[BAF] Le fascisme est le pire ennemi de la femme : l’exemple de l’Italie fasciste

Publié le 7 Mars 2018

[BAF] Le fascisme est le pire ennemi de la femme : l’exemple de l’Italie fasciste

A l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes (8 mars), nous publions un extrait de notre Brochure « Quand le Duce était là : la mythologie fasciste à l’épreuve de la vérité historique » : BAF, Quand le Duce était là (2018). Il s’agit d’une analyse historique de la place accordée aux femmes par le régime fasciste italien de Benito Mussolini de 1922 à 1943.

 

« La femme doit obéir, entretenir la maison, accoucher des enfants et être cocue » (Mussolini).

Pour consolider un régime forgé sur l’autoritarisme, Mussolini adopta une politique machiste qui imposa aux femmes l’exclusion totale de la sphère publique. Et cela, avec l’aide de l’Eglise, depuis toujours hostile à l’émancipation féminine. Il faut considérer également que le régime se basait sur un droit de la famille stipulé depuis 1895 dans le Code Pisanelli et forgé sur la suprématie masculine (par exemple, la tutelle des enfants était une prérogative masculine exclusive). Le fascisme se garda bien d’abroger ce Code rétrograde, et il alla encore plus loin dans l’oppression des femmes.

Sous le fascisme, aux femmes fut réservé en premier lieu le rôle de reproductrices. Le régime inaugura une politique démographique, faisant la propagande des familles nombreuses et interdisant les contraceptifs, les pratiques d’avortement ainsi que l’éducation sexuelle. Cela visait également à contrecarrer la tendance à la baisse des naissances déjà réelle dans le reste de l’Europe. Les mères les plus prolifiques obtenaient des reconnaissances officielles et des privilèges. Par exemple, lors de la « Journée de la femme et de l’enfance », les femmes n’étaient pas appelées par leur nom mais par leur nombre d’enfants. La femme était identifiée avec son utérus : un récipient d’où sortir des enfants à envoyer à la guerre ou à l’usine pour mourir de faim en bâtissant la patrie. La femme était ainsi rendue un individu « naturellement » subordonné à l’homme et voué à le servir, en qualité d’épouse et de mère. En 1927, dans son « Discours de l’ascension », Mussolini affirma au Parlement que les femmes devaient être confinées au rôle de tutrices de la démographie nationale : leur rôle était de procréer les fils de l’Etat, donc non leurs propres enfants mais ceux de la nation.

Le fascisme voulait promouvoir l’image de la femme comme « ange du foyer », dédiée exclusivement à la maison et à la famille. Mussolini s’efforça d’effacer littéralement toutes les autres figures féminines qui ne concordaient pas avec cet idéal. Le régime arriva jusqu’à interdire des journaux les images de femmes avec la célèbre « taille de guêpe », puisque les femmes devaient être accueillantes, prêtes et fertiles, et avec pour seul but une procréation nombreuse. Les femmes « trop émancipées », tout comme les homosexuels, les lesbiennes, les célibataires, les prostituées, étaient des ennemis des politiques démographiques du régime, et pour cela furent stigmatisés et marginalisés de manière de plus en plus violente.

Le paradoxe pour les femmes fut que d’un côté elles subissaient la répression de leurs libertés, alors que de l’autre côté elles étaient courtisées par l’Etat en tant que procréatrices. Le régime se vantait aussi d’avoir accompli une modernisation de la maternité. Ce prétendu processus de modernisation poussa le fascisme à créer en 1925 l’ONMI (« Œuvre Nationale pour la Maternité et l’Enfance »), à laquelle participèrent activement les associations catholiques, libérales et nationalistes. L’objectif officiel de l’ONMI était de combattre la mortalité infantile. Mais le seul résultat qu’il obtint fut de contribuer à rabaisser le rôle de la femme à simple porteuse de progéniture au service de la nation et à en faire oublier l’identité en tant que citoyenne. L’ONMI ne fut rien d’autre que l’institution à travers laquelle le fascisme contrôlait le corps des femmes.

Quant au monde du travail, le régime se mobilisa pour limiter l’accès des femmes à certaines professions. En 1919-1922, les syndicats fascistes se trouvèrent confrontés à un monde du travail où les femmes étaient rentrées en masse pour remplacer les hommes, alors que ceux-ci revenaient du front et se retrouvaient le plus souvent au chômage. Les syndicats fascistes tranchèrent ce dilemme en se plaçant clairement du côté de la force de travail masculine, prêchant une priorité de l’accès au travail pour les hommes et insinuant un conflit de genres au sein de la classe ouvrière. De ce fait, le fascisme échoua sa percée chez les femmes ouvrières, déterminées à conserver les positions économiques acquises au cours de la guerre. Mussolini s’attaqua alors de plus en plus violemment au travail féminin : tous les prétextes étaient bons pour renvoyer les femmes dans leurs foyers. Par exemple, la réforme de l’école de 1923 produisit une véritable « déféminisation » du corps enseignant : fut interdit aux femmes l’enseignement de nombre de disciplines, et ensuite leur fut interdit l’accès aux concours publics pour l’enseignement des lettres, du latin, du grec, de l’histoire et de la philosophie, ou encore leur fut interdit l’accès aux concours publics pour l’enseignement de l’italien dans les instituts techniques. Ensuite, un Décret-Loi de 1938 imposa une réduction au seuil de 5 % maximum du personnel féminin employé dans l’administration publique. Pour ce qui est du travail industriel, à la fin des années 1920 des secteurs entiers étaient désormais réservés aux seuls hommes, grâce à la discrimination sexuelle opérée par les syndicats fascistes – et en accord avec le patronat – lors des négociations des conditions de travail, des embauches, des contrats. L’unique corporation qui demeura exclusivement féminine fut celle des sages-femmes. Dans les quelques secteurs qui restent mixtes, toutes les propositions d’introduire une instance représentative des travailleuses se heurtèrent au refus et du syndicat fasciste et du régime, du fait que de telles instances auraient été moins contrôlables. Il n’est alors pas étonnant de constater que très peu de travailleuses s’impliquèrent dans les organisations fascistes (syndicat, parti), et qu’encore moins accédèrent à la hiérarchie du régime. Parmi les seules exceptions remarquables, Maria Albertina Loschi et Ester Lombardo essayèrent de lancer une campagne interne au PNF (Parti National Fasciste) pour la constitution d’un « Secrétariat national pour les Intérêts féminins ». Projet qui, bien évidemment, échoua. Vu que les opportunités d’emploi pour les femmes se réduisaient dramatiquement, jusqu’à l’éclatement du deuxième conflit mondial, les femmes ne recevaient pas non plus d’incitations à poursuivre les études. De ce fait, l’analphabétisme progressa à nouveau chez les femmes du prolétariat.

Si les années 1920 furent marquées par le durcissement du régime et la raréfaction des réactions ouvrières, dans les années 1930 les travailleuses commencèrent des actions de contestation. Des grèves furent menées notamment par les sarcleuses et les ouvrières du textile en Italie du Nord, revendiquant des meilleures conditions salariales. La réponse du régime fut, une fois de plus, la canalisation des révoltes dans des organismes strictement contrôlés. En 1934 furent ainsi créées des « sections d’ouvrières » au sein des Fasci femminili, pour noyer les intérêts spécifiques des travailleuses au sein de cette association interclasses. En 1937 furent admises dans ces Fasci des « sections de travailleuses à domicile » également. Le fascisme finit par reconnaître les organisations spécifiques des travailleuses comme un moyen pour mieux les inclure dans les cadres strictes du régime.

L’assujettissement des femmes était tellement invétéré à l’idéologie fasciste que se battre pour l’émancipation féminine était considéré comme un geste subversif vis-à-vis de l’ordre établi. Dès 1926, avec les lois « fascistissimes » et la suppression de tous les partis politiques, le fascisme musela la presse et l’activisme féministe des jeunes militantes du Parti Communiste Italien. Le régime reconnut seulement deux mouvements « féministes », celui catholique et celui fasciste. Tous les deux étaient en effet inoffensifs : ils apprenaient à leurs adhérentes à répondre au modèle de mère et épouse exemplaire, dédiée à élever les enfants pour le bien de la patrie, de l’Etat, de la famille, de l’homme.

Aujourd’hui la mythologie néofasciste veut faire croire que ce fut Mussolini à « donner le droit de vote aux femmes ». La réalité est bien différente. Le débat sur le suffrage féminin rejoignit l’élite de la classe dirigeante italienne en 1893, avec des premières mesures de concession de droit de vote aux femmes exclusivement dans le cadre de leur lieu de travail. Les femmes furent ensuite admises à la participation électorale dans les Chambres de Commerce (1910) et dans les organismes d’éducation primaire et populaire. Sous le fascisme, une loi de novembre 1925 rendit les femmes électrices (mais bien évidemment non-éligibles) au niveau des administrations locales. Sauf que cette loi fut un simple outil de propagande pour attirer l’opinion féminine vers le fascisme (tout comme l’avait été en 1923 la présence de Mussolini au 9ème congrès de la Fédération Internationale pour le Suffrage féminin). En effet, le régime était déjà en train de préparer une loi (« réforme podestarile » du 4 février 1926) qui supprimait toute administration locale élue, en remplaçant le maire élu par le peuple avec un podestat nommé par le gouvernement et un Conseil municipal nommé par le podestat. Les femmes italiennes sous le fascisme eurent un droit de vote – exclusivement actif et exclusivement pour les élections locales – pendant seulement trois mois ! Le suffrage universel féminin et l’éligibilité des femmes rentrèrent en vigueur seulement en 1945. Les italiennes purent voter pour la première fois seulement après la chute du fascisme, le 2 juin 1946 lors du référendum institutionnel (posant le choix entre une Italie républicaine ou monarchique) et de l’élection de l’Assemblée constituante.

La Résistance italienne fut traversée par un engagement majeur des femmes, à la fois dans les actions armées dans les groupes partisans et dans les actions de logistique de guérilla (phénomènes des staffette et des vivandiere). Mais après la fin de la guerre, la bourgeoisie catholique au pouvoir préféra promouvoir à nouveau le modèle de famille traditionnelle, où l’homme avait un travail alors que la femme s’occupait de la maison, de la cuisine et des enfants. L’éducation catholique qui fut imposée dans la nouvelle Italie républicaine apprenait aux femmes que leur seul but dans la vie était de trouver un mari qui les protégeait. Ce fut seulement grâce à des luttes acharnées que les femmes italiennes obtinrent le droit au divorce (1970) et à l’avortement (1978), parmi d’autres droits.

Les résultats de la politique sexiste tant du fascisme que de la bourgeoisie catholique sont percevables encore aujourd’hui : face à une forte émancipation féminine, la femme est encore considérée comme une « propriété » de l’homme, et nombre d’organisations conseillent encore aux femmes de trouver exclusivement dans la vie domestique leur dimension naturelle. Les discriminations quotidiennes vis-à-vis des femmes dans le monde du travail sont encore présentes aujourd’hui : d’une moindre possibilité de carrière par rapport à leurs collègues masculins aux fortes inégalités salariales entre femmes et hommes (en Europe les femmes gagnent en moyenne 16 % de moins que les hommes), sans compter les discriminations racistes qui touchent encore plus les femmes racisées. Il n’y a rien d’étonnant que cette exploitation capitaliste des femmes fournit une légitimité renouvelée aux courants néofascistes. Ceux-ci renforcent le refus de l’émancipation et de l’autodétermination des femmes (notamment quant à l’avortement), ainsi que le refus de la différenciation de genre, en acceptant seulement le binôme homme/femme avec ses déclinaisons de LGBT-phobie et la contrainte des genres « naturels » et culturellement imposés. Le thème des violences faites aux femmes est instrumentalisé au service d’une propagande sur la « sécurité » qui n’est rien d’autre que la banalisation du racisme et de la xénophobie.

Pour conclure, le sexisme ne vient pas exclusivement du fascisme, mais le fascisme est toujours sexiste. C’est pour cela que le féminisme ne peut qu’être antifasciste !

 

BAF – Brigade Antifasciste de Strasbourg

 

Pour aller plus loin, voir aussi : Victoria DE GRAZIA, Fascisme et féminisme latin. Italie, 1922-1945 http://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1991_num_5_1_1079

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