les Jeunesses Socialistes françaises hésitent encore à prendre part à la scission internationale et n’envoient aucun délégué assister aux travaux. Jusqu’à la fin de l’année 1920, partisans de la reconstruction de la Deuxième Internationale et partisans de la Troisième cohabitent au sein de la FNJS tout comme au sein de la SFIO. C’est cette situation contradictoire qui va miner toute velléité de « normalisation » de la FNJS éventuellement orchestrée par la SFIO, et ainsi poser les prémisses de la marche en avant vers la scission. Le choix entre Deuxième et Troisième Internationale provoque des débats intenses, voire virulentes, dans les sections locales jusqu’au sein du Comité national de la Fédération, dont le secrétariat se trouve aux mains du « centriste » Pierre Lainé depuis le congrès national tenu à Saint-Denis le 23 juillet 1918. Les dirigeants d’avant-guerre échouent à jouer le rôle de figures conciliatrices. Strago adopte d’abord une position centriste proche de la tendance « reconstructrice » de la Deuxième Internationale, mais finit par se rapprocher de Doulat et de la ligne bolchevique : toutefois, en juillet 1919 les autorités françaises prennent à prétexte sa nationalité polonaise pour l’expulser du territoire. Quant à Lyon, il demeure attaché au programme réformiste de la Deuxième Internationale et dénonce avec acharnement toute perspective de rapprochement du socialisme français avec le Comintern.
Mais la montée en puissance des partisans de la Troisième Internationale est rapide et inexorable, et la jeunesse ouvrière et étudiante n’en est pas en reste. Depuis mai 1919, Paul Vaillant-Couturier, Raymond Lefebvre et Henri Barbusse animent « Clarté », à la fois une revue et un groupement socialiste-pacifiste : il est composé surtout d’étudiants et d’intellectuels critiques à l’égard de la direction nationale de la SFIO et plutôt favorables au Proletkoult du Comintern. En 1922 le groupe donne naissance à « Clarté universitaire » sous l’égide de Georges Cogniot, et figure ainsi parmi les premiers embryons de l’Union des Etudiants Communistes (UEC). En parallèle, en lien avec le C3I de Fernand Loriot se crée d’ailleurs en mars 1920 un « Comité pour l’autonomie des Jeunesses socialistes et leur adhésion à la IIIe Internationale ». Parmi les membres de la commission exécutive du Comité, y siègent Maurice Laporte, Paul Coblentz, Albert Demai, L. Boiron, P. Paratre et Renan Radi. Cette jeunesse engagée en faveur de l’adhésion à l’IJC se retrouve d’ailleurs protagoniste de la mobilisation contre l’ingérence et l’intervention militaire de l’Entente en soutien aux Armées blanches au cours de la Guerre civile russe. Il s’agit d’un premier terrain de militantisme en autonomie par rapport aux éléments révisionnistes des Jeunesses Socialistes : une première occasion non seulement pour défendre les conquis de la Révolution d’octobre et de la dictature du prolétariat, mais aussi pour remettre au centre de la pratique politique la solidarité internationale. Emerge aussi la volonté de propager des valeurs antimilitaristes et anti-impérialistes auprès de la jeunesse ayant connu l’horreur des tranchées : une importante toute particulière est dès lors accordée à la structuration et au développement de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC, fondée en 1917 par Henri Barbusse, Paul Vaillant-Couturier, Raymond Lefebvre, Georges Bruyère et Boris Souvarine).
Le XVIIe congrès national de la SFIO, en février 1920 à Strasbourg, connaît l’adoption d’une première décision fondamentale : les délégués acceptent en effet à 92 % des voix le retrait du parti de la Deuxième Internationale reconstituée, sans pour autant franchir le pas d’un ralliement officiel au Comintern. Les 4-5 avril 1920, c’est la FNJS qui tient à son tour son Ve congrès national à Troyes : la question des relations internationales ne peut qu’y résulter centrale. Le congrès s’ouvre sous des bons auspices, puisque des trois tendances qui vont s’affronter, aucune n’est partisane d’une éventuelle adhésion à la Deuxième Internationale reconstituée. Cependant, le clivage s’opère autour d’autres questions fondamentales : les rapports avec la SFIO et les conditions d’adhésion à l’IJC. Une première tendance dite « reconstructrice » se regroupe autour de la direction sortante de la FNJS (Lainé, Lozeray, Vandomme, Capocci, Goldschild, Eppinger, Crépin). Elle est favorable à une adhésion sous réserve à l’IJC, mais en critique la conception des « minorités agissantes » et reste surtout soucieuse de ne pas se séparer de la SFIO. Il s’agirait en somme de s’affilier à l’IJC tout en maintenant une liberté complète d’organisation, d’action et de choix des partenaires politiques nationaux : la SFIO resterait ainsi libre de dicter sa ligne aux Jeunesses Socialistes même si ces dernières devaient adhérer à la Troisième Internationale. Cette tendance opportuniste conçoit encore le rôle de la FNJS comme devant se borner uniquement au recrutement et à l’éducation de la jeunesse en vue de préparer sa participation à l’action socialiste du parti et aux autres organisations du mouvement ouvrier. C’est-à-dire : pas d’action politique à proprement parler en dehors de la propagande antimilitariste et de la protection du travail, et surtout pas de critique possible à l’égard de la ligne du parti, de certaines de ses composantes voire de ses militants. La tendance s’exprime d’ailleurs pour que l’administration de La Voix des jeunes soit mise sous la tutelle de la SFIO, en la confiant à L’Humanité et en intégrant d’office au comité de rédaction trois membres du parti. Une deuxième tendance, sous l’égide d’Auclair, est favorable à l’autonomie organisationnelle et politique de la FNJS vis-à-vis de la SFIO, ainsi qu’au rapprochement avec le C3I et à une adhésion immédiate à l’IJC. Tout en étant d’accord sur le principe de cette affiliation, elle émet toutefois des réserves quant à ses critères et modalités concrètes. Enfin, Laporte et Mériga se font porte-paroles d’une troisième tendance, partisane de l’autonomie complète de la FNJS vis-à-vis de la SFIO ainsi que de l’affiliation immédiate et inconditionnelle à l’IJC, sans devoir attendre la décision du parti au sujet de l’adhésion au Comintern. Cette dernière tendance est d’ailleurs appuyée par les lettres adressées au congrès de Troyes par le C3I, le Comité exécutif de l’IJC, les Jeunesses Communistes de Lituanie et de Biélorussie, et encore d’autres organisations de jeunesse ouvrière et étudiante liées à la Troisième Internationale. Un représentant de l’exécutif de l’IJC est d’ailleurs autorisé à participer au congrès de la FNJS et à tenir un discours invitant les délégués à rejoindre la Troisième Internationale, suivant l’exemple de l’écrasante majorité des anciennes Jeunesses Socialistes de partout dans le monde : « Il se prononce pour la dictature du prolétariat, pour la participation très active à l’action directe des Jeunesses qui doivent être des organisations de combat. Enfin, il demande au Congrès de répudier non seulement la droite du parti socialiste, mais aussi le centre confusionniste plus dangereux que le social-patriotisme ». Néanmoins, la mainmise de la direction opportuniste de la SFIO se fait encore ressentir, puisque Léon Blum peut prendre la parole au début du congrès au nom du parti et de son groupe parlementaire, et conjurer la FNJS de ne pas quitter la maison social-démocrate. Son discours est empreint de paternalisme et de mépris : « Je voudrais que vous n’ayez pas d’ingratitude pour ceux qui vous ont précédé dans la voie que vous suivez. Ne gaspillez pas, avec cette imprudence prodigue, le travail de ceux qui ont peiné avant vous. […] Je me demande si vous ne ressemblez pas à l’enfant prodigue qui, ayant reçu un héritage et ne sachant pas ce que chaque pièce amassée a coûté d’efforts, le gaspille imprudemment. Il ne faut pas faire cela. Il faut vous souvenir. Ne soyez pas des enfants ingrats, ne soyez pas des enfants prodigues ; songez au passé, à ceux qui ont travaillé avant vous. Les questions de deuxième ou troisième Internationale n’ont qu’un intérêt secondaire. Ce qui importe, c’est la doctrine. […] Nous ne pouvons espérer triompher qu’en nous appuyant sur l’organisation. Il faut recruter, éduquer le prolétariat. Il ne faut pas se fier aux mouvements spasmodiques d’une masse inorganisée ». Au bout d’intenses débats autour des questions clivantes, le vote final du congrès confère 3.168 mandats à la tendance Lainé (6 élus à la nouvelle direction : Lainé, Rebillat, Goldschild, Triquet, Vandomme, Eppinger) ; 2.350 à la tendance Laporte (4 élus : Laporte, Radi, Proquitte, Mériga) ; 1.826 à la tendance Auclair (3 élus : Auclair, Schaub, Seygardie).
Cette victoire à la Pyrrhus de la tendance reconstructrice déstabilise la direction fraîchement élue, puisque ce sont davantage les militants de la tendance communiste qui se révèlent proactifs dans les mois qui suivent. Laporte et Goldenberg tentent même de se rendre clandestinement à la conférence internationale des Jeunesses Socialistes des pays occidentaux convoquée par l’IJC à Milan pour mai 1920 : ils espèrent pouvoir y contrecarrer l’attentisme de Lainé ainsi que rallier le reste des partenaires étrangers « hésitants » à la ligne de rupture avec l’opportunisme social-démocrate et d’affiliation à la Troisième Internationale. Ce n’est qu’à cause d’une interpellation policière à la frontière italienne que le projet de voyage doit être abandonné. Deux mois plus tard, Laporte parvient à convaincre Auclair de la pertinence de l’adhésion immédiate et inconditionnelle à l’IJC. Ils organisent alors ensemble, le 25 juillet 1920 à Puteaux, une conférence de la minorité de la FNJS : leurs deux tendances, adversaires à Troyes, finissent par fusionner intégralement. Dès lors, la tendance communiste obtient une majorité de 7 contre 6 au Comité national des Jeunesses Socialistes. Cependant, Laporte et Auclair décident de ne pas se saisir de cette instance de direction pour décréter d’en haut l’affiliation à l’IJC : ils préfèrent ne pas faire scission immédiatement, mais provoquer la convocation d’un congrès de la Fédération afin que l’adhésion au mouvement communiste international soit le résultat du débat démocratique le plus large au sein de l’organisation. Pour promouvoir cette nouvelle tactique, le « Comité pour l’autonomie des Jeunesses socialistes et leur adhésion à la IIIe Internationale » se transforme en « Comité de l’Internationale communiste des jeunes » : Laporte est élu en tant que secrétaire, et siègent avec lui à la commission exécutive Albert Lemire, Georges Naze, Calman et Wilk. En septembre 1920, le Comité se dote également d’un organe central de presse : L’Avant-Garde ouvrière et communiste. Côté étudiant, nous assistons également à une percée des éléments favorables à la Troisième Internationale. En effet, le congrès des Étudiants socialistes révolutionnaires du 12 juillet 1920, à Paris, décide à l’unanimité d’adhérer au Comintern et à sa « Fédération internationale des étudiants communistes » (fondée à Genève le 27 décembre 1919). Dès lors, l’organisation française se rebaptise « Étudiants collectivistes révolutionnaires ». Parmi ses membres fondateurs figure d’ailleurs Nguyễn Sinh Cung, plus connu sous le nom d’Hô Chi Minh. Enfin, des nouvelles encourageantes proviennent également de l’Alsace-Lorraine fraîchement réannexée par la France. Depuis 1919, une « Fédération des Jeunesses Socialistes d’Alsace-Lorraine » existait en autonomie par rapport à la FNJS et à la SFIO : malgré le maintien de rapports réciproques, ces deux dernières organisations se gardaient bien d’imposer leur ligne politiques au-delà des Vosges. Or, tout comme la SFIO d’Alsace-Lorraine, son organisation de jeunesse figure parmi les partisanes de la première heure d’un rapprochement avec la Troisième Internationale. Dès lors, déjà au congrès de Troyes les Alsaciens-Lorrains se rangent du côté de Laporte et de Mériga. Mais plus encore, en juillet 1920, à leur congrès de Colmar et sous l’égide du secrétaire Louis Kuntz, les Jeunesses Socialistes alsaciennes-lorraines décident unilatéralement de s’affilier à l’IJC. Leur adhésion formelle à la FNJS est d’ailleurs retardée tant que cette dernière ne fasse pas de même, c’est-à-dire en s’exprimant clairement pour une affiliation immédiate et inconditionnelle à l’IJC. La marche en avant vers l’adhésion à la Troisième Internationale est imparable, et les offensives simultanées de la tendance communiste de la FNJS, des Étudiants collectivistes révolutionnaires et des Alsaciens-Lorrains enlèvent aux opportunistes la dernière once de légitimité qu’ils gardaient auprès des militants. La tendance reconstructrice de la direction de la FNJS est dès lors forcée d’accepter la proposition de convoquer rapidement un nouveau congrès.
Le congrès de La Bellevilloise : une scission inévitable et salutaire.
Le VIe congrès des Jeunesses Socialistes se tient du 31 octobre au 1er novembre 1920, au siège de la coopérative La Bellevilloise, dans la salle Babeuf (rue Boyer, XXe arrondissement de Paris). Les débats se focalisent inévitablement, une fois encore, sur les relations internationales et les liens avec la SFIO. Un seul point figure à l’ordre du jour, libellé « Du rôle et de l’action des Jeunesses et des rapports avec l’Internationale communiste des Jeunes ». L’Humanité note : « On sait qu’une Internationale communiste des Jeunes a été fondée. Plusieurs ententes régionales – parmi lesquelles celle de la Seine – ont manifesté leur désir de voir la Fédération nationale des Jeunesses adhérer à cette Internationale. Mais les Jeunesses françaises ont avec le Parti des liens étroits ; de sorte que l’adhésion à l’Internationale communiste des Jeunes est liée au développement de l’autonomie des Jeunesses. On voit que les questions à discuter sont complexes ». Dans les milieux opportunistes de la SFIO, la préoccupation à l’égard des événements de La Bellevilloise est patente. Le parti prend bien soin de faire en sorte que le congrès se tienne directement sous ses auspices, pour occulter le fait que sa convocation même avait été un succès indéniable de la tendance communiste. De plus, la direction nationale de la SFIO se fait représenter directement au congrès par son bureau exécutif, afin de surveiller de près les débats et tenter de conditionner les résolutions à prendre. C’est d’ailleurs Verfeuil (tendance centriste-longuettiste) qui, au nom de la direction de la SFIO, prononce le rapport introductif du congrès. Il rappelle d’abord les mérites de la SFIO ayant donné son consentement à la création des Jeunesses Socialistes en 1912, puis il insiste sur le rôle limité qui se devait d’avoir une organisation de jeunes, c’est-à-dire se borner au recrutement et à l’éducation. Le rapport Verfeuil fait l’objet de contestations multiples, en provenance non seulement des délégués de la tendance communiste de la FNJS, mais aussi des délégués étrangers venus assister aux travaux. Tour à tour, des invités suisses (Fritz), italiens (Gino Dimarchi), autrichiens et hongrois prennent la parole pour « exposer que l’Internationale communiste des Jeunes attend impatiemment l’adhésion des Jeunesses françaises ». Se dressant contre Verfeuil, ils montrent comment ses conceptions sont à l’antipode des principes révolutionnaires : « Tous considèrent que les Jeunesses doivent être avant tout des groupes d’action. Non seulement elles doivent participer à l’action des partis communistes, mais elles doivent agir révolutionnairement en dehors des partis qui restent réformistes ».
Les allocutions des camarades étrangers font place ensuite à l’affrontement des deux tendances de la Fédération : partisans et adversaires de l’adhésion à l’IJC et, donc, de l’autonomie vis-à-vis de la SFIO. Une tendance médiane, centriste, tente de se dégager autour de Bidou et de Mesnard (délégués respectivement de la Seine et de la Gironde), mais sans succès puisque leurs positions résultent intenables : tout en étant favorables à une adhésion conditionnelle à l’IJC, ils se dressent contre son prétendu « sectarisme » et voudraient que la FNJS garde une liberté de manœuvre complète. Quant aux délégués de la tendance opportuniste (Lainé, André Rella, Suzanne Caille, Jacob, Martin, Clapaud), partisans du statu quo, ils révèlent finalement au grand jour leur mépris pour la jeunesse ouvrière et pour les principes révolutionnaires. Trois arguments principaux sont mis en avant. Primo, la jeunesse française serait trop ignorante pour comprendre le Socialisme et les masses ne seraient prêtes à faire ni la révolution, ni une grève de solidarité internationale : il serait donc prématuré d’arrêter de suivre les directives de la SFIO et d’adhérer à l’IJC, puisqu’« il ne faut pas jouer aux insurgés ». Secundo, l’organisation de jeunesse devrait se borner à « organiser des fêtes et des jeux sportifs de façon à recruter ; faire des cours du soir ; compléter l’instruction ». Tertio, une adhésion intempestive à l’IJC et une séparation complète de la SFIO ne feraient que semer la désunion dans les rangs du prolétariat, détruisant en un clin d’œil l’unité socialiste bâtie en 1905 au terme d’un processus long et complexe. Le secrétaire national, Pierre Lainé, est à l’apothéose de l’invective. Il dénonce d’abord « ces intellectuels qui veulent instaurer la dictature du prolétariat et qu’on verra bientôt retourner au conservatisme ». Il condamne ensuite « le noyautage du Parti, des syndicats et des coopératives qu’on veut donner pour tâche essentielle aux Jeunesses : voir des enfants de 16 ans dénoncer les social-traîtres de la CGT, c’est ridicule ! Votre aventure après un fiasco se terminera dans un éclat de rire ! ». Il assure enfin que « les communistes ne seront pas en état d'appliquer leur programme : vous ferez des manifestations à quinze ou vingt ! ».
Les délégués de la tendance communiste démontent pièce par pièce les thèses infantilisantes avancées par les opportunistes. Calman, délégué de la Seine, réfute brillamment l’argument de la prétendue ignorance des jeunes ouvriers et dénonce le confusionnisme idéologique semé par les révisionnistes afin d’émousser le désir révolutionnaire de la jeunesse. Au contraire, Calman déclare : « une seule doctrine doit lui être offerte : celle de Moscou ». Il « expose ensuite les raisons de psychologie qui destinent le jeune à être particulièrement agissant : pléthore organique qui produit l'enthousiasme, capacité de s'émanciper des liens sociaux. Puis il explique que les sports, la danse sont des agréments qui peuvent donner une récréation utile mais que dans les jeunesses françaises toute l'activité est dispersée à cette besogne accessoire ». Enfin, il « rappelle que l'adhésion à la IIIe Internationale doit être fondée sur l'assentiment donné à ses principes essentiels et que le devoir des jeunesses communistes est de combattre las réformistes et les centristes au sein du Parti et dans les syndicats. Il termine en observant que les événements sauront forcer les jeunes à contraindre leur éducation communiste ». A son tour Lourt, délégué de la Gironde, argumente contre la priorité exclusive conférée à l’éducation et insiste sur les liens indissolubles entre instruction et action politique : « C’est vous, réformistes, qui avez négligé l'éducation. Vous nous demandez quand nous ferons la révolution ? Hélas ! Nous ne pouvons la faire avec les hommes que vous avez formés ». Sur la question des rapports futurs entre FNJS et SFIO, sa formule est tranchante : « Si le Parti tourne à droite, nous resterons communistes ! Tant mieux s’il tourne à gauche, nous agirons à ses côtés ». Camille Fégy, délégué du Rhône, après avoir souligné l’entente parfaite existante entre l’IJC et le Comintern, tranche aussi sur la question de l’autonomie entre l’organisation de jeunesse et parti. Il montre en effet que la quête d’autonomie n’est que transitoire, s’appliquant exclusivement à l’égard des éléments révisionnistes et opportunistes afin de se soustraire de leur mainmise tutélaire : « Quant à la revendication de l’autonomie qui effraye certains, elle disparaîtra automatiquement d’ici deux mois. Dès que le Parti aura adhéré à la IIIe Internationale, les Jeunesses communistes n’auront plus besoin de leur autonomie. Elles prêteront leur concours au Parti pour la préparation de la Révolution ». Fégy aussi insiste sur les liens indispensables entre éducation et action révolutionnaire : « Nous sommes pour la propagande et pour l’éducation. Mais la propagande nous la ferons en vue de l’action. Nous l'unifierons. Nous travaillerons dans les syndicats, nous irons aux paysans. Nous irons dans les groupes sportifs. Nous noyauterons la Fédération sportive du Travail. […] La séparation est entre ceux qui veulent la révolution et ceux qui ne la désirent pas. Il faut choisir entre Amsterdam et Moscou. Nous sommes avec Moscou. Et soyez tranquilles, nous vous présenterons au prochain Congrès une Fédération plus nombreuse, mais mieux orientée ». Délégué de la Seine, Émile Auclair prend ensuite la parole pour défendre le principe d’avant-garde : « La tache révolutionnaire présente essentielle est non de recruter de gros effectifs, mais de former des chefs instruits et décidés. D'ailleurs, au jour peut-être prochain de la Révolution, il faudra moins de socialistes bourrés de science que de bons ouvriers et de techniciens dévoués ». Maurice Laporte et Marcel Vandomme, tous deux délégués de la Seine, viennent assener le coup de grâce aux opportunistes. Le premier « explique que les communistes ne sont pas adversaires des divertissements, mais que ceux-ci ne doivent pas être un mode de recrutement. L'œuvre capitale c'est de donner aux jeunes l'amour du sacrifice. La culture des esprits doit aller avec la pratique de l'action. On nous trouve ambitieux à l'excès pour les Jeunesses qui sont la partie la plus faible du prolétariat, mais on oublie que les jeunes sont intéressés plus que tous les autres hommes à l’avenir du prolétariat ». Le second « expose comment il faut appliquer les idées communistes à la situation française. Ici, le mouvement syndical est une réalité. Nous devons respecter son autonomie. La dictature du prolétariat sera réalisée à la fois par l'organisation syndicale et par l'organisme politique. Mais il faut auparavant la rénover, la remplir de socialisme. Le noyautage du Parti et de la CGT est la tâche urgente car tant que le problème de la IIIe Internationale ne sera pas résolu, il ne sera pas possible d’agir sur la masse ».
Deux résolutions sont en lice. La première, défendue par la tendance opportuniste de Lainé, vise à confirmer les statuts actuels de la FNJS et manifeste le désir d’appartenir à une Internationale non sectaire, mais unifiée et réunissant les diverses composantes du mouvement socialiste-communiste international. La deuxième résolution, défendue par la tendance communiste, est d’une netteté impressionnante :
« Le Congrès National des Jeunesses socialistes réuni à Paris les 31 octobre et 1er novembre 1920, constatant : que la IIIe Internationale rassemble tous les socialistes révolutionnaires du monde entier ;
Qu’elle répudie tout "socialisme de guerre" passé et futur, méconnaît le mythe que représente la Défense nationale, préconise l’intransigeance révolutionnaire et la dictature du prolétariat par le régime des Conseils des travailleurs se substituant à la fausse démocratie bourgeoise parlementaire, que ce régime peut seul faire triompher la production au bénéfice total du producteur et instaurer le Communisme ;
Constatant, d’autre part, que l’Union Internationale des Jeunesses socialistes a fait faillite au même titre que la IIe Internationale, le Congrès condamne avec force et refuse de s’associer jamais avec les Jeunesses qui, répudiant en 1914 les principes fondamentaux du socialisme en approuvant, de quelque manière que ce soit, la politique dite "d'Union sacrée", continuent deux ans après les hostilités à rester fidèles à leurs erreurs et à collaborer de près ou de loin, consciemment ou inconsciemment avec la politique des renégats de la lutte sacrée de classe. Elle condamne également les tentatives des Jeunesses jaunes de Noske, d'Allemagne, de Renner, d'Autriche, faites dans le but de reconstruire une Internationale qui serait en complète opposition avec l'Internationale Communiste des Jeunes ;
Le Congrès, conscient de l’idée de lutte de classe qui s’est affirmée dans l'Internationale Communiste des Jeunes ne faisant pas double emploi avec la IIIe Internationale, lui donne son entier appui et son adhésion non conditionnée, comme elle la donne sans réserve aucune à son aînée et approuve pleinement son manifeste et son programme lancé au Congrès international tenu le 20 novembre à Berlin ;
De plus, le Congrès,
Considérant que la division qui s’est affirmée au sein de la Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes résulte d'une divergence profonde sur le but et la doctrine ;
Considérant qu’aucune organisation ne saurait exercer d'action révolutionnaire sérieuse et efficace si ses membres sont ainsi divisés sur les principes mêmes de la lutte ;
Affirme que s’il est vrai que tous les communistes ont l'impérieux devoir d’adhérer sans réserve à la IIIe Internationale, il n’en est pas moins évident que seuls les communistes doivent y avoir accès.
En conséquence :
Soucieux de permettre aux éléments révolutionnaires des Jeunesses de France d’adhérer à l'Internationale Communiste des Jeunes, le Congrès pour clarifier définitivement la situation et faire œuvre durable, décide la transformation des Jeunesses Socialistes de France en Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes Communistes, et admet pleinement la déclaration et le programme général d’action suivant, qui sera celui de la Fédération ainsi reconstituée. »
Au bout des procédures de vote, la résolution de la tendance communiste est adoptée à l’écrasante majorité de 5.443 mandats, contre les 1.958 reçus par la résolution opportuniste (350 abstentions). Au nom de sa tendance désormais minoritaire, Lainé lit alors une déclaration « prenant acte de l’acte d'indiscipline de la majorité qui vient de proclamer l’autonomie de la Jeunesse ». Mais ses râlements sont noyés dans l’enthousiasme qui règne à La Bellevilloise pour la décision historique qui vient d’être prise. En effet, au bout de deux années d’âpres combats au sein de la FNJS, la jeunesse prolétarienne de France pouvait enfin compter sur une organisation de Jeunesse Communiste non compromise avec les déviations du marxisme, mais ferme dans ses principes révolutionnaires et internationalistes. La jeunesse révolutionnaire de France pouvait ainsi arrêter d’avoir honte de son appartenance à la « vielle maison » socialiste, discréditée à jamais, et prendre un nouveau départ en rejoignant enfin ses dizaines de milliers de camarades de partout dans le monde au sein de l’Internationale de la Jeunesse Communiste. Les mots d’ordre « attentisme, fêtes et éducation de la jeunesse » étaient enfin remplacés par ceux de « lutte de classes et dictature du prolétariat ». C’était ainsi seulement à travers la scission que l’unité véritable pouvait se réaliser : non pas l’unité forcée et creuse entre les courants les plus hétérogènes du socialisme politique, mais celle de la classe prolétaire rassemblée sous les drapeaux rouges du communisme et de ses organisations d’avant-garde. Pour réaliser ces objectifs nouveaux et suprêmes, la dernière tâche du congrès de La Bellevilloise est alors de se doter d’une nouvelle direction nationale. Un Comité directeur de 13 membres est nommé et composé exclusivement de communistes : Laporte, Auclair, Calman, Fégy, Kuntz, Vandomme, Marie Wacziarg dite Rosa Michel, Lacroisille, Pontillon, Perche, Schaub, Vital Gayman. Laporte est d’ailleurs élu secrétaire général de la nouvelle Fédération ainsi que directeur de L’Avant-Garde ouvrière et communiste, assisté d’un comité de rédaction formé par Auclair, Vandomme, Gayman, Pontillon et Gabriel Péri. La moyenne d’âge de cette nouvelle direction nationale est de 20 ans et demi : c’est bel et bien une toute nouvelle génération de révolutionnaires qui prend désormais la place de celle précédente gangrénée par l’attentisme et l’opportunisme.
Deux mois plus tard, les protagonistes de la scission de La Bellevilloise assistent à la victoire des thèses communistes également au XVIIIe congrès national de la SFIO, les 25-30 décembre à Tours. Laporte et Vandomme y participent officiellement au nom de la Fédération nationale des Jeunesses Socialistes Communistes. L’intervention de Laporte est particulièrement applaudie lorsqu’il déclare que, après avoir défendu l’indépendance des Jeunesses vis-à-vis d’un parti opportuniste, il pense maintenant « qu’il serait dangereux, pour la bataille que nous avons à mener, aussi bien parmi les adultes que parmi les jeunes, de nous déclarer autonomes et indépendants du Parti socialiste puisque ce dernier est attaqué à la fois par le centre, par la droite et, par-dessus tout, par la réaction capitaliste mondiale ». Si la revendication traditionnelle de l’autonomie se trouve fléchie, c’est parce que le « Parti socialiste » auquel s’adresse Laporte n’est plus le même. En effet, à Tours aussi c’est la majorité des délégués qui s’expriment pour l’adhésion immédiate à la Troisième Internationale. Ils se donnent ainsi les moyens d’en finir une fois pour toutes avec l’opportunisme social-démocrate et de constituer un parti de classe, franchement révolutionnaire, dévoué à l’objectif du renversement violent de la bourgeoisie et de l’édification de la dictature du prolétariat : c’est la naissance de la « Section française de l’Internationale communiste » (SFIC), devenant ensuite « Parti communiste français » dès l’année suivante. L’unité politique entre les jeunes communistes et leurs ainés étant vite réalisée, les bases de l’organisation révolutionnaire sont dès lors lancées et vont connaître des succès indéniables. Les fédérations et sections de jeunes communistes se multiplient partout et prennent une part indispensable à la violence de la lutte de classes de la France des années 1920 : en mai 1921, ce sont déjà une quarantaine de jeunes communistes parisiens qui se trouvent derrière les barreaux de la Santé. Les jeunes communistes vont d’ailleurs être rejoints rapidement par les Étudiants collectivistes révolutionnaires. En effet, l’IJC va estimer que l’existence d’une organisation étudiante indépendante de celle de jeunesse ne constitue pas une forme d’organisation pertinente : le schisme entre jeunesse laborieuse et jeunesse étudiante nuit à l’unité de classe et à la pratique révolutionnaire. Dès lors, tout comme l’IJC va absorber l’éphémère Fédération internationale des étudiants communistes, en France les Étudiants collectivistes révolutionnaires sont appelés à rejoindre l’organisation de jeunesse communiste. La direction de cette dernière va d’ailleurs mettre en place en son sein un poste de « responsable des étudiants », afin de mieux ancrer la pratique communiste à l’égard d’un milieu universitaire hostile, demeurant élitaire, majoritairement bourgeois et gangréné par les exactions des groupuscules d’extrême-droite à l’image de l’Action française. A son Ier congrès national, les 15-16 mai 1921 à L’Egalitaire de Paris, la nouvelle organisation abroge également son libellé hybride de « socialiste communiste », et adopte l’appellation de « Fédération des Jeunesses Communistes de France » (FJCF). L’intitulé va encore changer en « Union de la Jeunesse Républicaine de France » (UJRF) en 1945, pour enfin adopter celui actuel de « « Mouvement des Jeunes Communistes de France » (MJCF) depuis 1956.
Les leçons de la scission de 1920 pour les combats à venir.
La Jeunesse Communiste a constitué un espoir et un outil pour des centaines de milliers de jeunes, pour des générations entières, dans la lutte sans compromission contre le capitalisme. Elle a été à l’avant-garde du combat contre l’exploitation et la misère de la jeunesse, mais aussi contre le fascisme et la guerre, produits naturels du capitalisme à son stade impérialiste. Elle a pu poser les bases du mouvement révolutionnaire des jeunes travailleurs et étudiants. Elle a été une arène d’entraînement à la lutte politique, un instrument d’éducation populaire et d’émancipation intellectuelle pour la jeunesse prolétarienne, une courroie de transmission entre les combats de la jeunesse et ceux de la classe ouvrière, et une école de formation pour le parti communiste. Mais il ne saurait être question de rendre compte ici des développements ultérieurs de la Jeunesse Communiste depuis sa fondation, de ses débats multiples, ses crises et ses succès, de sa participation inlassable au mouvement ouvrier et communiste tant français qu’international, de sa contribution indispensable à la Résistance antifasciste et à la lutte contre le colonialisme français, de ses combats incessants sous la IVe et la Ve République pour la dignité de la jeunesse ouvrière et étudiante. D’autres occasions seront propices à cet effet.
Ce qui importe à cette date anniversaire, c’est de relever toute l‘actualité du sens de la scission de 1920. Les conditions de la fondation de la Jeunesse Communiste entretiennent un lien étroit avec la situation présente. En 1920, les éléments révolutionnaires des Jeunesses Socialistes n’ont pas eu d’autre choix que d’établir une ligne de démarcation claire et nette entre eux et les éléments opportunistes. Ce sont non seulement les leçons de la Grande Révolution Socialiste d’octobre 1917 et les appels de la Troisième Internationale qui les ont convaincus à entreprendre ce chemin, mais surtout une lecture lucide des contradictions inextricables dans lesquelles s’était enfoncée la social-démocratie française et qui étaient en train de consacrer sa dégénérescence en un parti éminemment réformiste et de collaboration de classe. De même, aujourd’hui, alors que manque cruellement une Internationale Communiste à proprement parler, une lecture limpide des conditions pitoyables dans lesquelles sombre le mouvement communiste français est possible et nécessaire. C’est aussi le débat de 1920 sur le lien entre les structures de la jeunesse et celles du parti qui, à distance de cent ans, en appelle encore à la réflexion. Conformément aux préconisations de Lénine, il est clair que cette question revêt une importance stratégique fondamentale : si l’indépendance des jeunes était nécessaire pour parvenir à constituer une avant-garde révolutionnaire pendant le processus de clarification des lignes en 1907-1920, elle ne l’est plus une fois ce processus achevé, avec une Internationale Communiste assumant le rôle d’avant-garde pour l’ensemble du prolétariat. Maintenir une jeunesse communiste indépendante dès lors qu’il existe un parti communiste d’avant-garde est sans aucun doute une politique opportuniste. Mais le PCF de 1920 n’a rien en commun avec celui de 2020. Face au carcan des thèses et des pratiques révisionnistes en vigueur en France comme dans beaucoup de pays dans le monde, l’urgence d’une clarification des lignes s’impose pour tous les jeunes qui sont déterminés à entreprendre le combat révolutionnaire sans compromission. Dès que l’opportunisme gangrène l’organisation censée représenter le prolétariat, il n’y a plus d’appel à la discipline possible : la dissidence est légitime pour remettre l’organisation sur le terrain de la lutte de classe révolutionnaire ou bien pour en constituer une nouvelle, non compromise avec la bourgeoisie et son idéologie. Pour les partis révisionnistes, parmi lesquels figure désormais le PCF, l’organisation de jeunesse n’est pas un cadre d’entraînement à la lutte des classes, mais un lieu de normalisation des « ardeurs juvéniles » et de sélection des futurs cadres qui sauront imposer à leur tour la pratique réformiste. Le MJCF est devenu également un lieu de formation d’élus locaux et un bassin de recrutement d’assistants d’élus : de ce fait, la dérive électoraliste du PCF et son repli sur le prétendu « communisme municipal » sont devenus essentiels au MJCF, afin que les années de militantisme de jeunesse ne soient pas « perdus » vainement, mais qu’ils se concrétisent par un emploi auprès de leurs aînés.
Le MJCF a imposé aveuglement à tous ses adhérents de suivre l’ensemble des errements théoriques et tactiques entrepris par le PCF dans les dernières décennies afin d’accompagner sa dégénérescence électoraliste. Se refusant de porter une quelconque critique à l’égard de ses aînés et de traiter des questions autres que celles concernant directement la jeunesse, le MJCF n’a pas eu d’autre choix que de se recouper une place d’« amicale de jeunes communistes », faisant du jeunisme, de l’associationnisme culturel et du festif ses seules lignes directrices. Avec de telles prémisses, la propagation de l’opportunisme et du révisionnisme a été inévitable et s’est réalisée tant rapidement qu’inexorablement. L’inconsistance du Mouvement lors des dernières crises nationales et internationales a été patente. Dès lors, le MJCF peut célébrer autant qu’il veut ses cent ans, mais en vérité il n’a rien à fêter : l’organisation surgie du feu de la lutte de classes en 1920 n’a rien à voir avec le MJCF actuel bercé dans l’opportunisme du PCF. Le fait que le MJCF et le PCF s’obstinent encore à garder l’adjectif de « communiste » dans leur nom ne suffit pas à occulter le fait que ces deux structures ont abandonnée depuis bien longtemps la théorie marxiste-léniniste, la vocation d’organisations d’avant-garde et la pratique révolutionnaire de la lutte de classes. L’existence de débats parfois intenses, voire virulents au sein du MJCF ne peut occulter le fait que cette organisation est dans une phase putrescente. Les divergences ne sont pas politico-idéologiques, mais relèvent de discordes et antagonismes essentiellement personnels entre des apprentis bureaucrates, soucieux d’obtenir des avantages et monter en grade dans la hiérarchie du Mouvement et, ensuite, du parti. L’intérêt de l’organisation et surtout l’intérêt de la jeunesse prolétarienne sont ainsi complètement effacés face aux feux croisés de l’égoïsme et de l’ambition personnelle. Les débats politiques de fond et les prises de décision claires et nettes sont soigneusement évités, alors même qu’ils sont indispensables à toute pratique révolutionnaire digne de ce nom. L’opportunisme règne dans les relations internationales du MJCF tout comme dans sa pratique internationaliste : l’organisation est capable de dénoncer moralement les exactions commises partout dans le monde, mais ne se pose jamais la question de comment combattre l’impérialisme français et surtout la Françafrique ici et maintenant. Les notions mêmes de « socialisme-communisme » et de « dictature du prolétariat » ont disparu bien longtemps non seulement des statuts de l’organisation, mais surtout des têtes des adhérents. Ceux-ci se targuent de ces expressions lorsqu’il s’agit de « jouer aux folklo », mais oublient ensuite soigneusement de les défendre sérieusement au sein même de l’organisation contre les déviances opportunistes. Dans les dernières décennies, la direction nationale du MJCF, verrouillée grâce au recours aux pires pratiques bureaucratiques, n’a pas perdu une seule occasion pour isoler, calomnier et exclure à travers des magouilles de tout genre les tendances révolutionnaires qui ont surgi dans les différentes fédérations, voire simplement celles qui ont tenté de remettre au centre des débats des questions politiques essentielles au bon fonctionnement de l’organisation. Même très récemment, alors que la plupart des éléments révolutionnaires ont pris leurs distances du MJCF, ce dernier a dévoilé son épilepsie incurable. Le traitement du « scandale » des agressions sexuelles et sexistes au sein de l’organisation en est un exemple, puisque les affaires et les victimes ont été instrumentalisées pour procéder à des règlements de comptes personnels, entre fédérations et même au sein de la direction nationale. Un autre exemple est aussi la guéguerre que se livrent depuis 2015 les directions nationales du MJCF et de l’UEC, ayant abouti à la « mise sous tutelle » de la branche étudiante lors du dernier congrès du Mouvement et aux échanges réguliers de communiqués tant larmoyants que diffamatoires les uns envers les autres. Mais cette dérive pitoyable et grotesque non seulement est alimentée par des rancunes personnelles et des calculs bureaucratiques d’apprentis carriéristes du PCF, mais elle est surtout la conséquence inévitable du vide politique du Mouvement et de la perte de toute notion de centralisme démocratique. Aucune ligne n’a été portée nationalement par le MJCF sur les questions du militantisme en milieu étudiant et du prétendu « syndicalisme étudiant ». Dès lors, des fédérations se jettent corps et âme dans le piège que constitue la guéguerre inter-tendances au sein de l’UNEF, tandis que d’autres préfèrent négliger complètement le travail unitaire de jeunesse ouvrière et étudiante au sein du MJCF pour se consacrer exclusivement au développement de l’UEC. Là encore, les leçons que l’on pourrait tirer de l’expérience historique de l’IJC dans ses rapports avec l’Internationale des étudiants communistes, sont entièrement négligées.
A l’heure où la lutte de classe s’intensifie partout, en France comme dans le reste du monde, la jeunesse prolétarienne mérite mieux que le MJCF. Les jeunes communistes ont tout à gagner d’une rupture complète avec le révisionnisme et l’opportunisme qui entendent freiner les combats de la classe ouvrière ou les canaliser dans les cadres institutionnels. La séparation opérée en 1920 entre les militants révolutionnaires sincèrement communistes et les scories social-démocrates retrouve une actualité brûlante cent ans plus tard. La solution à l’exploitation et à la misère de la jeunesse, comme de la classe ouvrière en général, reste unique : l’organisation de la colère prolétarienne dans un parti communiste menant une lutte de classe contre classe pour la construction du socialisme-communisme !
Jeunesse Communiste du Bas-Rhin, 1er novembre 2020