Centenaire du Parti communiste suisse

Publié le 6 Mars 2021

Centenaire du Parti communiste suisse

Il y a 100 ans, le 6 mars 1921 naissait le Parti communiste suisse (PCS). Sa création était rendue possible par la fusion du groupe dit des « vieux communistes » (Altkommunisten ou Gruppe Forderung, fondé le 6 octobre 1918 autour de Jakob Herzog) avec l’aile révolutionnaire du Parti socialiste suisse (PSS). Cette dernière notamment adopte une position résolument pacifiste au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Elle s'efforce de maintenir les liens de solidarité internationale à l’heure de la banqueroute de la Deuxième Internationale et de la trahison des chefs sociaux-démocrates, qui avaient sacrifié l’internationalisme prolétarien sur l’autel des Unions sacrées et de la collaboration de classe pour la « défense nationale ». L’aile révolutionnaire du PSS fait alors en sorte d’organiser et d'héberger plusieurs rencontres internationales visant à reconstruire l’opposition de classe à la guerre. Rappelons en particulier la conférence socialiste italo-suisse de Lugano en septembre 1914 et les conférences de Zimmerwald en septembre 1915 et de Kienthal en avril 1916.
Au cours de ces dernières, les délégués suisses adhèrent majoritairement aux thèses de la « gauche zimmerwaldienne », sous l’égide des bolcheviks russes et des spartakistes allemands. Il s'agit dès lors de rompre définitivement avec le social-chauvinisme et l’opportunisme meurtrier des révisionnistes de la Deuxième Internationale, de se placer nettement sur le terrain de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, et de s’atteler à l’édification d’une Troisième Internationale ayant pour but d’organiser la révolution mondiale.
C’est encore l’aile révolutionnaire du socialisme suisse qui, pendant la Grande Guerre, contribue à l’organisation et accueille à Berne les conférences de l’Internationale des femmes socialistes (mars 1915) et de l’Internationale des jeunesses socialistes (avril 1915). Les délégués suisses y réaffirment leur attachement au socialisme révolutionnaire et participent à la définition des tâches immédiates dans la lutte contre la guerre européenne et contre le chauvinisme. Ce sont d’ailleurs les deux premières conférences qui, depuis le début des hostilités, parviennent à réunir dans un même endroit des socialistes de l’Entente, des puissances centrales et des pays neutres, prouvant déjà par ce fait la primauté de l’internationalisme prolétarien sur tout calcul opportuniste pivoté sur les alliances militaires. L’Internationale des jeunesses socialistes reconstituée installe son siège à Zurich, où réside son nouveau secrétaire général Willi Münzenberg, et c’est en Suisse que sa nouvelle revue Die Jugend Internationale (La Jeune Internationale) est imprimée et dispatchée dans le reste de l’Europe. Avant la Révolution de 1917, les leaders bolcheviks, à l’image de Lénine, Inessa Armand et Nadezhda Kroupskaia, trouvent majoritairement refuge en Suisse et demeurent en lien étroit avec l’aile révolutionnaire du PSS, contribuant de manière déterminante au renforcement de ses positions théoriques. A son congrès de 1917, le PSS réaffirme ainsi son opposition intégrale à la défense nationale et son rejet des budgets militaires.
La vague révolutionnaire mondiale enclenchée par la Grande Révolution Socialiste d’Octobre 1917 se propage en Suisse aussi. Le 17 novembre 1917 éclate « l'émeute de Zurich » : alors qu’une manifestation est organisée par les pacifistes et les Jeunesses socialistes pour fêter la victoire des bolcheviks en Russie, la police tire sur la foule et tue trois personnes. La bourgeoisie attribue l’entière responsabilité de l’émeute au PSS et à l'Union syndicale suisse : elle en profite pour imposer des restrictions et contrôler leurs activités, ainsi que pour justifier la mise en place du service civil obligatoire.
Un an plus tard, à l'approche du premier anniversaire de la Révolution d'Octobre, les partis bourgeois zurichois commencent à trembler de peur. Craignant une guerre civile qui mettrait en cause « l’existence du gouvernement et l’ordre constitutionnel et juridique », le général Ulrich Wille demande le déploiement préventif de brigades de cavalerie « non infestées par le bolchevisme ». Le Conseil fédéral hésite mais finalement, à l'incitation du gouvernement et du milieu financier zurichois, ordonne le 6 novembre 1918 l'occupation militaire de Zurich. Parallèlement, un comité d’action se constitue regroupant les forces politiques et syndicales du socialisme suisse : le Comité d’Olten (nommé Soviet d’Olten par ses opposants bourgeois). Animé par le centriste Robert Grimm, il prend ses distances de la direction du PSS, jugée trop passive alors que l’heure est à l’action révolutionnaire, et inclut plusieurs figures allant fonder le PCS trois ans plus tard.
Le Comité d'Olten répond aux provocations militaires des autorités zurichoises par une grève de 24 heures contre la « dictature des sabres ». Le Conseil fédéral refusant de faire marche arrière, le comité lance un appel à la grève générale qui dure du 12 au 14 novembre 1918. Le mot d'ordre est suivi par plus de 250.000 ouvriers, alors que la participation des cheminots est déterminante dans l'extension de la grève aux régions rurales. Le mouvement se déroule selon une discipline de fer, les syndicats prenant des mesures préventives comme la prohibition de l'alcool. Neuf revendications sont mises en avant par le Comité d’Olten : représentation proportionnelle ; droit de vote et d'éligibilité pour les femmes ; introduction du droit au travail pour tous ; introduction de la semaine de 48 heures dans toutes les entreprises publiques ou privées ; organisation d'une armée essentiellement populaire ; mesures visant à assurer le ravitaillement ; assurance vieillesse et survivants ; monopole de l'État pour les importations et les exportations ; paiement des dettes publiques par les possédants.
La bourgeoisie répond néanmoins par la violence, déployant 100.000 soldats à travers le pays et provoquant des affrontements avec les grévistes, tel à Granges où trois ouvriers sont tués. L’armée parvient à reprendre en main la situation dans les centres industriels au bout de trois jours, et le Comité d’Olten capitule le 15 novembre. Seuls les ébénistes et les métallurgistes maintiennent la grève jusqu’au 18 novembre. La répression judiciaire qui s’abat sur les grévistes est immense : plus de 3.500 personnes sont mises en accusation par la justice militaire dont un grand nombre de cheminots, 147 personnes sont condamnées.
La bourgeoisie n’est pas prête à oublier la grève de novembre 1918, la percevant comme « le jour où la Suisse a failli passer au bolchevisme ». Elle organise dès lors les forces de la réaction anticommuniste, finançant la création de milices paramilitaires et proto-fascistes, dont la Fédération patriotique suisse qui est créée en 1919. En parallèle, la bourgeoisie tente d’apaiser le PSS en achetant son aile modérée au prix de quelques concessions inspirées de la plateforme revendicative du Comité d’Olten : le système de représentation proportionnelle est adopté pour les élections de 1919 et la semaine de 48 heures est introduite la même année, tandis que des négociations commencent également à propos des assurances vieillesse et survivants aboutissant à une consultation populaire en 1925. Cette ouverture de la bourgeoisie à une politique de consensus social, définie « paix du travail », suffit à éloigner de l’objectif immédiat de révolution prolétarienne les éléments centristes du socialisme suisse, allant se noyer désormais dans l’illusion sociale-démocrate d’une amélioration progressive des conditions sociales au sein même du régime capitaliste.
Mais cette normalisation des relations entre socialistes et bourgeois est loin de faire l’unanimité. La rupture avec l’opportunisme est désormais à l’ordre du jour au sein du mouvement ouvrier suisse. Déjà en 1919, les Jeunesses socialistes suisses figurent parmi les premières à rejoindre l’Internationale des jeunes communistes, envoyant une délégation au congrès fondateur de celle-ci qui se tient clandestinement à Berlin- Neukölln le 20 novembre 1919. En parallèle, le PSS organise deux consultations internes à propos de l’éventualité d’adhérer à l’Internationale communiste (Comintern), fondée depuis mars 1919. Comme dans la plupart des partis socialistes européens, au sein du PSS aussi ce débat est le détonateur de violentes luttes de tendance.
La direction révisionniste s’efforce de maintenir un contrôle absolu sur le parti et manigance pour obtenir un refus d’adhésion au Comintern de la part de la majorité des adhérents, une première fois en 1919 et une seconde fois en 1920. Mais lors du congrès du 10 décembre 1920, face à l’énième blocage sur la question d’adhésion au Comintern, l’aile révolutionnaire quitte une fois pour toutes le PSS et tient un congrès séparé les 5-6 mars 1921 à Zurich, y invitant seulement le groupe des Altkommunisten. En présence de 145 délégués, le Parti communiste suisse est constitué à cette occasion : le congrès fondateur se prononçant pour la révolution violente et pour la dictature du prolétariat. Le PCS adhère immédiatement au Comintern et à ses 21 conditions d’admission. Au contraire, le PSS abandonne progressivement le principe de révolution violente et se prononce en faveur d’une voie légale pour satisfaire les intérêts immédiats la classe ouvrière : à son congrès de Lucerne en 1935, le PSS va sceller définitivement sa déliquescence en un parti bourgeois en adoptant un nouveau programme qui rejette formellement la notion de dictature du prolétariat en même temps qu’il reconnaît celle de défense nationale ; il se prononce également pour une transformation lente et progressive au niveau des rapports économiques et sociaux.
Sous l’égide Fritz Platten, Jules Humbert-Droz, Rosa Bloch, Leonie Kascher, Franz Welti, Jakob Herzog et Marino Bodenmann, le PCS adopte rapidement les modèles bolcheviks d’organisation en parti d’avant-garde et de centralisme démocratique, seuls pouvant permettre de mener à bien la lutte révolutionnaire. Fort de 6.000 membres (dont 15 % de travailleuses), de trois quotidiens tirés à 14.000 exemplaires et d’une organisation par cellules d’entreprises, il s’efforce de réaliser l’unité de la classe ouvrière suisse et de lancer des nouvelles batailles contre la bourgeoisie, qui profite des conditions désastreuses d’après-guerre des pays avoisinants pour s’attaquer aux conquis sociaux des travailleurs.
Le PCS organise en outre des structures spécifiquement destinées aux femmes, aux chômeurs et aux intellectuels. Il parvient à s’implanter avec succès dans les milieux urbains et surtout en Suisse alémanique, devenant très puissant à Zurich, Bâle et Schaffhouse. La popularité dont jouit le parti auprès du prolétariat lui fera obtenir notamment trois mandats au Conseil national en 1925. Au niveau cantonal aussi les succès sont indéniables, récoltant 26 % des voix aux élections de 1928 à Schaffhouse, 19,7 % des voix aux élections de 1929 à Bâle (obtenant par-là 25 mandats au Grand Conseil de la ville). Face à la progression des communistes, ce sont non seulement les partis bourgeois qui durcissent la répression, mais aussi le PSS qui manigance dans l’ombre pour isoler le PCS, faisant en sorte que les militants de ce dernier soient exclus de l’Union syndicale suisse en 1927, ce qui prit des contours particulièrement violents à Bâle.
Dans les années 1930, le Comintern consacre davantage son attention au développement du PCS, mettant à sa disposition plusieurs émissaires et instructeurs. Toutefois, la propagande violemment anti-communiste des partis bourgeois et le climat de répression instauré par le gouvernement, sur fond de montée du fascisme, vont déterminer une crise importante du PCS. Ses résultats électoraux devenant décevants, une frange opportuniste se crée en son sein autour de Walther Bringolf et fait défection, trahissant les intérêts de la classe ouvrière et rejoignant à nouveau les rangs sociaux-démocrates en 1935.
Se maintenant fermement sur le terrain de l’antifascisme, le PCS se rallie à la tactique de Front populaire. Déjà en 1933, face à la prise de pouvoir par les nazis en Allemagne, le PCS propose un front commun au PSS, mais qui refuse catégoriquement. En 1935, alors que la tactique de Front populaire commence à s’élaborer en France et en Espagne, le PCS ouvre une fois encore au PSS, mais ce dernier préfère tourner ses initiatives de coalition antifasciste à l’attention des partis bourgeois plutôt que des communistes. La tactique du PSS, consistant en des concessions de plus en plus importantes à la bourgeoisie, se révèle finalement un échec : la progression électorale escomptée ne se réalise pas dans les différents cantons et la majorité bourgeoise continue de l’écarter des institutions.
L’échec social-démocrate fait gagner en popularité la ligne antifasciste du PCS. La menace d’une nouvelle progression communiste motive alors la bourgeoisie à accentuer la répression : dans les cantons de Neuchâtel, Genève, Vaud, Schwytz et Uri, plusieurs interdictions sont prononcées à l’encontre des communistes. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et le soutien inconditionnel que le PCS manifeste à l’égard de l’URSS servent de prétexte à la bourgeoisie suisse d’abord pour promulguer des lois liberticides : d’abord elle interdit les activités et la propagande communistes en août 1940, puis elle met le PCS tout entier hors la loi en novembre de la même année. Des dizaines de militants finissent derrière les barreaux, les élus communistes se voient retirer leur mandat. Obligé à la clandestinité et réduit à 350 membres, le PCS rentre définitivement dans une phase de désorganisation et, au tournant de la dissolution du Comintern en 1943, il se rapproche de la Fédération socialiste suisse de Léon Nicole. En 1944, le PCS adhère désormais au Parti ouvrier, futur Parti du travail (PST-POP), qui se compose également de dissidents du PSS et d’indépendants de gauche.
Malgré sa petite taille et la répression impitoyable qui s’est abattue sur lui, le PCS a apporté une contribution indispensable à la pratique de la solidarité internationale prolétarienne, offrant au mouvement communiste international une équipe de cadres politiques qualifiés. Ses dirigeants ont exercé des fonctions de premier plan au sein du Comintern, particulièrement Humbert-Droz qui en devint le co-secrétaire et qui louait Lénine en tant que « praticien dans l'acceptation entière du terme qui vivait la théorie de Marx en situation, intensivement ». Les communistes suisses ont d’ailleurs eu un poids déterminant dans la création de la JC et du PC en France en 1920. Humbert-Droz a contribué à l’élaboration de la « tactique en deux temps » portée par le Comité de la IIIe Internationale entre les congrès de Strasbourg et de Tours, menant à la scission salutaire de décembre 1920 et à la création du Parti communiste français. Le délégué suisse Fritz avait pris la parole au congrès des Jeunesses socialistes de novembre 1920 à la Bellevilloise afin d’« exposer que l’Internationale communiste des Jeunes attend impatiemment l’adhésion des Jeunesses françaises » et d’affirmer « que les Jeunesses doivent être avant tout des groupes d’action. Non seulement elles doivent participer à l’action des partis communistes, mais elles doivent agir révolutionnairement en dehors des partis qui restent réformistes ». A la fin de ce congrès, ce sont les Jeunesses Communistes qui se créent en France en rupture avec l’opportunisme d’une SFIO compromise à jamais. Dans les années 1930, le PCS a accueilli la direction en exil du KPD – Parti communiste allemand (secteur sud) et une partie des agences de presse du Comintern installées en Allemagne : il a offert un refuge à des nombreux membres et fonctionnaires du parti et sécurisa ses finances. Il a facilité en outre le transit de volontaires à l'époque de la guerre d'Espagne, fonctionnant de centre de recrutement pour les Brigades internationales (ce qui a valu à certains dirigeants communistes suisses des lourdes peines de prison). Des télégrammes chiffrés, envoyés entre 1939 et 1941, prouvent l’attachement du PCS à la pratique de la solidarité internationale malgré son entrée forcée dans la clandestinité, s’efforçant de toujours maintenir le contact avec le Comintern et les autres partis communistes européens.
Le PCS a vécu dans une période dominée par les antagonismes impérialistes et a été souvent la cible d'attaques violentes de la bourgeoisie nationale et étrangère, culminant avec la criminalisation du parti en 1940 sous l'impulsion des forces fascistes émergentes. Ceux qui ont choisi de rester au PCS malgré la répression ont été contraints à l'illégalité pour se protéger eux-mêmes et préserver les objectifs révolutionnaires. Beaucoup d'entre eux en ont payé le prix fort : de la dénonciation publique et l'interdiction de travailler à des peines de prison de plusieurs années. Même dans ces conditions, ils ont poursuivi la lutte dans un seul but : mettre fin à l'exploitation capitaliste et renverser le système bourgeois qui en tire profit.
Alors que les contradictions internes de l'actuel PST-POP ont fait surface depuis longtemps aux yeux d’un nombre croissant de ses membres, un processus de reconstitution d’un Parti communiste d’avant-garde et marxiste-léniniste a été entrepris en Suisse depuis les années 2000 à l'initiative des camarades du Tessin. Comme en France et ailleurs dans le monde, ce processus se pose l’objectif de la rupture avec les dérives opportunistes de la social-démocratie, afin de replacer le mouvement ouvrier sur le droit chemin de la lutte révolutionnaire, sans compromission, classe contre classe.

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Jeunes Communistes du Bas-Rhin

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