Histoire de l'Internationale des Jeunes Communistes

Publié le 20 Novembre 2019

Histoire de l'Internationale des Jeunes Communistes

Le 20 novembre 2019 nous célébrons le centenaire de la fondation de l’Internationale des Jeunes Communistes (IJC). A l’heure où partout dans le monde les organisations de jeunesse communiste se reconstituent en rupture avec les éléments opportunistes et se renforcent autour du combat de classe contre classe, il est indispensable de revenir sur l’expérience révolutionnaire de l’IJC pour tirer de notre passé les leçons pour les combats d’avenir.
 

I/ De la Deuxième à la Troisième Internationale

Une Union Internationale des Organisations de Jeunesse Socialiste (UIOJS) avait été fondée en 1907 en parallèle du congrès de Stuttgart de la Deuxième Internationale. Formellement indépendante de celle-ci, l’UIOJS était basée à Vienne et dirigée par l’allemand Karl Liebknecht, le belge Hendrick De Man et l’autrichien Robert Danneberg. Elle rassemblait un groupe hétéroclite de fédérations nationales de Jeunes Gardes et Jeunesses Socialistes majoritairement européennes. Ses préoccupations se cantonnaient à l’antimilitarisme et à l’éducation politique de la jeunesse, pour contrer son endoctrinement nationaliste et son encadrement acritique au sein des structures de la politique impérialiste. Cette orientation était déterminée par la considération centrale de Liebknecht selon laquelle « celui qui tient la jeunesse tient l’armée ». Les directions réformistes des partis affiliés à l’Internationale, et en premier lieu celle du Parti social-démocrate allemand (SPD), concevaient les organisations de jeunesse plus comme des associations culturelles que des endroits pour entraîner à la lutte politique. Ces directions avaient ainsi toujours montré leur hostilité à l’égard d’une UIOJS perméable aux positions radicales de l’aile gauche de l’Internationale, telle que regroupée déjà au congrès de Stuttgart autour de la motion Lénine-Luxemburg-Martov sur les devoirs du prolétariat en cas de guerre. Lénine menait justement depuis plusieurs années le combat idéologique pour que les partis s’ouvrent aux masses de la jeunesse et pour faire des jeunes soldats des socialistes conscients, plus susceptibles de se désolidariser de l’appareil militaire le moment venu. Le programme du parti bolchevik adopté en 1903, au congrès de la scission avec la fraction menchevique, envisageait en ce sens un programme minimum et des formes de lutte particulières pour les jeunes et les étudiants désireux de rejoindre la lutte prolétarienne. Encore, pendant la Révolution russe de 1905, Lénine affirmait que la jeunesse ouvrière et étudiante, montrant par sa participation massive au mouvement révolutionnaire sa soif de justice sociale, aurait déterminé le sort de la lutte toute entière et qu’en ce sens sa fraternisation avec les vétérans était indispensable : plaider l’inexpérience de la jeunesse ou ses pratiques parfois aventuristes pour écarter sa volonté révolutionnaire de la lutte politique était donc précisément une politique opportuniste vouée à faire les intérêts exclusifs des directions social-démocrates normalisatrices, tandis que la lutte elle-même était la meilleure école pour former une nouvelle génération de révolutionnaires.

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La Première Guerre mondiale détermine le collapse de la plupart des structures liées à la Deuxième Internationale : celle-ci est gangrénée par l’adhésion aux Union sacrées de la majorité de ses partis affiliés, sacrifiant l’internationalisme prolétarien sur l’autel de la collaboration de la guerre. Néanmoins, tout comme de l’Internationale Socialiste des Femmes (ISF) dirigée par Clara Zetkin, des nombreux éléments de l’UIOJS refusent la rupture des relations internationales déterminée par le ralliement de De Man à l’Union sacrée et par l’incapacité organisationnelle de Danneberg. Sous l’impulsion des bolcheviks russes, des spartakistes allemands et des socialistes suisses demeurant pacifistes, l’ISF les 26-28 mars et l’UIOJS les 4-6 avril 1915 tiennent des conférences à Berne où réaffirment leur attachement au socialisme révolutionnaire et définissent les tâches immédiates de lutte contre la guerre européenne et contre le chauvinisme. Ce sont d’ailleurs les deux premières conférences qui, depuis le début des hostilités, parviennent à réunir dans un même endroit des socialistes de l’Entente, des puissances centrales et des pays neutres, prouvant déjà par ce fait la primauté de l’internationalisme prolétarien sur tout calcul opportuniste pivoté sur les alliances militaires. Cependant, résultent encore minoritaires les positions nettement révolutionnaires présentées au nom du Comité central du parti bolchevik par Inessa Armand aux deux conférences, prônant l’association à la lutte contre la guerre d’une lutte sans compromission avec les directions social-démocrates complices, pouvant aller jusqu’à la rupture organisationnelle complète. La réunion de l’UIOJS est animée par le spartakiste Willi Münzenberg. Elle réunit 14 délégués représentant 10 pays (Allemagne, Russie, Pologne, Pays-Bas, Bulgarie, Italie, Danemark, Norvège, Suède, Suisse) et reçoit le soutien des jeunes socialistes canadiens, grecs, roumains, espagnols et étatsuniens. Elle appelle à la recréation du mouvement des jeunes socialistes indépendamment des partis social-chauvins et lance une Journée internationale de la jeunesse à tenir annuellement autour de slogans antimilitariste. La conférence procède à la mise place d’un Bureau International de la Jeunesse Socialiste basé à Zurich, ainsi qu’au lancement de la revue Die Jugend Internationale (La Jeune Internationale), tirée à 50.000 exemplaires. Lénine, Liebknecht, Kollontai et Zinoviev collaborent immédiatement avec la revue pour dénoncer inlassablement le socialisme de guerre compromis à jamais, pour souligner le rôle central de la jeunesse dans le combat internationaliste et antirévisionniste, pour faire tomber les illusions autour des slogans de désarmement et arbitrage et les remplacer par celui de l’armement du prolétariat. Clara Zetkin et Franz Mehring garantissent l’impression et la circulation clandestine du journal de la Suisse à l’Allemagne puis vers le reste de l’Europe. Après la conférence de Berne, des milliers d’exemplaires de brochures contenant les résolutions adoptées sont distribuées clandestinement par les jeunes socialistes au front comme à l’arrière, dans un travail d’agitation incitant les soldats et les travailleurs eux-mêmes à mettre fin à la guerre voulue par le Capital. Münzenberg, qu’à l’époque réside en Suisse, est élu à la tête de cette UIOJS reconstituée et rentre rapidement en lien étroit avec Lénine : à partir de septembre 1915, le jeune allemand accompagne le ralliement naturel des militants de l’UIOJS avec le mouvement de Zimmerwald. La gauche zimmerwaldienne dénonce inlassablement les positions de compromis portées par les éléments centristes du mouvement, regroupés autour du renégat Karl Kautsky et se contentant d’exiger une paix blanche sans annexions ni indemnités. Face à la faiblesse théorique des centristes, c’est la ligne léniniste qui devient hégémonique parmi les zimmerwaldiens dans la période charnière de la conférence de Kienthal d’avril 1916 à celle de Stockholm de septembre 1917. La ligne léniniste exige la transformation de la guerre européenne en guerre civile révolutionnaire, et prône la rupture complète avec les social-impérialistes de la Deuxième Internationale via la création d’une Troisième Internationale. Malgré l’unanimité antimilitariste, l’UIOJS reconstituée connaît les mêmes divergences internes sur la manière de mettre fin à la guerre mondiale. La fraction centriste, encore dominante à Berne, se contente d’envisager la mise en place de procédures d’arbitrage international obligatoire, s’aplatissant ainsi sur les mêmes principes que le pacifisme utopiste des bourgeois humanistes. Au contraire, l’aile gauche en appelle à une action révolutionnaire internationale pour mettre à bas tant la guerre que le système capitaliste l’ayant générée. Cette aile gauche se rapprochant naturellement des bolcheviks, ceux-ci redoublent en cette période leurs efforts pour peaufiner l’appareil illégal des organisations de jeunesse européennes afin de perdurer leur campagne antimilitariste malgré les lois d’exceptions et l’état de siège. La sincérité et l’efficacité des militants bolcheviks font tomber les dernières réserves à leur égard, et la Grande Révolution Socialiste d’Octobre 1917 est accueillie avec enthousiasme parmi les rangs de l’UIOJS reconstituée.

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A l’heure où la Révolution d’Octobre sonne le glas de l’ordre bourgeois, toutes les organisations de jeunesse socialistes d’Europe – à l’exception des Français, des Allemands et des Néerlandais – ont désormais adhéré à l’UIOJS reconstituée. Lorsque l’Internationale Communiste (Comintern) est enfin créée en mars 1919 à Moscou, elle lance un appel aux jeunes travailleurs de tous les pays pour qu’ils adhèrent au processus de scission par la création d’une Internationale de la Jeunesse Communiste. Les organisations de jeunesse socialiste se pressent de rejoindre la démarche. Une conférence préliminaire de l’UIOJS se tient à Vienne le 26 août 1919 en présence de 16 délégués de 6 pays (Autriche, Allemagne, Hongrie, Italie, Pologne et Russie) : elle décide le remplacement de l’ancien Bureau de Zurich par un Comité provisoire chargé d’organiser le premier congrès d’après-guerre de l’UIOJS. Ce congrès est initialement prévu pour le 5 novembre 1919 à Weimar, mais les craintes de répression policière convainquent de décider de son déplacement. Le congrès s’ouvre finalement le 20 novembre 1919 à Berlin, et se tient clandestinement dans une brasserie du quartier de Neukölln du fait que l’interdiction du Parti communiste allemand (KPD) était encore en vigueur et appliquée méticuleusement par le gouvernement social-chauvin d’Ebert et Scheidemann. Le congrès parvient à rassembler néanmoins 19 délégués représentant 13 pays (Russie, Allemagne, Italie, Suède, Norvège, Danemark, Suisse, Autriche, Pologne, Hongrie, Roumanie, Espagne, Tchécoslovaquie). Approuvant la politique de rupture avec l’opportunisme décrétée par la fondation du Comintern, le congrès de Berlin décide de renommer l’UIOJS en tant qu’« Internationale des Jeunes Communistes ». Celle-ci va avoir son siège dans la capitale allemande et va être dirigée par un Comité exécutif de cinq membres, constitué des allemands Leo Flieg et Willi Münzenberg (celui-ci nommé comme Secrétaire international), l’italien Luigi Polano, le suédois Oskar Samuelson et le russe Lazar Sackin. Deux organes de presse sont lancés : Youth International et International Youth Correspondence. Le congrès adopte enfin le premier programme politique de l’IJC, calqué sur celui du Comintern mais encore très orienté sur une conception avant-gardiste fin à elle-même et très peu soucieuse du travail de masse.

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Malgré ses quelques tâtonnements, le congrès de Berlin se révèle d’une importance inestimable pour consacrer le ralliement de la jeunesse prolétarienne sous la bannière internationaliste. Le congrès marque un bond en avant extraordinaire dans la prise de conscience du mouvement révolutionnaire de la jeunesse, le dotant des structures nécessaires à sa pérennisation. L’écho du congrès de Berlin est énorme parmi les jeunesses prolétariennes du reste du monde, et provoque un effet domino de rupture avec les directions révisionnistes et de création de nouvelles sections de jeunesses communistes en quête d’affiliation avec l’IJC. C’est le cas dans les Pays Baltes, en Yougoslavie, Bulgarie, Grèce, Chine, Grande-Bretagne, Luxembourg, Corée, Ouzbékistan, Islande, Slovaquie, Turkestan, Turquie, Galicie orientale, jusqu’aux colonies d’Afrique et du Moyen-Orient. Le congrès des organisations étudiantes socialistes et communistes tenu à Genève en décembre 1919 déclare adhérer à l’IJC et à la plateforme du Comintern. En 1921, à son apogée, l’IJC peut compter ainsi sur un effectif de 800.000 membres.

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Les succès rapides remportés par l’IJC s’expliquent également du fait de la centralité de l’enjeu de la jeunesse à l’aube du mouvement communiste international. La guerre mondiale est l’un des premiers moments où les jeunes participent massivement aux actions révolutionnaires de la classe ouvrière. Ce sont les jeunes qui, dans les tranchées comme à l’arrière, assurent la relève révolutionnaire en dénonçant la trahison des directions social-démocrates. Le 3 octobre 1915 dans les pays neutres (Suède, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Roumanie, Portugal, Etats-Unis), est célébrée pour la première fois la Journée Internationale de la Jeunesse décidée à la conférence de Berne : 120.000 jeunes se réunissent à cette occasion autour du slogan « A bas la guerre impérialiste ! ». En Italie, la manifestation du 1er mai 1916 organisée par les jeunes socialistes, au milieu des brutalités policières scande le slogan « A bas la guerre ! Longue vie à la révolution socialiste ! ». Plusieurs dirigeants bolcheviks, exilés depuis longue date dans les pays occidentaux, prennent une part active dans l’organisation des mouvements de protestation de la jeunesse, influençant leur orientation sur des bases nettement révolutionnaires et déterminant leur rupture avec le centrisme : c’est le cas de Gueorgui Tchitcherine en France, Alexandra Kollontai en Suède, Norvège et Danemark, Inessa Armand en Suisse et en France, Nadezhda Kroupskaia en Suisse. Les discours passionnés et les actes héroïques de Liebknecht inspirent toute une génération : du refus de voter les crédits de guerre au Reichstag le 2 décembre 1915 au prix de rompre avec la discipline historique du SPD, jusqu’à son cri d’« A bas la guerre ! A bas le gouvernement » à la manifestation du 1er mai 1916 à Berlin lui ayant coûté l’emprisonnement, du rôle joué dans la fondation du KPD et dans l’insurrection spartakiste jusqu’à son assassinat le 15 janvier 1919, Liebknecht incarne la détermination révolutionnaire de toute une génération qui ne veut plus être de la chair à canon. Ce sont ainsi majoritairement des jeunes qui vont former d’abord l’essentiel des troupes socialistes dissidentes pendant la guerre, à l’image du Comité pour la Reprise des Relations Internationales (CRRI) en France, du Gruppe Internationale et du Spartakusbund en Allemagne, du groupe De Internationale aux Pays-Bas. Ce sont ces mêmes jeunes qui vont impulser ensuite la constitution des premiers partis communistes au moment de la plus grande vague révolutionnaire que l’Europe ait connu, entre 1918 et 1923. Cet engagement inédit de la jeunesse est tel que dans certains pays ce sont les jeunes socialistes eux-mêmes qui se transforment en parti communiste en adhérant au Comintern, comme en Espagne, en Suède et en Belgique. A d’autres endroits, ce sont d’abord des jeunesses communistes qui se créent avant-même le parti communiste tout en appellent à sa constitution, dépassant la tactique attentiste de dirigeants auparavant compromis avec la collaboration de guerre : c’est le cas notamment des Jeunesses Communistes en France, qui se constituent le 1er novembre 1920 au congrès de la Bellevilloise après avoir adopté à l’écrasante majorité de 75 % une motion d’adhésion à l’IJC et de séparation avec les éléments sociaux-démocrates, deux mois avant le congrès de Tours.

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II/ La centralité du débat organisationnel et les évolutions de l’IJC

Après le congrès de Berlin, l’IJC entreprend une démarche organisationnelle par macro-régions afin de familiariser ses sections avec les décisions du congrès : les sections scandinaves se réunissent à Stockholm à la mi-décembre 1919 ; celles de l’Europe du Sud-Est se rencontrent en conférence à Vienne les 16-17 mai 1920, le 15 décembre 1920 et le 26 février 1921 ; celles de l’Europe occidentale à Milan le 20 mai 1920, puis à Luxembourg les 28-29 novembre 1920. Le Comité exécutif tient sa première session à Berlin les 19-23 juin 1920 : procédant à une synthèse des entrevues régionales, il en ressort que la question qui fait obstacle au développement de l’IJC est la clarification de ses liens avec les partis communistes et le Comintern. De ce fait, c’est ce débat stratégique qui occupe les premières années de l’IJC. Les divergences avaient vu le jour déjà au congrès de Berlin. Le délégué russe Lazar Sackin y avait prôné la synchronisation et la subordination hiérarchique des organisations de jeunesse aux partis. Au contraire, les délégués d’Europe occidentale concevaient les organisations de jeunesse comme des mouvements indépendants ayant tout au mieux des liens fraternels privilégiés avec les partis, sur le modèle de la Deuxième Internationale. A Berlin, le compromis trouvé est fragile : l’IJC est financièrement indépendante mais elle est aussi définie comme une « partie » du Comintern ; ses sections nationales doivent adhérer à la plateforme du Comintern ou bien à celle du parti membre de Comintern dans leur pays. Par la suite l’IJC reste divisée entre les partisans de la ligne indépendante - menés par Münzenberg et les camarades allemands - et les partisans d’un lien étroit avec le Comintern - menés par les bolcheviks -.

La conférence internationale tenue par l’IJC à Moscou en juillet-août 1920 parallèlement au 2e congrès du Comintern, tout comme le voyage d’une délégation du Comité exécutif de l’IJC auprès du Comité exécutif du Comintern en février 1921, ne parviennent pas à envisager une solution durable à ces divergences. Les divisions atteignent leur apogée lors de la préparation du 2e congrès de l’IJC en 1921. Les défenseurs de la centralisation, soutenus par Zinoviev, proposent que le congrès se tienne durant l’été à Moscou en parallèle du 3e congrès du Comintern. Toutefois, les partisans de la ligne indépendante résultent majoritaires au Comité exécutif de l’IJC et décident de rentrer aveuglement dans un bras de fer avec le Comintern. Ils choisissent d’organiser le congrès à Iéna pour le 7 avril 1921. Les sections russe, lettone, lithuanienne et bulgare annoncent dès lors leur refus de participer à ce congrès, aussi du fait qu’il aurait dû se tenir en clandestinité à cause de son statut illégal aux yeux des autorités allemandes. Ces craintes se révèlent prophétiques, et en effet quatre jours après son ouverture, le 10 avril, le lieu du Congrès doit déjà être transféré d’urgence à Berlin pour des raisons de sécurité. Les plaintes du Comité exécutif du Comintern à l’égard de l’amateurisme des dirigeants de l’IJC sont notifiées le lendemain aux quelques 100 délégués participant, et mènent finalement à un ajournement.

Cette interruption est de courte durée : ce qui est passé à l’histoire comme le « réel 2e congrès » de l’IJC se tient finalement à Moscou les 9-24 juin 1921, en parallèle du 3e congrès du Comintern auquel sont invités à assister les 120 jeunes délégués représentant 36 sections nationales et 15 jeunes délégués représentant 6 sections en cours d’affiliation. Lénine considérant que « la jeunesse communiste doit être le mouvement de jeunesse du parti communiste et pas le parti communiste de la jeunesse », il intervient en personne au congrès pour apaiser les différends : la défaite de la ligne indépendante se passe finalement sans rupture dramatique, et Münzenberg vaincu cède sa place de Secrétaire international au camarade serbe Vojislav Vujović. La subordination hiérarchique des mouvements de jeunesse aux partis (programme, tactique et directives politiques) est actée comme une nécessité du centralisme démocratique, seul outil permettant de mener sérieusement et efficacement la lutte contre l’ordre bourgeois. En cas de dissension entre une jeunesse et un parti, les Comités exécutifs du Comintern et de l’IJC font fonction d’instances d’appel et de médiation. Le siège de l’IJC est transféré à Moscou et le principe de synchronisation des congrès de celle-ci avec ceux du Comintern est adopté. Les sections nationales sont invitées à adopter la dénomination commune de « Ligue de la Jeunesse Communiste » suivie de leur dénomination nationale. L’IJC adopte une ligne d’avant-garde avec une pratique de masse : elle se veut une force motrice pour provoquer et diriger les luttes économiques ; elle se fixe l’objectif de combattre l’idéologie social-démocrate et le centrisme, et d’assurer à l’inverse le rajeunissement des futurs cadres des partis communistes.

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Pour couronner ce processus de clarification, le 3e congrès du Comintern adopte le 12 juin 1921 une importante résolution au sujet de l’IJC, où il trace les bases d’un lien organique solide entre les partis et les jeunesses. Il y affirme d’ailleurs : « Dans leur combat contre la guerre, les meilleurs groupes révolutionnaires des ouvriers adultes soutinrent les jeunesses socialistes qui devinrent par là un point de rassemblement des forces révolutionnaires. Elles prirent ainsi sur elles les fonctions des partis révolutionnaires qui faisaient défaut. Elles devinrent l'avant-garde dans le combat révolutionnaire et prirent la forme d'organisations politiques indépendantes. Avec l'apparition de l'Internationale Communiste et de partis communistes dans différents pays, le rôle des jeunesses révolutionnaires dans tout le mouvement du prolétariat se modifie. De par sa situation économique et grâce à des traits psychologiques particuliers, la jeunesse ouvrière est plus facilement accessible aux idées communistes et fait preuve, lors des combats révolutionnaires, d'un enthousiasme révolutionnaire plus grand que ses aînés les ouvriers. Toutefois ce sont les partis communistes qui prennent sur eux le rôle d'avant-garde qu'avaient joué les jeunes, en ce qui concerne l'action politique indépendante et la direction politique. Si les organisations de la jeunesse communiste continuaient à exister en qualité d'organisations indépendantes au point de vue politique et en jouant un rôle dirigeant, l'on verrait l'existence de deux partis communistes concurrents qui ne se distingueraient entre eux que par l'âge de leurs membres. […]L'abandon de leur indépendance politique ne signifie aucunement l'abnégation de leur indépendance organique, qu'il faut conserver pour des raisons d'éducation. ».

Un nouveau perfectionnement structurel est adopté au 3e congrès de l’IJC les 4-16 décembre 1922 à Moscou, réunissant 121 délégués représentant 138 sections nationales. Sur la base d’une nouvelle résolution adoptée le 21 novembre 1922 par le 4e congrès du Comintern, les délégués de la jeunesse reconnaissent que le plus grand obstacle à la massification de leurs organisations a été l’implantation sur une base territoriale. Ils procèdent ainsi à son remplacement par une organisation de cellules : celles-ci sont basées dans les usines, les écoles et les syndicats. Des groupes d’enfants communistes reliés hiérarchiquement à l’IJC sont également envisagés. Le délégués réaffirment la centralité de l’action politique des jeunesses communistes face aux courants plus modérés voulant faire surtout de l’associatif, du festif et du culturel. Le congrès se penche également sur les traits spécifiques de l’exploitation de la jeunesse ouvrière et de la manière dont la bourgeoisie s’en sert pour exercer une pression nocive envers la classe ouvrière adulte, pour abaisser les salaires, briser les grèves et augmenter le chômage. En ce sens, l’IJC réaffirme son combat contre la traîtrise des bureaucraties syndicales réformistes, prêtes à sacrifier la jeunesse ouvrière par exemple en lui refusant l’entrée dans les syndicats. Le congrès se penche enfin sur les effets de la militarisation croissante de la société sur les jeunes, et l’IJC se fixe plusieurs objectifs : combattre l’oppression des jeunes pendant le séjour en caserne ; contrer leur endoctrinement nationaliste pour qu’ils ne deviennent pas de la simple chair à canon pour les futures guerres impérialistes ; se doter des moyens pour perdurer l’organisation face aux interdictions des jeunesses communistes décrétées par les gouvernements les plus réactionnaires ; parvenir à acquérir une discipline de fer et un degré de collaboration d’autant plus intense entre jeunes et parti là où les communistes doivent rentrer dans l’illégalité.

Le 4e congrès de l’IJC, tenu à Moscou les 15-24 juillet 1924 et réunissant 108 délégués et 36 observateurs de 60 pays, aborde la question de l’implantation dans les mouvements sportifs de la jeunesse ouvrière (rapport Schüller) ainsi que la constitution de cellules de magasins (rapport Gyptner). En mars 1926, le Comité exécutif de l’IJC entame la constitution de groupes de travail de défense juridique pour les membres des appareils illégaux des jeunesses communistes. La clarification organisationnelle permet le déploiement de tout le potentiel de propagande de l’IJC, se fixant pour objectif d’œuvrer à la consolidation de l’internationalisme prolétarien parmi la jeunesse ouvrière, au renforcement de l’opposition à l’impérialisme et à la guerre, à la coordination des luttes contre l’exploitation et la misère de la jeunesse. Rapidement, l’IJC entame un travail approfondi également autour de la lutte contre le fascisme et les nouvelles menaces de guerre qui pèsent sur l’Europe depuis notamment l’invasion française de la Ruhr. A partir de 1926, l’IJC est en première ligne dans la lutte impitoyable contre les éléments contre-révolutionnaires inspirés du trotskisme. En novembre 1927 cet engagement en défense de l’URSS est devenu désormais central et débouche sur l’organisation d’un Congrès de Jeunes amis de l’Union Soviétique, réunissant à Moscou 80 délégués de 20 pays.

Tout comme le 5e congrès ordinaire (Moscou, 20 aout-18 septembre 1928), le 6e congrès de l’IJC (Moscou 25 septembre-10 octobre 1935), inspiré désormais des thèses de Dimitrov, réaffirme l’objectif de démasquer la réalité réactionnaire du fascisme pour en contrer la fascination exercée sur la jeunesse ouvrière. Le français Raymond Guyot est élu à cette occasion au poste de Secrétaire International de l’ICJ et le restera jusqu’en 1943. Dans les années 30, l’IJC s’ouvre également aux jeunesses paysannes et étudiantes et, dans le cadre de sa politique d’éducation populaire, s’engage dans le domaine sportif favorisant la création et l’accès du prolétariat à des ligues sportives alternatives aux clubs bourgeois.

L’IJC est dissoute en même temps que le Comintern en mai 1943, dans le contexte de la politique d’apaisement des relations entre l’URSS et les Alliés pour écraser le nazi-fascisme en Europe. Au lendemain de la grande victoire antifasciste, les organisations de jeunesse des pays vainqueurs tiennent le 10 novembre 1945 une conférence à Londres qui mène à la constitution de la Fédération Mondiale de la Jeunesse Démocratique (FMJD). Rassemblant plus largement que les seules jeunesses communistes, et rompant après le début de la Guerre Froide avec les organisations de jeunesse social-démocrates, libérales ou chrétiennes, la FMJD se donne comme priorité de lutter contre l’impérialisme à l’échelle globale. Malgré les contradictions d’une Internationale réunissant à la fois des organisations nettement communistes et d’autres plus vaguement progressistes, et malgré la perte de financement non négligeable qui a suivi la contre-révolution en URSS après 1991, la FMJD a pris de facto le relais de l’IJC et a su mener des campagnes d’ampleur pour renforcer la solidarité internationale, comme par exemple celles pour la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud et pour les droits du peuple Palestinien ou, plus récemment, en solidarité avec Cuba et le Venezuela victimes d’agressions impérialistes.

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III/ Les leçons pour les luttes actuelles de la jeunesse communiste

L’Internationale de la Jeunesse Communiste a constitué l’espoir et l’outil pour des centaines de milliers de jeunes de pouvoir lutter sans compromission contre le capitalisme et de contribuer à son renversement par l’établissement du socialisme-communisme. Elle a été à l’avant-garde de la lutte contre l’exploitation et la misère de la jeunesse, ainsi que contre le fascisme et la guerre, produits naturels du capitalisme à son stade impérialiste. Elle a été un moyen puissant pour poser les bases des mouvements révolutionnaires des masses de jeunes et d’étudiants qui vont bouleverser la scène politique mondiale après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Elle a été une arène d’entraînement à la lutte politique pour les jeunes générations, un instrument d’éducation populaire et d’émancipation intellectuelle pour la jeunesse prolétarienne, une courroie de transmission entre les luttes de la jeunesse et celles de la classe ouvrière, une école de formation pour les dirigeants des partis communistes.

Les conditions de la fondation de l’IJC en 1919 entretiennent un lien étroit avec la situation présente. Face au carcan des thèses révisionnistes, des pratiques réformistes et normalisatrices qui sont rentrées en vigueurs chez des soi-disant communistes en France comme dans beaucoup de pays dans le monde, l’urgence d’une clarification des lignes s’impose pour tous les jeunes qui sont déterminés à entreprendre le combat révolutionnaire sans compromission, sur une ligne de classe contre classe. Dès que l’opportunisme gangrène l’organisation censée représenter le prolétariat, il n’y a plus d’appel à la discipline possible : la dissidence est légitime pour séparer le bon grain d l’ivraie, pour remettre l’organisation sur le terrain de la lutte de classe révolutionnaire ou bien pour en constituer une nouvelle, non compromise avec la bourgeoisie et son idéologie.

Le débat sur le lien entre les structures de la jeunesse et celles du parti communiste en appelle encore à la réflexion cent ans après. Conformément aux préconisations de Lénine, il est clair que cette question revêt une importance stratégique fondamentale : si l’indépendance des jeunes était nécessaire pour qu’ils parviennent à se constituer en avant-gardes révolutionnaires pendant le processus de clarification des lignes en 1907-1919, elle ne l’est plus une fois ce processus achevé et une fois que l’Internationale Communiste assume le rôle d’avant-garde pour l’ensemble du prolétariat. Le fait de vouloir maintenir à tout prix une jeunesse communiste indépendante dès lors qu’il existe un parti communiste digne de ce nom est sans aucun doute une politique opportuniste. Les partis soi-disant communistes qui appliquent une ligne d’indépendance intégrale de leur jeunesse retrouvent dans cet alourdissement bureaucratique d’énormes avantages objectifs pour cautionner leur pratique normalisatrice : ils considèrent l’organisation de jeunesse non pas comme un lieu d’entraînement à la lutte de classe, mais comme des endroits où il est possible d’opérer un premier filtrage entre des éléments enthousiastes et d’autres plus dociles, n’ouvrant qu’à ces derniers la porte pour devenir ensuite cadre dirigeants du parti. 

Les enseignements qui nous sont offerts par l’histoire de l’IJC sont nombreux, mais le plus important est aussi le plus évident : à l’heure où la lutte de classe s’intensifie partout dans le monde, les jeunes communistes ont tout à gagner d’une rupture complète avec le révisionnisme et l’opportunisme qui entendent freiner cette lutte ou la faire rentrer dans les cadres institutionnels. La solution à l’exploitation et à la misère de la jeunesse, comme de la classe ouvrière en général, reste une et une seule : l’organisation de la colère prolétarienne dans le parti communiste menant une lutte de classe contre classe jusqu’à l’établissement du socialisme-communisme !

Jeunes Communistes du Bas-Rhin

[Voir aussi notre déclaration pour les 100 ans de l'IJC : http://uecstrasbourg.over-blog.com/2021/02/il-y-a-100-ans-naissait-l-internationale-des-jeunes-communistes.html]

Publié dans #Mémoire, #International

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